35. La honte et la mort

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Dimanche

Cela faisait déjà huit jours qu'Abdel était attaché à son lit. Huit jours de calvaire. Il avait abandonné l'idée que quelqu'un allait le sauver. Où même qu'il pourrait se sauver. Il avait déjà essayé, une fois où Monsieur Couvier l'accompagnait aux toilettes. Il avait essayé de s'enfermer dans la salle de bain mais l'homme avait défoncé la porte. Quand il lui avait récupéré son téléphone, il l'avait mis au microonde et avait failli déclencher un incendie. Non, il ne pouvait rien faire. Il était soumis à Monsieur Couvier bon gré ou mal gré. Il choisissait de ne pas empirer les choses et le laissait faire ce qu'il voulait de son corps, effectuait tous ses fantasmes, même les plus répugnant.

Il n'avait jamais été aussi humilié. On pourrait dire que son malheur allait prendre fin dans trois semaines, mais non, jamais il ne pourrait oublier ce mois en enfer. Il s'était condamné pour le restant de ses jours. Il n'avait plus goût à la vie, plus aucun instinct de survie, il voulait juste en finir de cette histoire qui s'étalait sur des années. Dès que ses parents rentreraient, il allait le faire, il allait se tuer. Il ne voyait pas d'autres solutions. Sa honte était trop grande. Il ne pourrait plus jamais regarder quiconque dans les yeux, après ce qu'il avait accepté de faire. La mort lui tendait les bras, il attendait sans effroi son étreinte froide.

Un bruit étrange attira son attention, mais il n'y fit pas plus attention. Il était trop concentré à ne pas penser au fait qu'il se faisait prendre par Monsieur Couvier. Ça commençait à lui faire mal, mais une douleur anesthésiée, qu'il ne ressentait pas vraiment. C'était étrange, il avait la sensation de ne plus être dans son corps, comme s'il flottait au-dessus de lui-même. La vision qui s'offrait à lui, lui faisait pitié. C'était dégoûtant la facilité avec laquelle il avait écarté les jambes. Le monde ne semblait plus réel, comme s'il lisait un roman écrit par le Marquis De Sade. Il commençait à saturer, mais il n'avait pas le choix, il devait tenir le coup.

— Abdel il faut vraiment qu'on...

Il reconnut aussitôt sa voix. C'était comme si, en une seconde, il était retourné dans son corps. Chiheb était là. Le temps se figea. Il put juste tourner la tête pour voir son regard horrifié. Il avait face à lui son ami, attaché au lit et les fesses en l'air, tandis qu'un homme était enfoncé en lui jusqu'à la garde. Aussitôt, les larmes lui montèrent aux yeux. Profitant de cet instant d'effroi, Abdel lui cria :

— Enfuie-toi !

Comme si Monsieur Couvier comprenait enfin ce qu'il se passait, il se retira et fonça vers Chiheb. Le garçon prit ses jambes à son cou, avec cette expression de terreur. Abdel l'entendît se diriger vers la salle de bain, mais la porte ne fermait plus, comme l'homme avait cassé la serrure. Il se dit alors que tout était foutu, et que par sa faute, Chiheb allait lui aussi vivre un calvaire. Mais des cris se firent entendre :

— Ouvre cette putain de porte ! Je vais te tuer ! Ouvre !

Alors comme ça, Chiheb avait trouver un moyen de s'enfermer, peut-être avec la commode qui s'y trouvait. Ça le soulagea. Mais aussitôt, une forte pulsion suicidaire le prit. Tout compte fait, Abdel n'aurait pas voulu être sauvé. Il aurait voulu attendre que le mois passe, et personne n'aurait été au courant. Chiheb ne l'aurait pas vu dans cette position. Chiheb ne changerait pas sur regard sur lui. Humilié, il continua à pleurer pour la seconde fois depuis que Monsieur Couvier était arrivé chez lui. Il tira sur ses liens sans parvenir à s'en défaire, toujours nu, espérant juste pouvoir faire taire son cœur qui explosait de honte. Il poussa un cri rageur, n'arrivant pas à défaire le nœud par lui-même. Quand soudain, il entendit la porte d'entrée claquer. Ça ne pouvait être que son agresseur qui prenait la fuite. Juste après un remue-ménage, Chiheb revint le voir.

— Oh Abdel, c'est fini, il est partit c'est fini, la police arrive.

Chacun de ses mots rassurants étaient un coup dans son cœur. Il pleura de plus belle, humilié que Chiheb le voit aussi nu qu'au premier jour. Il se mit en boule pour se cacher, espérant disparaître pour de bon. Chiheb se jeta sur la corde qui le liait au lit et réussit à en défaire le nœud. Retrouvant sa mobilité, Abdel se recroquevilla d'autant plus, enserrant son corps frêle de ses bras. Il entendit Chiheb se mettre lui aussi à pleurer, et des bras l'entourer.

— Je suis désolé, je ne savais pas, je suis tellement désolé...

Chiheb n'avait rien à se reprocher. Mais à cet instant, le toucher était la pire chose qu'il pouvait faire. Abdel voulait qu'il parte, qu'il oublie ce qu'il avait vu, même s'il fallait qu'il l'oublie lui dans la foulée. Jamais il ne pourrait redevenir son ami comme avant. Pas après ça. Mais en proie à une profonde crise d'angoisse, il ne pouvait pas parler. Son corps était rigide, catatonique, et les pleurs de Chiheb aggravait son état. Tout son visage était déformé de douleur, alors qu'il pensait au fait que son ami l'étreignait alors même qu'il était recouvert de fluide en tout genre. N'en pouvant plus, il vomit une fois, puis deux, puis trois. Mais Chiheb ne le laissa pas pour autant.

Il ne savait pas depuis combien de temps il était resté comme ça, mais il entendit des sirènes de polices et bientôt, plusieurs hommes et femmes armées débarquèrent dans l'appartement. L'un d'eux trouva les deux adolescents collés l'un à l'autre, et peina à les séparer. Chiheb finit par lâcher Abdel en reniflant, mais lui ne bougea pas, restant prostré encore quelques minutes avant d'accepter de se lever quand des pompiers vinrent lui mettre une couverture de survie pour le vêtir. Chiheb insista pour monter dans le camion, et ne lâcha pas sa main du trajet. Mais Abdel s'en fichait, il voulait juste mourir.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant