29. Le choix de la vie

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Dimanche

Abdel se réveilla plutôt de bonne humeur, pour une fois. Peut-être cela était-ce dû à la discussion avec Will, la veille. Même si elle ne s'était pas si bien déroulée que ça, vu comment elle s'était terminée. Mais il avait tout de même passé un très bon moment autour du repas. Ou peut-être était-ce juste le fait d'avoir dormi dans un vrai lit, le sien qui plus ai, en prenant bien toute la place. Peu importait, il s'était levé du bon pied, et c'était tout ce qui comptait.  Il s'étira de tout son long, et s'habilla, ne voulant pas sortir en caleçon. Il mit un simple jogging gris large, et un teeshirt avec un logos, tout aussi ample. Il se souvenait que plus jeune, il haïssait tant son corps qu'il voulait à tout prix le gâcher. Aujourd'hui, il ne portait plus que ce genre de vêtement pour le confort.

Il sortit de sa chambre et alla se préparer du café. S'il y avait bien quelque chose qui lui manquait chez Chiheb, c'était bien ça. Il n'avait pas de machine, et boire du café soluble était la pire insulte à son palais. Comme pour faire des réserves, il en but trois d'affilée, et entendit Will se lever. L'homme arriva avec une tête de déterré, comme s'il n'avait pas assez dormi. Pourtant, la matinée était déjà bien entamée, et ils s'étaient couchés à vingt et une heures. Peut-être avait-il fait une insomnie. Mais vu comment il l'avait vu s'endormir rapidement sur le canapé, ça l'étonnerait. Will le salua, et alla lui aussi d'office vers la machine à café. Il fit couler le liquide brûlant dans une tasse, avant de se tourner vers Abdel :

— Il est quelle heure ?
— Dix heures passées.

Will sembla songeur, comme s'il n'en revenait pas. Mais il n'y avait rien d'étonnant à ça. Voilà plus d'une semaine qu'il dormait sur une chaise à l'hôpital, il avait besoin de récupérer. Will n'avait jamais été un grand dormeur, se contentant d'une demi-douzaine d'heures par nuit. Mais là, son corps devait crier au repos, et il avait bien raison. Will enchaîna :

— Tu as bien dormi ?
— Oui, merci. Et toi ?
— Comme un bébé. Mais j'ai fait beaucoup de cauchemars, même s'ils ne m'ont pas réveillé.

Abdel aussi avait fait des cauchemars. Il se souvenait d'être réveillé dans un hôpital qui ressemblait plus à une prison, coincé entre trois murs et une vitre. Il avait tenté de crier, jusqu'à s'arracher les cordes vocales, mais personne ne lui avait répondu. Il était resté bloqué là-dedans toute sa nuit, à se frapper la tête contre les murs de folie. Pas une nuit très joyeuse en somme, mais c'était toujours mieux que de rêver de Monsieur Couvier ou de Fabien. Il se demanda quels genres de cauchemars pouvaient hanter les nuits de Will. Sûrement pas de jolies choses, puisqu'Abriel était à l'hôpital. Abdel ouvrit le frigo, ne découvrant que des produits périmés. Il commença donc à trier les légumes, se retenant de vomir en voyant la moisissure, puis passa aux produits frais. En voyant Will assis à la table, le regard dans le vide sans toucher à son café, il se dit que s'il ne le faisait pas, personne ne le ferait. Alors beaucoup de choses passèrent à la poubelle, y compris du pain rassis avec lequel il avait eu l'espoir de se faire une tartine. Quelle blague, ils n'avaient même plus de beurre. De toute façon, Abriel détestait ça, disant que c'était de la mauvaise graisse. Mais maintenant que ça carrière de mannequin venait de lui être volée, peut-être qu'il s'autorisera à acheter du beurre. Fabien n'était pas si bête mine de rien. Fou mais pas bête. Il avait attaqué là où il savait que ça ferait le plus mal. Abdel espérait juste que, contrairement à Monsieur Couvier, il n'échapperait pas à la prison en plaidant la folie.

Son œuvre terminée, il rejoignit Will, qui lui faisait bien trop de peine, s'assis à côté de lui, et le pris dans ses bras. D'abord surpris, Will sursauta, avant de lui rendre le geste.

— Ne t'inquiète pas, je suis sûr que tout va bien se passer.

Abdel ne se connaissait pas tant de pensées positives. Il était plutôt du genre pessimiste, et voyait toujours la coupe à moitié vide. Mais il avait envie d'être plus fort que ça, pour Abriel et pour Will. Pour Chiheb aussi. Pour que tous soient fiers de lui.

— Il a déjà eu une greffe de peau, apparemment, ça cicatrise bien. Mais combien de temps ça va prendre ? Il en a pour des mois et des mois, et même, plus rien ne sera jamais pareil.
— On fera face tous ensemble, on sera là pour lui. Abriel a déjà vécu bien pire dans sa vie, ce n'est pas ça qui va l'abattre.
— Tu ne l'as pas connu dans ses périodes sombres.

Will avait raison. Abriel allait bien depuis qu'ils se connaissaient. Il ne l'avait jamais vu au plus bas, tout ce qu'il savait de cette période, c'était ce qu'il avait lu sur internet.

— Ce n'est pas les nombreux abus qui l'ont mis à terre, c'est la mort d'Etienne, son meilleur ami. Le seul proche qui lui restait. Il en a beaucoup souffert, et a voulu le rejoindre pour continuer à être avec lui.

Abdel hocha sa tête nichée contre l'épaule de Will. Il connaissait l'histoire, mais pas dans les détails, et n'était pas au courant de ça. Ils n'en parlaient jamais, comme lui ne parlait jamais de Monsieur Couvier. Mais savoir que ce n'était pas les nombreux viols d'Abriel avaient subi qui étaient responsables de ses tentatives de suicides, mais bien la mort de son meilleur ami, lui redonna plus d'aplomb. Il dit d'une voix affirmée :

— Alors tu vois ? Tant que tu es là, Abriel saura se relever. Il est comme un guerrier, il lui en faut beaucoup pour le tuer. Et ce ne sera certainement pas Fabien qui y arrivera.
— Tant que tu seras en vie aussi, Abdel.

Son souffle se coupa. Il n'avait jamais pensé à ça quand il s'était mutilé. Jamais. Il n'avait pensé qu'à lui, et à la douleur qu'il ressentait sur le moment. Il ferma les yeux, tentant de faire taire cette culpabilité assourdissante. Ce n'était pas le moment. Il ne vivrait que pour lui, mais aussi pour ne pas infliger de deuil à ses proches. Parce qu'il le méritait, parce qu'il savait ce que ça faisait de perdre des gens proches. La mort de ses parents l'avait anéanti. Il avait mis de longs mois avant de se relever, et était allé batifoler pour oublier cette histoire. Il avait rencontré beaucoup d'hommes, souvent plus âgés que lui, pour s'envoyer en l'air et réduire à néant son passé. Pour redevenir une page blanche, et être remplie par des instants de plaisir.

Il finit par lâcher Will, et débarrassa sa tasse de café. Il retourna dans sa chambre et regretta de ne pas avoir pris son carnet pour écrire un poème. Tant pis, il s'occupa sur les réseaux sociaux, puis retourna dans la cuisine pour préparer à manger. Il passa à table avec Will et le prévint qu'il voyant une amie cette après-midi. Il avala avec entrain ses brocolis, et partit en vitesse après avoir dit à Will de prendre soin de lui. Il rejoignit Anissa à son appartement, et elle l'accueillit avec un câlin. Ils allèrent se poser dans le salon, sur les plaids et le matelas posés par terre. Anissa ne lui laissa pas le temps de dire quoi que ce soit qu'elle lui demanda :

— Tu comptes me dire ce qui cloche en ce moment ?
— Hein, comment ça ?
— Tu sembles ailleurs, tu as fait une crise d'angoisse monstrueuse en boîte la dernière fois, tu ne me racontes plus ta vie... tu me caches quelque chose.

Il était vrai qu'Anissa n'était peut-être pas au courant de ce qu'il était arrivé à Abriel. Il partait du principe que ça avait fait le tour de la presse, et que par conséquent, tout le monde était au courant. Mais il ne se rappelait plus avoir dit qu'il connaissait Abriel, alors même si elle était au courant, elle ne pouvait pas savoir que ça l'impliquait directement.

— Tu vois Abriel De Poitrotier ?
— Euh... le mec qui s'est pris de l'acide dans la tronche ?
— Ouais, merci pour ta délicatesse. Bah c'est lui qui m'a adopté à la mort de mes parents. Je vis chez lui et son mec depuis.
— Oh merde...

Abdel s'allongea sur le matelas, ne voulant pas voir le regard d'Anissa. Il la sentit tout de même faire pareil, s'allongeant de sorte à ce que leurs épaules ne se touchent.

— Je désolée, je ne savais pas. Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? Je ne m'y suis pas vraiment intéressée en fait...
— Je t'ai déjà parlé de ce qu'avait fait Fabien ?
— Ouais.
— Bah en fait, il a trouvé que c'était une bonne idée de jeter de l'acide au visage d'Abriel en représailles...
— Oh merde !

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant