27. Les sentiments

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Vendredi

Abdel avait passé sa journée seul, en attendant le retour de Chiheb. Il s'était bien reposé, et avait beaucoup pensé. Il se sentait prêt à appeler Will pour avoir des explications, et décider après ce qu'il ferait de cette culpabilité. Parce que mine de rien, cette honte l'empêchait d'avancer. La preuve, il en était venu à se mutiler. Il avait touché le fond, il ne lui restait plus qu'à remonter la pente. Mais c'était difficile. Gravir la montagne lui arrachait les ongles, le faisait parfois chuter, mais il tiendrait bon. Il s'en faisait la promesse, comme il l'avait fait à Chiheb. Quand il était adolescent, il avait décidé de ne vivre plus que pour lui, il serait temps de l'appliquer.

Chiheb était arrivé en fin d'après-midi, et depuis il chantait, pendant que Chiheb jouait de la guitare. Leur petit rituel en somme. Il poussait sur sa voix qui craquait sur certaines notes aiguës, mais ça ne rendait pas si mal. Cela faisait une heure qu'il chantait, et ça lui faisait du bien. À Chiheb aussi, il le voyait bien sourire en coin. Debout face à la table, il lisait son carnet, se souvenant parfaitement quelle note allait avec quel mot. Il avait passé des heures à écrire pour se vider la tête, sans faire attention à si c'était beau ou non, si ça rimait ou non. Parce qu'il n'en avait pas grand-chose à faire. Il écrivait ces chansons pour lui, et non pour les autres. Partager ses chants avec Chiheb n'était qu'un plus, et puis, ça lui faisait plaisir de lui faire plaisir. La dernière note de guitare résonna, et Abdel expliqua qu'il avait terminé son carnet. Chiheb hocha la tête et posa sa guitare, alors qu'Abdel s'asseyait sur le matelas gonflable.

— De qui tu parles dans tes chansons ?

Abdel, gêné, se gratta la nuque en fermant son carnet. C'était le dernier, et donc les derniers poèmes parlaient de lui. Lui qui avait retrouvé, lui qui l'avait à nouveau accepté dans sa vie, et qui lui offrait un endroit où se réfugier.

— De toi.

Chiheb sourit, en le regardant droit dans les yeux. Il semblait sincèrement touché, et peut-être aussi fier, ou quelque chose comme ça. Cette flamme dans ses yeux était magnifique, il était heureux d'en être à l'origine. Il aurait voulu ne la voir jamais s'éteindre. Il sentait quelque chose gonfler dans sa poitrine, ça faisait mal, mais c'était à la fois tellement agréable. Il ne savait pas nommer cette sensation, mais il se rappelait l'avoir déjà ressenti à l'époque, quand il avait seize ans. Chiheb finit par dire, sans briser le contact visuel :

— Tu devrais faire un album un de ces quatre.
— Hein ? Mais pourquoi faire ?

Il ne comprenait pas ce changement brusque de sujet, lui qui était parti loin dans ses contemplations. Chiheb venait de le rappeler sur Terre. Il aurait voulu rester au pays des rêves.

— Bah... tes chansons sont bonnes, ce serait dommage de ne pas les partager.
— Personne ne voudra signer pour moi.
— Quand je travaillerais dans un label, je pourrais te faire signer ! Ça me ferait plaisir tu sais.

Il fondait, Chiheb avait cet effet là sur lui. Il arrivait à le convaincre de faire les choses, avec juste quelques mots. En fait, c'était autre chose. Il était prêt à tout lui offrir. Ne serait-ce que pour voir son sourire. Il abdiqua :

— Ok, j'y réfléchirai.
— Chouette !

Chiheb lui sauta au cou et l'embrassa sans crier gare. Sous la surprise, Abdel ne put répondre, et Chiheb sembla revenir à lui, se détachant avec une moue gênée. Ils étaient toujours en pleine période d'incertitude, ils ne savaient pas où ils allaient. C'était perturbant, Chiheb n'était pas le seul à être mal à l'aise. Il hésita, avant de lui dire :

— Abdel, je crois qu'il y a quelque chose qu'il faut que tu saches...

Il le sentait mal. Rien que le fait que Chiheb eut dit son nom, ça s'annonçait mal. Ce « Abdel » indiquait une conversation sérieuse, et ça ne lui plaisait pas.

— En fait, je crois que je suis en train de tomber amoureux de toi, encore.

Son cœur rata un battement, avant de s'affoler. Chiheb l'aimait. Il l'aimait. Lui, l'enfant maudit responsable de la mort de ses parents. Lui, le jeune adulte qui n'avait rien d'autre à faire de sa vie que d'aller batifoler à droite à gauche. Lui, le mec le moins fiable possible. Comment pouvait-il toujours être amoureux de lui ? Il comprenait que sa naïveté avait pu lui plaire étant plus jeune, mais aujourd'hui ? Il n'était plus le même, et n'avait plus rien pour plaire. D'autant qu'il savait que Chiheb n'était pas comme les autres, il n'était pas intéressé que par le sexe. C'était purement sentimental. Alors Abdel ne sût que répondre, et resta bête. Chiheb eut un sourire gêné, avant de conclure :

— Alors s'il te plaît, ne joue pas avec moi.
— Je ne joue pas !

Abdel s'écria, mais il ne put faire autrement. Rien que la pensée de faire du mal à Chiheb lui était insupportable. Jamais il ne s'abaisserait à de tels actes. Mais en fait, il l'avait déjà fait, la fois où il était chez Timothy et qu'il l'avait bien regardé dans les yeux avant de coucher avec lui. Ou la fois où il avait couché avec lui plus jeune, pour lui dire adieu juste après. Ou encore la première fois qu'il l'avait embrassé, la semaine dernière, juste pour un besoin d'affection. Il n'avait cessé de jouer avec Chiheb, mais il était toujours là. Alors quand ce dernier lui envoya un regard évocateur, il déglutit, et lui répondit :

— Je sais que je t'ai fait du mal, que j'ai souvent jouer avec tes sentiments. Mais j'en ai fini de tout ça, j'arrête. Je ne veux plus te faire de mal, je ne veux plus jouer avec toi, je ne veux plus être cette personne-là. Je veux être quelqu'un dont tu seras fier, un homme bien. Alors... je ne pourrais pas te répondre, pas maintenant, mais je te promets d'arrêter cette merde.

Chiheb s'approcha à nouveau, et glissa sa main sur sa joue, approchant sa bouche de son oreille pour lui chuchoter avec un sourire :

— Je suis déjà fier de toi.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant