33. L'amie qui a raison

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Mercredi

Abdel erra tout le reste de la matinée, vagabondant dans les rues de Lyon, mangeant un bout dans un tacos, achetant des clopes, puis se posant dans un parc. Les mots d'Abriel lui faisait du bien, l'apaisait. Parce que maintenant, il savait qu'Abriel ne lui en voulait pas. Il n'avait plus aucune raison de s'en vouloir. Marcher lui avait permis de se vider la tête, mais il commencer à s'ennuyer. Regarder les passants allait une minute, pas vingt. Comme il n'avait pas son carnet, il écrit sur son téléphone, repassant les mots qu'il avait confié à Abriel.

Libère moi de ce présent
Ce songe m'est insupportable
Mon cauchemar est incessant
En sortir est peu probable

Je suis un petit peureux
Qui pleure les nuits blanches
Comme si j'étais heureux
En secouant les hanches

Je ne sais que faire de ce corps sale
Qui délimite ma vie
Qui est l'esclave du capital
Qui reste l'ennemi

Je me délecte de ses coups de reins
Les soirs où j'ai peur
Quand j'ai le cœur trop plein
Et l'esprit qui se meurt

Je ne saurais dire qu'est-ce qui est pire
Entre ma vie et mes rêves
Entre tes pleurs et tes sourires
Qui ne m'accordent aucune trêve

Libère moi de ce présent
J'ai si peur de t'aimer
Puisqu'en conséquent
Cela veut dire s'abîmer

Il verrouilla son téléphone, ne sachant plus trop où aller, avant de le rallumer, une idée fulgurante lui traversant le crâne. Il ouvrit son GPS et tapa le nom qu'il avait retenu, avant de se mettre en route. Il décida d'y aller à pied, même s'il en avait pour une heure et demie. Marcher lui faisait du bien. Moins que le skate, mais tout de même. Ça lui vidait la tête. Les écouteurs vissés dans les oreilles, il marchait au rythme de la musique rock, d'une allure détendue et rapide. Il arriva devant le bâtiment, regardant l'enseigne : l'odeur des livres. Il n'attendit pas plus et entra. La boutique semblait vieille, et de nombreuses bibliothèques bloquaient la vue. Il toucha du bout des doigts les reliures neuves et anciennes, avant qu'une voix vienne l'interpeller :

— Abdel ?

Il se tourna vers Anissa, dans une tenue de travail brune, qui lui adressait un sourire. Il le lui rendit, s'approchant d'elle.

— Tu cherches un livre ou...
— Je suis venu te voir.
— Oh. Eh bien... je vais prendre ma pose alors.

Elle se tourna vers le fond de la boutique et cria :

— Saër ! Je prends ma pose !
— Ok ! Profite bien !

Anissa lui prit le bras et l'emmena devant la boutique. De là, elle s'assit à même le sol, et sortit un paquet de cigarettes :

— T'en veux une ?
— Je veux bien.

Elle lui tendit une clope, qu'il pinça avec ses lèvres, puis Anissa tendit le bras vers lui pour l'allumer, avant de faire pareil avec la sienne. Même s'il venait d'acheter un paquet, la clope avait toujours un autre gout quand on l'avait gratté. Elle prit une grande inspiration, avant de souffler la fumée toxique.

— J'imagine que tu as des choses à me raconter.
— Oui... en fait, je suis en couple.
— Toi ?

Anissa pouffa de rire, et Abdel la suivit volontiers. Il lui expliqua ce qu'il s'était passé, quand il avait couché avec Chiheb, quand il lui avait dit que c'était une erreur, quand Abdel avait accepté de sortir avec lui, mais aussi les mots d'Abriel. Anissa l'écouta attentivement, fumant sa cigarette, avant de l'écraser sur le trottoir, récupérant le mégot. Abdel avait à peine entamé la sienne.

— Attends, y'a un truc qui n'est pas clair. Tu t'es mis en couple juste pour le sexe ou parce qu'il te plaît ?
— Les deux, je crois. J'ai envie de lui faire plaisir, de le voir sourire, et si je dois être en couple avec lui, alors je le fais.
— Ouais, donc t'es piqué.
— Tu crois ?
— Bah quand même ! Peut-être que c'est pas l'amour fou, mais y'a bien quelque chose qui se cache là-dessous.

Abdel garda le silence. Il avait dit à Chiheb qu'il pourrait retomber amoureux de lui, il n'avait pas pensé que c'était déjà le cas. Mais en fait, c'était logique. Il était bien trop attaché à lui pour que ce soit une simple amitié. Quelque chose clochait chez lui, comme Anissa le disait, il était piqué. Et dire que c'était quelque chose qui le terrifiait... il n'aurait pas pensé que ces sentiments se seraient infiltrés chez lui sans qu'il ne s'en rende compte.

— Je t'ai pas donné une clope pour que tu ne la fumes pas.
— Désolé...

Il apporta le bâtonnet à sa bouche, prenant une longue taffe pour se rattraper, songeur. Il n'arrivait pas à croire que lui, le mec qui passe ses soirées à baiser, soit tombé amoureux.

— Mais pourquoi ça te panique autant d'être amoureux ?

Pour tout un tas de raisons. Mais il décida d'aller au concret, au plus simple, même si c'était douloureux.

— La dernière fois que je suis tombé amoureux, genre vraiment amoureux, c'était de Chiheb, et il m'a découvert à quatre pattes en train de me faire prendre par un vieux type. Si tu savais comme j'ai eu honte. J'aurais pas dû, parce que c'était un viol, mais je n'ai pas su faire autrement. Et quand j'ai ouvert mon cœur à nouveau, Fabien s'est servi de moi pour jeter de l'acide au visage d'Abriel. Alors oui, ça me panique d'être amoureux, parce que ça finit toujours mal.
— Tu sais, ce n'est pas sans risque d'être amoureux, mais je pense que ça vaut le coup d'essayer. C'est comme en amitié, ce n'est pas toujours facile, mais être seul n'est jamais bon à long terme. Regarde, tu m'as accepté dans ta vie, et ça se passe bien, non ? Alors laisse Chiheb faire pareil, et tu verras bien.

Il savait qu'elle avait raison, mais c'était très dur pour lui de l'accepter. Alors il soupira et finit sa cigarette, alors qu'Anissa se relevait :

— Bon, je dois retourner travailler. On se capte une prochaine fois ?
— Ouais. À la prochaine.

Il se releva à son tour, prêt à rentrer.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant