8. Le débriefing

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Plongé dans la philosophie, il retenait difficilement son cours sur le bonheur, ainsi que tous les auteurs qu'il y avait dans ses leçons qui en parlaient. Il était un peu perdu, parce que le bonheur lui-même lui échappait. Il ne saurait pas le définir, même avec son cours, tant le concept lui paraissait éloigné de lui. Et puis, de ce qu'il voyait, personne n'était d'accord sur ce que c'était, alors à quoi bon ? Il se demandait si une seule personne sur terre savait ce que c'était, ou même l'avait touché du doigt. Quelque part, il en doutait. Mais si tout le monde en parlait, c'était bien que ça existait, non ?

La sonnerie de son appartement retentit. Comme ses parents travaillaient, il se dit aussitôt que ce devait être Chiheb. Après tout, c'était mercredi après-midi, il ne devait pas avoir cours. Il quitta son ordinateur pour aller lui ouvrir la porte, et il ne s'était pas trompé de personne. Son vieil ami se tenait devant lui, un sourire satisfait aux lèvres, et son sac, probablement de cours dans la main.

— Alors ? Cette entrevue avec Abriel ?
— Rentre je vais te raconter.

Il se décala pour laisser Chiheb entrer, et ils se dirigèrent d'emblée vers sa chambre quand il lui dit qu'il n'avait ni faim, ni soif, après la question qu'il lui avait posée. Ils s'installèrent sur le lit crème, alors qu'Abdel décalait son ordinateur pour lui laisser la place de s'asseoir. Les yeux de Chiheb pétillaient, preuve de son impatience non dissimulée, et cela le fit franchement sourire. Finalement, il ne leur avait pas fallu longtemps pour retrouver leur complicité. Il s'en réjouissait. Peut-être que désormais, il se sentirait moins seul. Parce que oui, la solitude l'étreignait bien trop souvent. C'était un sentiment diffus, celui d'être seul au monde. Alors qu'il savait que c'était faux, il avait Abderhamane, Hanan et Haziel. Peu de gens au final. Il aimerait dire qu'il s'en contentait mais c'était faux. Il voulait plus, plus de rires, plus de personnalités différentes, plus de gens, tout simplement.

Et cela était en train d'arriver. Parce qu'il avait rencontré Abriel, ainsi que Chiheb. Peut-être pourraient-ils devenir des éléments essentiels de sa vie. Du moins il l'espérait. Après tout, il passait ses journées tout seul enfermé dans sa chambre, ça n'avait rien de réjouissant. Il imaginait souvent la vie des autres adolescents, qui allaient en cours sans vomir ou tomber dans les pommes. Comme ce devait être agréable. Côtoyer d'autres personnes du même âge, apprendre ensemble, passer des récréations, tout ce qu'il n'avait pas. Il n'allait pas jusqu'à dire que l'école lui manquait, après tout, ça faisait cinq ans qu'il était scolarisé à domicile. Mais il n'avait jamais fait l'expérience d'une scolarité ordinaire, et se demandait bien ce que ça pouvait faire. Sûrement du bien, les autres ne se rendaient pas compte de la chance qu'ils avaient. Alors bien sûr, c'était contraignant, peut-être ennuyant, mais c'était toujours moins pire que d'être seul en permanence.

Voilà ce que représentait Chiheb à ses yeux. Tout ce qu'il voulait. Un tempérament agréable, de l'amour, de la joie de vivre. Il représentait aussi tous ses espoirs. Celui d'avoir un jour une vie normale. Il en doutait fort, ce pourquoi ça restait au stade d'espoir. Mais il voulait y croire, ne serait-ce que pour tenir le coup. Ce n'était pas facile tous les jours après tout. Il avait ses coups de blues, comme tout le monde. Mais dans son cas, ça pouvait prendre des proportions énormes. Il pouvait passer une journée allongé dans son lit à pleurer. Il n'osait même pas regarder ses parents dans les yeux avec les siens rougis. D'autant que ça mettait ses parents dans l'incompréhension la plus totale. Alors il tentait de camoufler ses humeurs, mais elles finissaient toujours par revenir. C'était la seule chose qui faisait tache sur son bulletin : il ne rendait pas toujours ses devoirs. C'est pourquoi il était autant impliqué quand il allait bien.

Mais toutes ces élucubrations n'aidaient pas Chiheb à y voir plus clair dans cette soirée passée entre son père, Abriel et Will. Alors il revint à lui, un peu déboussolé d'avoir tant pensé, et finit par mettre fin à son supplice.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant