6. Le fan

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Il se leva du bon pied ce matin-là. La veille, son père avait reçu un message d'Abriel. Puisqu'évidemment, Abderhamane lui avait envoyé un message pour se présenter. Il ignorait ce qu'il lui avait dit, ou sur quel ton, mais ça n'avait pas découragé Abriel qui avait très bien réagi, en professionnel, et qui avait ouvert la discussion avec son père. Ils devaient donc se rencontrer ce soir après le travail. Mais en attendant, Abdel avait du travail. Il devait rendre une rédaction sur un texte de Proust qu'il n'avait pas commencé, et devrait probablement y passer une bonne partie de sa journée. Il se dépêcha donc de faire sa toilette et se mit à travailler.

Mais impossible de se concentrer. Il ne pensait qu'à la rencontre qui aurait lieu plus tard. Il y avait beaucoup réfléchi, et se disait qu'au final, ça pouvait être bien. Il se rappellera soudain ce qu'Abderhamane lui avait dit l'autre jour, qu'Abriel avait mauvaise réputation. Pour que son père le connaisse, il devait être assez connu. Alors il prit son ordinateur et tapa son nom sur internet, cherchant déjà du côté des photos. Elles étaient tout bonnement magnifiques. Lui qui l'était déjà à lui tout seul était sublimé par la photographie. Si certaines étaient banales, originales, stylées ou complexes, beaucoup étaient très sexualisées. On le voyait dans des poses suggestives, presque osées, voir carrément, mais le plus perturbant était qu'il devait avoir son âge sur les photos. C'était très jeune pour être jeté en pâture sur les réseaux sociaux.

Il chercha ensuite ce que racontait les médias, les postes des réseaux et tout le reste. Il fut surpris de voir à quel point il était à la fois adulé et détesté. Il ne s'agissait pas de deux camps s'affrontant, mais bien des mêmes personnes tiraillées entre admiration et la haine. Ce devait être tellement dur à vivre, surtout quand il voyait des messages d'incitations au suicide, ou des paris sur l'heure de sa mort. C'était tout bonnement abject. Et puis il tomba sur quelque chose de plus surprenant encore. Des articles de presse relatant une histoire de kidnapping. Il mit du temps à comprendre qu'il s'agissait d'Abriel dont il était question. De ce qu'il lisait, il avait été enlevé à ses dix-neuf ans et retrouvé quelques jours après, prisonnier dans une cave. En sortant, son meilleur ami s'était suicidé. À bout, il avait commis lui aussi plusieurs tentatives qui avaient heureusement échouées, et avait passé plusieurs mois en hôpital psychiatrique pour surmonter le traumatisme. Il tomba aussi sur des articles concernant un procès, celui de son manageur, qui avait été tenu responsable de viol sur mineur à plusieurs reprises. Voilà un beau tableau.

Il comprenait ce qu'il avait voulu dire en disant que le mannequinat avait détruit sa vie. Ce qu'il avait vécu était horrible, Abdel ne savait pas comment il faisait pour sourire aujourd'hui. C'était bien trop dur, pour un homme bien trop jeune. Une histoire tragique dont il ne connaissait en plus que les grandes lignes. Il était en peine pour lui, même s'il savait qu'être pris en pitié était la pire des sensations. Mais comment ne pas le faire avec un parcours pareil ? Quelque part, il était rassuré, aussi. Avec une vie pareille, Abriel n'allait pas lui faire de mal. C'était stupide, car les victimes de violences avaient tendance à devenir à leur tour bourreaux. Mais il préférait croire en cette théorie.

Alors qu'il était toujours plongé dans un article biographique, il sursauta en entendant la sonnette de son appartement retentir. Il sortit de sa torpeur sans se demander qui cela pouvait être, et sorti de sa chambre pour ouvrir la porte. Il cligna plusieurs fois des yeux sans reconnaître la personne en face de lui, au visage pourtant familier. Il resta con, tenant la porte et fixant son vis à vis.

— Salut Abdel ? Tu vas bien ? Tu es tout pâle !

Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il se rendit compte que Chiheb se tenait devant lui, l'air inquiet. Il se reprit bien vite, forcé de sortir de ses recherches. Elles l'avaient bien plus marqué que ce qu'il aurait cru. Il se souvint alors de ce qu'il lui avait dit : s'ils ne se croisaient pas au lycée, il viendrait toquer à sa porte. Et bien entendu, ils ne s'étaient pas croisés. Il finit par parvenir à faire un sourire, et l'accueillir comme il se devait, en le laissant entrer.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant