2. La famille presque normale

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Lundi

Il arriva en courant devant l'immeuble d'Abriel, complètement essoufflé. L'appartement de Mohammad n'était pas la porte à côté, et même avec les transports en commun, il était arrivé en retard. Même si cette deuxième partie de jambe en l'air avait été satisfaisante, il la regrettait désormais. Abriel n'allait pas être content, à n'en pas douter. Il ouvrit la porte avec son badge, puis la porte d'entrée avec ses clefs. Aussitôt, Abriel lui tomba dessus.

— Abdel ! On t'attend depuis trente minutes !

Il soupira. Oui, il l'admettait, il était en retard. Mais il avait une très bonne raison de l'être. Le sexe était une très bonne raison. Le regard vert d'Abriel examina et se noircie d'autant plus.

— Mais t'as vu l'état de ton cou ? Comment on va cacher ça !
— Je suis sûr qu'ils auront une myriade de maquilleuses pour ça.
— Laisse les en dehors de ça. Elles n'ont pas à voir l'étendue de tes folles nuits.

Ça pour être folle, elle avait été folle. Mohammad avait insisté pour le revoir, et ne l'avait pas laissé partir tant qu'il ne lui avait pas donné son numéro. Mais de toute façon, une fois sortie, il l'avait bloqué, alors plus de problème. Il avait l'habitude de ce genre de mec. Il suffisait de leur donner ce qu'ils voulaient pour ensuite les lâcher. Il espérait juste ne plus le recroiser en boîte ou il savait qu'il recoucherait avec lui. Et pour tout dire, il était loin d'être son meilleur coup. Il pouvait espérer mieux, comme par exemple quelqu'un qui lui plairait vraiment. Pour stopper Abriel sur sa lancée, il conclut :

— Bon, t'as fini ton sermon ? On est déjà en retard.

Abriel leva les yeux au ciel, croisant ses bras, avant de soupirer. Il soupirait souvent avec lui. Fallait dire qu'il n'était pas le gars le plus facile à vivre. Il se rappelait que quand il était plus jeune, Abriel lui souriait toujours. Les choses avaient bien changé. Il n'était plus ce jeune garçon qui criait toutes les nuits pour qu'on viennent le rassurer. Il le dépassa et alla saluer Will dans la chambre parentale, qui était en train de ranger des vêtements dans l'armoire.

— Salut Will !
— T'es en retard.
— Ça, je sais.
— Et ton cou est plus de morsures.
— Je sais aussi !

Will se dépêcha de finir de ranger les tee-shirts pour le prendre dans ses bras, comme chaque matin. Il était devenu proche de Will, presque autant que d'Abriel. C'était ses parents de substitution, sa nouvelle famille. Will se détacha de lui, et lui frappa les fesses.

— Dépêche-toi de te changer !
— Oui chef !

Il se dirigea vers sa chambre, l'ancienne chambre d'ami, celle qu'il occupait depuis quelques années. Trois ans. Ça faisait trois ans qu'il vivait chez eux. Et malgré leurs huit ou sept ans d'écart, ils avaient pris le rôle de parents. Abriel le poussait toujours à trouver du travail pour s'occuper et éviter de ruminer. S'il savait qu'il ne ruminait même pas ! Mais l'intention était là, et même s'il ne faisait aucun effort, ils étaient compréhensifs. Peut-être même trop. Alors Abriel l'avait aidé comme il avait pu, en lui décrochant quelques contrats de mannequin, comme aujourd'hui. Il posait aussi pour Will en l'échange d'une rémunération. C'était comme ça qu'il gagnait son argent de poche, qu'il dépensait pour faire la fête et se vider l'esprit. Will et Abriel gagnaient bien leur vie, surtout Abriel. Alors il était bien payé, et pouvait même s'autoriser quelques dérapages. Comme avec son grand amour pour l'ecstasy ou la coke. A chaque fois qu'il en prenait, il savait qu'il allait passer une bonne soirée. Il pouvait bien se le permettre, une fois de temps en temps.

Il se changea, savant tout de même que ça ne servait à rien. On allait lui donner une nouvelle tenue pour poser, alors qu'importe s'il avait l'air d'un plouc. Il prit un sweat noir avec des roses rouges, et un pantalon chino tout aussi noir. Il sortit enfiler ses boots noires et il était prêt. Abriel s'approcha de lui et lui demanda :

— Tu es sûr que tu n'as pas besoin de prendre une douche ?
— Non, j'en ai déjà pris deux.

Après ses petites galipettes chez Mohammad, il avait dû reprendre une douche complète. C'était aussi pour ça qu'il était en retard. Mais il ne s'était pas vu débarquer chez lui puant le sexe. Il ne voulait pas imposer ça à ses nouveaux parents. Abriel le fixa un moment, ce qui lui fit froncer les sourcils. Abdel ne savait pas à quoi il pensait, mais il avait l'air inquiet. Il ne voulait pas voir ce genre d'expression sur son visage. Il voulait le voir sourire, comme avant.

— Bon, je vous attends !

Ils furent coupés par Will qui les dépassa et ouvrit la porte. Ils partirent tous les trois en voiture. Regardant Lyon défiler sous ses yeux, Abdel avait envie de dormir. Il s'était bien trop agité cette nuit pour être reposé, et espérait ne pas avoir de cernes. Et puis, il avait la flemme. Parce que soyons honnête, il n'en avait rien à faire de cette pub de parfum. Il se savait ingrat. Après tout, beaucoup de jeunes ou moins jeunes voudraient être à sa place. Mais lui n'en avait que faire que sa tête se retrouve sur les arrêts de bus, puisqu'il n'y avait personne qu'il connaissait pour le regarder. Pour être fier de lui. Il n'avait plus que Will et Abriel. Même Haziel, ils avaient perdu contact quand il avait déménagé à Marseille. Ses parents avaient eu envie de soleil, apparemment. Alors au fil du temps, ils avaient perdu contact. Ça ne l'empêchait pas de continuer le skate, même s'il n'allait plus au skate parc. Il ne s'en servait que pour le trajet, comme il détestait les transports en commun. S'enfermer dans une boîte avec pleins de gens, ce n'était pas son fort.

La séance photo c'était bien passée. Il avait posé, montrant ses muscles, sa peau, ses yeux à tout bout de champ. Changeant de position toutes les minutes. Il ne savait pas comment Abriel pouvait faire ce métier sans s'ennuyer. Mais il fallait bien en avoir un, de travail. Et de toute façon, rien ne l'intéressait, en dehors de noircir les pages de ses carnets. Mais ça ce n'était pas un travail, c'était un loisir. Il n'avait pas envie de travailler. Il savait qu'un jour, il allait devoir passer par là, mais pas tout de suite. Peut-être qu'il n'était pas encore totalement adulte, en fin de compte.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant