13. L'acide

4 0 0
                                    

••~••
Jeudi

Une pub de parfum. Voilà son travail de la journée. Poser pour un parfum, luxueux certes, mais qui ne sentait même pas si bon. Jamais il n'utiliserait ce parfum. Déjà parce qu'il était hors de prix, mais aussi parce qu'il n'avait pas spécialement envie de sentir mauvais. Les créateurs avaient voulu créer un parfum non genré, et il avait dû poser avec une mannequin, plutôt connue. Peut-être qu'ils avaient fait des mélanges bizarres pour obtenir ce parfum. Et puis, quelle mannequin... à peine connue, elle prenait déjà la grosse tête, et lui avait à peine décroché un mot, lui qui n'était pas assez reconnu dans le milieu. Il était vrai qu'il passait un peu pour un touriste, avec son emploi du temps plus qu'allégé. Si Abriel n'avait pas insisté pour qu'il postule, il ne l'aurait jamais fait. Il avait eu raison, son compte en banque commençait à maigrir. Même s'il aurait voulu que ça se passe différemment.

Il marchait tranquillement dans la rue, aux côtés d'Abriel. Celui-ci était collé sur son téléphone, en train de chercher un endroit où manger. Il était déjà vingt heures, et son ventre criait famine. Il avait envie d'un bon plat bien gras, bien rempli, même si Abriel n'allait pas accepter. Depuis que Will se découvrait une passion pour la cuisine, les deux jeunes hommes avaient pris du poids, et de par leurs métiers, ils devaient faire attention. Il n'y avait que Will qui avait droit de grossir s'il le voulait. Triste vie. Lui s'en foutait un peu de perdre la ligne, ça n'allait pas changer grand-chose à sa vie. Il était beau, qu'il ait dix kilos en trop ou non.

Ne trouvant rien qui lui convenait, Abriel consentit à aller dans une pizzeria, pour le plus grand bonheur d'Abdel. Il commença un margarita, simple et efficace, tandis qu'Abriel prit une forestière. Ils mangèrent avec appétit, discutant de cette mannequin insupportable, puisqu'en bon protecteur, Abriel avait assisté à la séance. Des fois, il avait vraiment l'impression qu'Abriel se comportait comme un parent avec lui. C'était absurde, ils n'avaient que huit ans d'écart. Abriel avait le même âge que Léo, son grand-frère. Pas l'âge de ses parents s'ils étaient encore en vie. Le jeune homme ressemblait plus à un bon ami, plus âgé certes, mais un ami quand même. Comme Anissa, qui avait le même âge que Will. Ça le perturbait toujours quand il prenait le rôle de parent. Il était vrai qu'en ayant perdu les siens à seize ans, il n'avait pas pu être éduqué jusqu'au bout. Mais il trouvait ça injuste et ridicule qu'à vingt-quatre ans à peine, Abriel s'était retrouvé avec un ado sur le dos. S'il on lui collait un adolescent traumatisé dans les basques à son âge, il aurait craqué, mais pas Abriel. Lui était plus fort, plus mature. C'est pour ça qu'Abdel lui devait beaucoup, et pourquoi il comptait beaucoup pour lui.

Ils finirent leur repas, et prirent la direction de leur maison, fatigué de cette journée de travail. Évidemment, Abriel avait insisté pour payer les deux repas. Un vrai parent, comme Abdel le disait. Même si au grand jamais il l'appellerait papa. Ce serait perturbant, pour lui comme pour Abriel, il se savait. Il lui avait déjà confié qu'il voulait adopter avec Will, qu'il voulait être parent, mais qu'il pensait que c'était une mauvaise idée, avec sa notoriété à double tranchant. Abdel trouvait ça dommage que la célébrité le prive de plaisir simple, comme entendre le rire d'un enfant. Il était persuadé qu'ils feraient de bons parents, si la vie leur en laissant l'opportunité.

Mais alors qu'ils arrivaient bientôt chez eux, il vit Fabien sortir d'un taxi. Abdel fronça aussitôt les sourcils. Qu'est-ce qu'il foutait là ? La dernière fois n'avait pas été assez claire ? Il attrapa le bras d'Abriel, perturbé, et sortant son téléphone pour appeler la police au cas où.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

Alors que Fabien se dirigeait vers lui, il vit qu'il avait un gobelet de café, comme s'il était normal qu'il soit là. Abriel finit par le voir et fronça lui aussi les sourcils, se plaçant d'office devant Abdel. Alors qu'Abdel commençait à taper le numéro de la police, Abriel s'écroula devant lui en hurlant. Il ne comprit pas quand il le vit se rouler au sol, se tenant le visage, alors que Fabien partait en courant, son gobelet vide. Il alla directement au sol pour tenter de calmer Abriel, mais rien n'y fit, il ne l'écoutait pas. Ne sachant que faire, et le cœur battant la chamade, il changeant de numéro et appela directement le quinze. Il jura quand il vit qu'on ne décrochait pas aussitôt, tout en essayant de retirer les mains d'Abriel de son visage. Quand il y parvint, il vit sa peau rougie, et des cloques en train de se former. Abriel sembla se calmer, la respiration forte, mais les membres totalement rigides. Abdel s'inquiétait de plus en plus, ne comprenant pas à quel moment il avait été brûlé, quand enfin lui répondit. Il expliqua la situation à son interlocuteur quand on lui posa cette question :

— Il a été brûlé à l'acide ?

C'est alors que tout s'assembla dans sa tête. Les brûlures. Le gobelet. Ce fou lui avait jeté de l'acide au visage. Il affirma donc que c'était probablement le cas, et son interlocuteur resta au bout du fil pour voir les évolutions. Sentant les larmes lui monter aux yeux, il ignora tous les passants qui s'arrêtaient autour d'eux, certains reconnaissant Abriel, pour lui parler même s'il ne se répondait pas. Bien vite, des pompiers arrivèrent et portèrent Abriel sur le brancard. Il raccrocha et le cœur battant, il appela Will, lui expliquant la situation, et une minute plus tard, Will était là, montant dans le camion. Comme une seule personne pouvait monter dans le camion, Will lui dit de prendre le métro pour rejoindre l'hôpital. Ce n'était que quand le camion partit qu'il s'autorisa à s'effondrer, en larmes, de lourds sanglots agitant ses épaules.

Assis par terre, il tenta de s'essuyer le visage, en vain. Une femme s'agenouilla au sol, le prenant dans ses bras. Il accueillit volontiers cette étreinte inconnue, se jetant presque dans ses bras. Il avait peur, il était mort de trouille. Mais impossible pour lui de se relever après ça. Ses jambes tremblaient, il n'avait plus aucune force. Il n'arrivait pas à croire ce qui s'était passé. Il n'avait pas déjà avalé la trahison de Fabien, alors ça... cette vengeance... c'était trop pour lui. Il pleura longtemps, songeant à appeler Léo, mais il ne lui avait pas parlé de cette histoire. Il ne voulait pas non plus appeler Anissa. Il n'avait plus confiance en rien. Ou plutôt si, en une personne.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant