13. Les monstres sous le lit

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••~••
Lundi

Posés dans son lit, Chiheb et lui regardait une série depuis quelques minutes. C'était assez ennuyant, une histoire d'amour à l'eau de rose mais Chiheb avait l'air d'adorer ça. Les histoires d'amour, très peu pour Abdel. Il admettait en aimer certaines, complexes dans leurs écritures et leurs réalisations, mais les trucs niais ne passaient pas. Ça dégoulinait de mièvreries, ce n'était pas réaliste. Il était convaincu que si un jour il arrivait à ouvrir son cœur à quelqu'un, ça ne se passerait pas comme ça. Mais peut-être qu'il n'y arriverait jamais. Puisqu'après tout, il n'avait jamais été en couple, et n'avait personne dans sa vie. Haziel avait Najate, Abriel avait Will, et Chiheb avait... il ne connaissait toujours pas son nom. Alors piqué dans sa curiosité, il demanda, mettant sur pause cette série pourrie :

— Il s'appelle comment ton mec déjà ?
— Samuel pourquoi ?
— Comme ça.

Il sentait que le sujet était tendu, que Chiheb était sur la défensive, alors il laissa de côté ce sujet. Il était bientôt vingt-trois heures, et si ses parents se rendaient compte qu'ils étaient encore énervés, Hanan allait s'énerver. Il claqua donc son ordinateur, le grand drame pour Chiheb qui était bien trop impliqué dans l'histoire d'amour de Samantha et Patrick, et lui dit :

— Je suis désolé, mais mes parents...
— Vont criser si on ne se couche pas.
— C'est ça.

Abdel tira sur la couette d'été pour que Chiheb puisse se glisser dessous, ce qu'il fit avec un bien être palpable.

— Vas-y il est trop confortable ton lit, je pourrais dormir ici toute la journée !
— Tu pourrais.

Il regretta aussitôt ses propos. Après tout, ça ne faisait qu'une semaine qu'il se côtoyait, c'était tôt, bien trop tôt pour faire ce genre de proposition. Et puis, Chiheb ne pouvait pas emménager ici, c'était stupide. Avec la lumière douce de la nuit, il le vit sourire, les yeux fermés, semblant serein. Il était beau comme ça, avec ses cheveux mis longs et ses cils collés les uns aux autres, comme s'il avait pleuré. Il n'était pas d'avis que la tristesse allait aux gens, mais plutôt qu'elle n'allait à personne. Mais à cet instant, ses anciennes larmes lui allaient tellement bien. Comme un ange triste, un ange déchu, un adolescent piégé dans une relation amoureuse tragique. Il se mit sous la couette, et regarda tendrement Chiheb s'endormir. Mais lui, il ne parvenait pas à fermer l'œil. Alors au bout d'une demi-heure, il se releva et alla chercher son carnet, son stylo, et commença à griffonner :

Mon vieil ami
Tu pleures des larmes salées
Je serais l'eau que tu bois
Parmi les âmes égarées
Et si ton sel ne se voit pas
J'en ferais une mer asséchée
Pour te garder près de moi
Dans l'éternité d'une vallée

Ce n'était pas du grand art, mais il avait plutôt été inspiré sur ce coup. Il avait écrit ce qu'il ressentait d'un coup, et en était plutôt satisfait. Un petit sourire aux lèvres, il vit son téléphone s'allumer, s'en empara pour découvrir un message d'Abriel :

Abriel

_ Désolé de te
déranger Abdel,
mais je ne voulais
pas te blesser en
disant ça. Quand
je t'ai vu partir
comme ça, je me
suis rendu compte
que ce que j'avais
dit ne se faisait pas.
J'espère que tu vas
bien, et encore
désolé pour cette
soirée
catastrophique

Je ne t'en veux pas,
j'étais simplement
surpris _

_ Tant mieux alors,
je ne voulais pas
qu'il y ait de
malentendus

Il était surpris qu'Abriel s'excuse, après tout, il n'avait que dit la vérité, Abdel n'avait pas à lui en vouloir. Après, il pouvait comprendre que cela soit perturbant : voir quelqu'un partir en trombe de la sorte, en claquant la porte, ce n'est pas anodin. Il s'en voulait d'avoir réagi comme ça, à cause de lui, Abriel s'en voulait. C'était vrai qu'il avait été direct, mais ce n'était pas un défaut, au contraire. Abdel avait tendance à penser qu'il s'agissait là d'une qualité. C'était lui qui n'avait pas su comment le prendre et qui avait préféré fuir comme un lâche, plutôt que d'affronter la réalité. Oui il avait été agressé, c'était comme ça, il ne pouvait pas changer le passé. Mais Abriel aussi, et il n'en avait pas fait tout un drame. Alors ok, il était passé par des phases sombres, avec des tentatives de suicide, mais c'était fini tout ça, et n'importe qui dans son cas aurait céder à la tentation. Abdel, lui, n'avait eu qu'un événement traumatisant et ne s'en était toujours pas relevé. C'était à un vomir.

Il soupira, ne sachant que faire. Il n'avait déjà plus d'inspiration, et le sommeil ne venait toujours pas. Que faire, que faire ? Se disant qu'il n'avait rien à perdre, il retourna se coucher. Regardant un Chiheb apaisé dans le sommeil. À cet instant, sous la lumière bleutée de la lune, il le trouvait tout bonnement magnifiques. De son nez aquilin à ses yeux en amande, de ses cheveux sombres à ses lèvres rosées. Chiheb n'était pas une beauté comme pouvait l'être Abriel, mais sur le coup, Abdel le trouva parfait. Il savait que c'était faux, que c'était lui, qu'il projetait sa solitude sur lui, mais oui, il le trouvait parfait. Dans sa beauté et dans sa personnalité. Alors il le regarda dormir de longues heures, jusqu'à ce que Morphée vienne l'emporter aussi.

Quand il se réveilla, Chiheb n'était plus dans son lit. Il avait la tête tout embrouillée et sentait que les plis de l'oreiller étaient imprimés sur sa joue. Il se redressa pour regarder autour de lui, et vit que le réveille n'affichait que sept heures. Il se souvint alors que Chiheb avait cours lui, et qu'il devait être rentré. Il se leva alors de son lit, prenant le temps de s'étirer. La lumière passait à travers les volets et faisait danser des pétales dorés dans sa chambre, créant une atmosphère des plus tranquille. Il quitta la pièce pour longer le couloir et déboucha sur le salon, puis la cuisine où Abderhamane et Hanan étaient attablés. Il remarqua aussitôt quatre assiettes de tartines pleines de confiture à table, et s'en intrigua. Il alla embrasser Hanan, et s'assit en demandant :

— Chiheb est parti ?
— Non, il est sous la douche.

Il hocha la tête, satisfait d'avoir l'occasion de dire au revoir à son ami. Il entama ses tartines, mangeant avec un appétit rare, qui le poussa à en refaire quand les quatre furent englouties. Chiheb arriva à ce moment-là, ses cheveux noirs lui tombant devant les yeux. Abdel détourna le regard, se surprenant encore à apprécier son visage fin. Il garda sa tête basse quand il s'assit à côté de lui, mal à l'aise. Quelque chose clochait chez lui. Parce qu'on n'est pas en émerveillement devant son ami. On peut le trouver beau, comme tant d'autres personnes, mais de là à fixer ses yeux... non, quelque chose clochait chez lui. Ce n'était pas nouveau, mais ce penchant là l'était. Abdel savait qu'il était bizarre, il espérait au moins que cela ne se voyait pas.

— Au fait Abdel, Hymen m'a dit que tu venais à mon anniversaire ce soir, c'est super !

Il ouvrit grand les yeux, se souvenant de cette information. Il s'était passé tellement de chose la veille qu'il avait tout bonnement oublié. Il se sentit aussitôt coupable de ne pas y avoir penser, et sentit son cœur se serrer. Il releva d'un coup la tête, les yeux toujours écarquillés, en s'excusant :

— Je suis désolé, joyeux anniversaire ! J'avais oublié excuse-moi.
— Oh ça va, je ne suis pas vexé non plus !
— De quoi il parle mon chéri ?

Il se tourna vers Hanan. Ça aussi il avait oublié. Il n'avait pas du tout prévenu ses parents. En même temps, il n'avait pas eu l'occasion, il n'avait appris ça que la veille... mais il aurait dû y penser, peut-être qu'à cause de lui, ses parents n'allaient pas accepter et qu'il n'aurait pas le droit d'y aller. Alors que Chiheb avait l'air tellement heureux de le savoir venir ce soir. Il espérait ne pas avoir tout gâché, encore une fois.

— Ce soir c'est son anniversaire, sa sœur m'a invité. Je peux y aller ?

Hanan fronça les sourcils, l'air pas d'accord, ce qui le fit avaler sa salive avec difficultés. Il voulait y aller, vraiment, mais il s'y prenait au dernier moment, pas sûr que sa mère accepte. Sentant qu'il avait encore merdé, il baissa de nouveau la tête, sentant les larmes monter. En une semaine, Chiheb avait pris beaucoup de place dans sa vie, c'était son ami d'enfance, il ne voulait pas le décevoir. Il ne savait pas pourquoi il prenait les choses au tragique de la sorte, mais il ne pouvait pas s'en empêcher, il se sentait vraiment trop mal pour Chiheb. Enfin, jusqu'à ce qu'Abderhamane ne pose sa main sur celle de sa compagne.

— Tu peux y aller, n'est-ce pas Hanan ?
— Je ne suis pas d'accord ! Après ce que tu as fait la dernière fois, tu devrais être privé de sorties !

Il soupira. Toujours, sa mère s'inquiétait pour lui, jusqu'à l'étouffer. Ça le pesait plus qu'il ne voulait bien l'admettre, il le savait. Mais c'était sa mère, ses parents étaient tout pour lui, alors il ne pouvait rien dire.

— Il sera dans le même immeuble, juste en dessous, il pourra rentrer à l'heure qu'il veut et on saura où il est. Il peut même rentrer dormir à la maison. Ne t'inquiète pas, je suis sûr que Chiheb est responsable et qu'Abdel ne craint rien avec lui.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant