30. Le refuge

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Mercredi

Il s'arrêta de courir uniquement quand il fut arrivé devant l'immeuble. Encore essoufflé, il sonna à l'interphone, mais personne ne lui répondit. Il resta donc devant l'immeuble à attendre. Heureusement pour lui, l'été approchait à grand pas, alors il n'avait pas froid avec son maigre teeshirt informe. Cette attente lui permit de se calmer un peu, ainsi que de réfléchir.

Il était perdu, totalement perdu. Jamais il n'avait été si agressif, avec quiconque. Ce n'était pas son genre. Il aimait être gentil, c'était une qualité pour lui, chez lui. Alors qu'il en avait si peu. Il voulait n'avoir rien à se reprocher, car il n'en finirait plus de culpabiliser. Parce que la vérité, c'était qu'il se détestait. Il haïssait tout chez lui. Son corps immonde, ses aptitudes médiocres, sa faiblesse rageante. Rien n'allait chez lui. Alors il s'était efforcé depuis tout petit à être gentil, pour éviter que les gens ne se rendent compte qu'il était mauvais dans le fond. Peu importait si les gens en profitaient, lui n'avait rien fait de mal.

Or, il avait fait tout l'inverse. Il s'était montré blessant, insultant. Ses parents devaient être mort d'inquiétude. Alors que dans le fond, ils n'avaient fait que ce qu'ils avaient pu. Ils ignoraient tout de son mal-être, alors ils faisaient avec ce qu'ils avaient. Mais lui, il leur reprochait que le négatif, sans faire attention au positif. Il avait la chance d'avoir des parents qui l'aimaient, pourquoi il cherchait plus loin ? Il devait tout à ses parents, tout. La vie qu'il avait, la vie tout court. C'était grâce à leur argent qu'il avait commencé le skate. C'était grâce à leur compréhension qu'il avait quitté l'école. Et il les aimait, bon sang qu'est-ce qu'il les aimait. Alors pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'il s'était montré indigne de la sorte ? Il ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait, et ça lui faisait peur.

La nuit était tombée, et il attendait toujours. Assis par terre, il commençait à désespérer quand une voix l'interpella :

— Abdel ! Mais qu'est-ce que tu fais là ! Il est quatre heures du matin !

Il tourna la tête vers Abriel, comme s'il était dans un autre monde. Will était juste derrière lui. Les deux le regardaient comme s'ils avaient vu un fantôme. Il n'était pas loin d'en être un, après tout. Il commença à voir flou, comme si ses yeux tremblaient. Mais non, ce n'était que des larmes. Il ne savait pas qu'il avait attendu aussi longtemps, ni qu'il était aussi tard. A la réflexion, il aurait pu lui arriver des tas de choses graves. Mais qu'importait, il était sain et sauf, et Abriel était arrivé. Il se releva en titubant, sentant ses jambes douloureuses. Il ne dit mot, alors Abriel ouvrit la porte de son immeuble, l'invitant à entrer, Will sur les talons.

Ils montèrent les marches ensemble. Les deux hommes avaient l'air exténué. Il se demanda ce qu'ils avaient fait pour être aussi fatigué, et rentrer aussi tard. Alors il posa la question à Will, ses premiers mots depuis qu'ils étaient arrivés, qui lui dit qu'ils étaient sortis en boîte. Ça lui fit bizarre, de se dire que les gens pouvaient s'entasser dans ce genre d'endroit sans craindre pour leur santé mentale. Lui ne savait pas s'il en serait capable. Mais quelque part, ça lui faisait envie. Il ne savait pas pourquoi, peut-être parce qu'il voulait vraiment être comme les autres. Quelqu'un de normal. L'idée lui trotta dans la tête, au point qu'il songea à y aller avec Chiheb. Seulement, ils avaient des têtes d'adolescents, ils ne rentreraient jamais. C'était à voir.

A peine arrivés, Abriel demanda à Will de préparer la chambre d'ami. Il n'avait pas son sourire habituel, comme s'il n'avait plus la force de faire semblant. Alors un peu hésitant, Abdel lui demanda :

— Tu vas bien ?
— Sale semaine.

C'était vague, il ne pouvait pas lui en vouloir. C'était le genre de chose qu'il répondait lui aussi. Puis, quand Abriel alluma la lumière, il fut surpris de découvrir un coquart sous son œil droit. Horrifié, il s'empressa de lui demander :

— Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?

Abriel soupira.

— Pas grand-chose. Ne t'inquiète pas.

Voyant que ses mots ne suffisaient pas à rassurer l'adolescent, trop intimidé par la blessure, il finit par s'expliquer :

— Mon frère est en pleine crise. Il a pété les plombs et m'a frappé. Si Will n'avait pas été là, ça aurait pu être bien plus grave... enfin bon, il a de nouveau été interné, et moi j'ai perdu un contrat sur deux ans parce qu'on a cru que je m'étais battu, et j'ai dû faire une interview avec un fond de teint qui ne camouflait pas suffisamment le bleu. Bref, une sale semaine.

Sous tant d'information, Abdel ne sut que répondre, et garda le silence. Il eut de mal à imaginer Kahre battre Abriel qui était beaucoup plus grand que lui. Après tout, il avait plutôt un petit gabarit. Et puis, il lui avait semblait tellement enthousiaste la dernière. Mais les gens pouvaient tous être des enflures, il ne fallait pas qu'il l'oubli.

— Pourquoi tu restes en contact avec lui s'il est violent avec toi ?

Abriel soupira à nouveau.

— C'est mon frère, et ma seule famille. Il comptait beaucoup pour moi quand j'étais petit, alors c'est compliqué. Je ne connais pas mes parents, ma sœur a coupé les ponts avec nous, on est plus que deux.

Il sous-estimait probablement les liens du sang. S'il pensait à Léo, bien qu'au début ça avait été compliqué, ils avaient rapidement fini par bien s'entendre. Juste parce qu'il partageait le même ADN, au final. Et puis, il n'était même pas au courant qu'Abriel avait une sœur. C'était déroutant comme histoire. Puis il pensa à son frère, qu'il avait osé frapper, et se dit qu'en fait, il n'était peut-être pas si différent après ce qu'il avait fait à ses parents. Abriel alla s'assoir sur le canapé, et Abdel le suivit.

— Mais dis-moi plutôt ce que tu fais là.
— Je me suis disputé avec mes parents.

Abriel reporta toute son attention sur lui. Abdel n'osait pas trop le regarder, intimidé par son œil au beurre noir. Il poursuivit :

— En fait, je ne les avais pas prévenus que je dormais chez toi la semaine dernière. Enfin si, non... je leur ai dit que je dormais chez un ami, mais après j'ai arrêté de leur donner des nouvelles. Et puis je suis allé à une soirée, et j'ai pris de la cocaïne... je suis rentré chez eux complètement défoncé, alors ils m'ont interdit de sortir. Mais aujourd'hui, je suis sorti voir mes amis, pensant qu'ils rentreraient plus tard. Mais ils étaient rentrés avant moi. Du coup, on s'est disputé, je me suis pratiquement battu avec mon père, et j'ai fugué.

Abriel garda le silence, regardant au loin, vers la télévision éteinte. Abdel pensa un moment qu'il ne dirait rien, mais il finit par répondre :

— Je t'accepte ici ce soir parce qu'il est tard, mais les prochaines fois ne viens plus dormir ici. On pourrait avoir des problèmes si tes parents ne sont pas d'accord.

Il hocha la tête, comprenant parfaitement. Will arriva à ce moment-là, sa chambre était prête. Il alla se coucher, espérant qu'il ne se ferait pas réveiller par Monsieur Couvier en plein milieu de la nuit.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant