19. Les responsabilités

5 0 0
                                    

••~••
Samedi

— Pourquoi tu m'emmènes dans une putain d'église ?
— J'aime bien les vitraux.

Chiheb haussa les épaules, comme si tout était normal. Mais ça ne l'était pas. Abdel avait déjà mis les pieds dans une église, ne serait-ce que pour visiter les lieux. Mais il avait plus fréquenté les mosquées. Et puis, les églises avaient tendance à le mettre très mal à l'aise. Déjà, il était né musulman, et même s'il s'était éloigné de l'Islam au fil des années, il ne pensait pas avoir sa place dans un tel lieu. Ensuite, les représentions le mettait très mal à l'aise. Voir un mec à moitié à poile clouté sur une croix n'était pas son dada, et il ne comprenait pas qu'on puisse choisir un symbole aussi glauque pour représenter ses croyances. Il n'avait rien contre les chrétiens, il pensait même qu'ils avaient beaucoup de courage pour supporter une Foi aussi accusatrice, mais encore une fois, il n'avait pas sa place ici.

Une vieille dame les regarda de travers quand ils s'approchèrent des bancs, confirmant ce qu'il pensait. Chiheb fit comme si de rien n'était et s'assit sur les bancs, fermant les yeux. Abdel ne comprenait toujours pas ce qu'ils faisaient ici, alors il resta debout, fixant une vierge Marie. Il ne se sentait pas bien ici, il n'était pas à sa place. Alors il s'assit sur le banc, à côté de Chiheb, pour lui chuchoter :

— Qu'est-ce qu'on fait ici ?
— On vient profiter du silence. Fais le point dans ta tête, comme ça se sera plus simple d'aller au commissariat.

Il comprenait mieux, mais trouvait ça stupide. Il avait passé la matinée à réfléchir, même si Chiheb ne pouvait pas le savoir. Comme il avait toujours les yeux fermés, Abdel décida de l'imiter, et essaya de faire le point, repassant en tête toutes ses erreurs. Il fit défiler le film de cette histoire, puis se souvint de l'appel avec Will, qui lui avait dit que ce n'était pas de sa faute. Il ne voyait pas comment il pouvait penser ça. Au fond, il était sûr que Will et Abriel lui en voulait, même inconsciemment. Certains sentiments n'arrivaient pas jusqu'à la conscience. Abdel repensa à ce qu'il avait fait, à la trahison de Fabien, aux blessures d'Abriel. Abriel qui était mannequin, qui avait perdu un œil, Abriel qui ne serait plus jamais le même. Et comme il aurait pu s'y attendre, par ses paupières closes s'écoula ses larmes salées. Il fut victime d'une grosse crise de chagrin, incapable de le retenir.

Chiheb se rendit compte de son état et lui prit le bras, le sortant de l'église. Il le fit s'assoir contre le bâtiment, le laissant reprendre ses esprits à l'air frais.

— Qu'est-ce qu'il ne va pas Abdel ?

Qu'est-ce qu'il n'allait pas ? À croire qu'il se fichait de lui ! Il répondit d'une voix brisée par les pleurs :

— Rien ne va !
— Exprime toi, tu ne l'as toujours pas fait. Je pense que tu as besoin de vider ton sac.

Peut-être qu'en effet, c'était ce dont il avait besoin. Il n'avait cessé d'y penser, mais jamais il n'en avait parlé. Quand Will avait tenté de le faire, il avait raccroché. Mais parler n'était pas dans ses habitudes, il préférait plutôt faire comme si tout allait bien. Mais rien n'allait jamais bien. Il serait temps pour lui de changer de mode de vie, de se poser, arrêter les conneries et mieux parler. Alors il prit une grande inspiration et se lança :

— Je n'ai pas envie d'aller au poste de police parce que j'ai peur.
— De quoi ?
— Qu'on me juge. Qu'on me dise que tout est de ma faute. Que j'aurais dû être plus prudent. Que je n'avais qu'à pas jouer aux putes.

Chiheb encra son regard foncé dans ses yeux bleus, l'air sévère. Il n'avait pas à le regarder comme ça, c'était lui qui lui avait demandé de s'ouvrir, pas l'inverse. Abdel soutint ses yeux, n'allant pas flancher sur le sujet.

— Tu t'entends quand tu parles ? On dirait que c'est toi qui as jeté de l'acide sur Abriel ! Ça arrive à tout le monde de se faire avoir, c'est comme si tu me disais que c'était de ma faute si j'étais battu par mon mec ! Tu n'as rien à te reprocher. Comme tu dis, tu couches avec qui tu veux, et personne n'a rien à redire là-dessus. Ce n'est pas comme si tu étais en couple ou quoi que ce soit, tu as toutes les libertés. Tu ne le connaissais pas quand tu as commencé à le fréquenter, tu ne pouvais pas savoir. Alors arrête de t'en vouloir ! Le plus important pour le moment, c'est que tu mettes cet enfoiré en prison, et que tu ailles montrer à Abriel que tu vas bien. Sérieux, Will et lui ne savent même pas où tu es, ils doivent être mort d'inquiétude ! Alors c'est le moment de te comporter en adulte, et de faire ce que tu as à faire. Tu n'es pas seul, je suis avec toi. On va faire front. Tu dois être plus fort que Fabien. Pour Abriel.

Abdel déglutit, mal à l'aise. Ses positions venaient d'être agressé par Chiheb. Parce qu'il savait qu'il avait raison. Que ce n'était pas lui qui avait jeté de l'acide sur Abriel. Il n'était coupable de rien. Il avait juste fait confiance à la mauvaise personne. Et comme Chiheb le disait, ça arrivait à tout le monde. Tout comme son vieil ami avait accordé son amour à une personne malhonnête, lui avait donné sa confiance à un homme vicieux. C'était Fabien le coupable, pas lui. Il ne devait pas s'en vouloir. Mais c'était tellement difficile... il n'arrivait pas à se détacher de cette histoire. Il était bien trop impliqué pour ça. Parce que sans son existence, jamais ça ne serait arrivé. Alors s'il admettait ne pas être coupable, il restait complice.

— Bon, on va au commissariat ?

C'était bon, il était prêt. Il pouvait aller au commissariat. Il voulait aller au commissariat. Pour faire tomber Fabien. Parce que lui seul connaissait sa véritable identité : son travail, son nom de famille. Il était prêt à aller témoigner. Il était prêt à tout pour Abriel. Parce qu'Abriel lui avait tout donné, et qu'il le lui devait. Il lui avait donné un toit, de l'amour, de la joie, de la confiance. C'était grâce à lui qu'il était celui qu'il était aujourd'hui. Et il voulait qu'il ait justice. Chiheb acquiesça, et Abdel se leva, plein d'entrain. Il sécha ses larmes, et ils se mirent en route. Ils prirent le métro, et marchèrent jusqu'au commissariat. Abdel sentait son cœur s'affoler, comme s'il voulait quitter sa poitrine. Il songea un moment à fuir mais tint bon, s'accrochant pour Abriel. Ils rentrèrent dans le grand bâtiment, et Chiheb laissa Abdel se diriger vers l'accueil. L'homme leva ses yeux surplombés de gros sourcils noirs et lui demanda :

— Bonjour, que puis-je faire pour vous ?
— Je... j'ai des informations sur l'agression d'Abriel De Poirotier, de jeudi. J'aimerais témoigner.

L'homme hocha la tête, comme s'il voyait de quoi il voulait parler, et le fit attendre. Une policière vint alors le chercher et l'emmener dans un bureau, pour entendre ce qu'il avait à dire. Il déclina son identité, son lien avec Abriel, puis lui raconta donc toute l'histoire, du début à la fin, la peur au ventre. Il savait que sa voix tremblait, qu'il faisait peine à voir, et même la femme semblait comprendre son état puisqu'elle prenait des pincettes pour lui poser des questions. Il donna ses coordonnées, pour être joignable à n'importe quel moment, et enfin, il fut libéré. Il rejoignit le hall d'entrée où Chiheb patientait. Celui-ci releva le regard de son téléphone vers lui, et lui offrit un sourire, rempli de fierté. À nouveau, le cœur d'Abdel s'emballa mais pas pour les mêmes raisons, cette fois c'était pour Chiheb. Alors il se pencha vers lui et déposa ses lèvres sur les siennes. Juste ça, un touché éphémère, une caresse dont il avait besoin. Ne se sentant pas de se justifier, il se détacha bien vite, et demanda :

— Tu veux bien m'accompagner à l'hôpital ?

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant