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MardiAujourd'hui, ses parents rentraient. Ces deux derniers jours, il les avait vécu comme hors du temps. Entre les examens médicaux, les interrogatoires de polices, la fouille dans son appartement, il n'avait pas eu une seconde pour réaliser ce qu'il s'était passé. Par chance, il avait une tante, tante Wijdene, qui habitait en banlieue de Lyon, et qui avait put être présente pour signer les papiers. Ses parents avaient rapidement appris la nouvelle -si on pouvait qualifier une séquestration et des viols répétitifs une nouvelle- et avait tout fait pour être présents le plus tôt possible. Mais Abdel ne savait pas quelle avait été leur réaction, et ça lui faisait peur. Il ne voulait pas lire le dégoût dans leurs regards.
Depuis qu'il était rentré chez lui, il ne parlait plus. Il avait déjà suffisamment parlé à l'hôpital et au poste de police. Il avait dû tout raconter, dans les moindres détails, et il avait détesté. Ces moments n'appartenaient qu'à lui, c'était son secret qui venait d'être dévoilé au grand jour. Et ça le faisait tellement, mais tellement souffrir. Il se sentait trahi par le système qui n'avait pas voulu le laisser tranquille. D'autant qu'au final, cela n'allait peut-être servir à rien, étant donné qu'ils ne l'avaient toujours pas retrouvé. Tout ce que ça avait fait, c'était détruire sa vie.
N'en pouvant plus de rester dans son lit à attendre de voir la déception de ses parents, il se leva, s'excusa auprès de Wijdene et sortit. Il n'avait qu'un endroit où aller. Alors il marcha longtemps, jusqu'à cet immeuble devenu familier. Par chance, une personne sortie et il put rentrer sans sonner. Il gravit les escaliers comme s'il montait l'Alaska, avant de toquer à la porte. Abriel lui ouvrit la porte et ne put cacher sa surprise.
— Abdel... tu sais bien qu'on ne peut plus se voir...
Il ne lui en fallut pas plus pour se jeter dans ses bras et éclater en sanglots. De lourds sanglots, du poids d'une montagne. Et des larmes semblables à un fleuve slalomant sur ses joues. Il était anéanti. C'était comme si toutes les émotions qu'il avait ressenti durant cette semaine de l'enfer refaisaient surface pour l'achever. Abriel recula sous l'impact avant de fermer la porte, le prenant à son tour dans ses bras. Abdel le serra fort, autant qu'il le fallut pour qu'il soit sûr qu'il n'allait pas disparaître. Il n'y avait qu'Abriel qui pouvait le comprendre à cet instant. Les jambes flageolantes, il se laissa glisser au sol, Abriel l'accompagnant. Celui-ci se mit à caresser doucement sa tête. Et là, Abdel lui dit tout. Le baiser de Chiheb. L'arrivée de Monsieur Couvier. Les viols. Chiheb qui les avait surpris. L'hôpital. La police. Il ne rentra pas dans les détails, il avait suffisamment été humilié comme ça. Mais cela suffit à Abriel pour comprendre tout ce qu'il avait endurer. Ils restèrent longtemps dans cette position, jusqu'à ce qu'épuisé de pleurer, Abdel s'endormît.
Il se réveilla en sursaut quand une main lui toucha l'épaule. Il cria, et recula, tombant du lit dans lequel il était. En ouvrant les yeux, il vit qu'il ne s'agissait là que de ses parents. C'était à leur tour de pleurer. Leurs visages étaient déformés par les larmes. Ce fut d'abord Hanan qui prit la parole.
— Mon chéri, tout va bien c'est fini.
Il resta tout de même à une distance raisonnable, effrayé, et toujours au sol. Alors que sa mère lui chuchotait des paroles rassurantes, Abderhamane lui demanda :
— Mon fils... je suis tellement désolé. On aurait dû te protéger. Mais... pourquoi tu ne nous as rien dis ? On nous a expliqué qu'il avait... qu'il avait abusé de toi en primaire ! En primaire ! Comment tu as pu nous cacher ça ?
Il avala difficilement sa salive. Il pouvait entendre plusieurs émotions dans la voix de son père. De la tristesse. De la colère. De la trahison. De la haine. Du dégoût. De l'impuissance. De la culpabilité. Une avalanche de sentiment qui brouillait leurs paroles et leurs jugements. Mais il ne savait pas lesquelles de ces émotions lui étaient destinées, et ça le terrifiait. C'était le moment, il devait tout avouer. Mais il n'était toujours pas prêt. Il venait de vivre une nuit de cauchemar, il ne pouvait pas à nouveau replonger dans l'horreur. Il lui fallait désormais poser des mots sur ses maux. Il se lança, incertain quant à ceux qu'ils allaient utiliser.
— Abder'... Hanan... je... je suis désolé. J'ai tellement honte...
Son père s'approcha mais il recula encore, alors il se figea, semblant comprendre.
— Mais de quoi ? Tu es une victime, mon fils. Tu n'as rien à te reprocher.
— Bien sûr que si ! Je... je me suis laissé faire ! Je n'ai rien fait pour empêcher ça !Ses parents semblaient si démunis face à lui. Sa mère étouffa un sanglot, avant de prendre la parole.
— Mon ange, tu n'avais que dix ans. Et aujourd'hui encore, tu n'as que seize ans. Ce que tu as vécu, c'est... c'est une épreuve affreuse qu'aucun enfant ne devrait avoir à subir. Tu n'as rien à te reprocher.
La boule au ventre, il demanda, juste pour être sûr :
— Alors vous ne me détestait pas ?
— Mon fils, bien sûr que non !Cette fois, il s'autorisa à les approcher et fondit dans leurs bras. Ils le rattrapèrent tant bien que mal, le serrant fort contre leurs corps. Toujours dans l'étreinte, son père demanda :
— Mais je ne comprends pas... pourquoi tu es venu chez Abriel ? Alors que tu savais qu'on arrivait ?
Abdel renifla, sentant que les larmes n'étaient pas loin. Mais il avait beaucoup trop pleuré ces derniers temps pour qu'il lui reste une quelconque larme.
— Parce que c'est le seul qui me comprends. Lui aussi il a été... enfin vous avez compris. Et il a tout de suite compris en me rencontrant que c'était mon cas aussi. Alors je ne sais pas pourquoi, mais je me sens connecté à lui, je me sens en sécurité quand je suis ici. Et je me sens plus fort.
— Je comprends mieux, on ne t'interdira plus de le voir. Mais on veut que tu sois autant à l'aise avec nous qu'avec lui. Tu n'as plus à t'en faire, ils vont le rattraper et il ira en prison pour tout ce qu'il t'a fait.Il hocha la tête et se sépara d'eux. Il se sentait mieux, maintenant qu'il savait qu'il ne dégoûtait pas ses parents, et qu'Abriel n'aurait plus de problèmes.
— Allez viens, on rentre à la maison. Léo t'attends.
Il était mitigé. D'un côté, il ne voulait plus jamais remettre les pieds dans cet appartement. C'était là qu'il avait vécu les pires atrocités, et il ne pouvait s'empêcher d'y penser. Mais de l'autre, il voulait vraiment voir son frère. Alors il accepta, mais se dit qu'il ne restera pas longtemps. Avant de partir, il fit un câlin à Abriel, et sortit avec ses parents. Le trajet en voiture lui parut si long, tant le silence était pesant. Sa mère continuait de pleurer, et son père n'en était pas loin. Il s'en voulait de leur causer tant de malheurs. En arrivant, il courut pour rejoindre son frère qui parlait avec Wijdene et lui sauta dessus. Léo l'intercepta, et le serrant fermement contre lui. Sa tante et ses parents les laissèrent pour plus d'intimité. Toujours dans l'étreinte, Léo lui chuchota :
— Je suis désolé, je suis tellement désolé de n'avoir rien vu.
— Tu ne pouvais pas savoir.
— J'aurais dû le voir. Je t'ai déjà parlé dans mon ami. Mon ancien meilleur ami. Lui aussi avait été...
— Ne dis pas le mot.
— D'accord, je ne le dirais pas. Mais il avait vécu des choses similaires. Alors j'aurais dû voir les signes. Je m'excuse, Abdel. Je m'excuse sincèrement de ne pas avoir été là pour toi.Il ignorait cette partie de l'histoire. Mais pour que Léo soit au courant de ça, ces deux là devaient être très intimes.
— Je vais rester quelques jours à la maison. Je ne te lâcherais plus.
Il hocha la tête, soulagé. Léo et Abriel étaient les seules personnes avec qui il se sentait en sécurité. Il voulait que son frère soit avec lui. Il lui avait manqué.
— Je... je vais aller me reposer dans ma chambre, si ça ne te dérange pas.
— Pas de soucis. On se revoit pour le dîner.Il quitta les bras de son frère pour s'enfermer dans sa chambre. Monsieur Couvier avait baissé les stores, et c'était toujours le cas. Alors il ouvrit en grand la fenêtre, malgré la chaleur du mois de juillet. Il ne voulait plus entendre parler de cette histoire, et pourtant, Monsieur Couvier était toujours là, derrière lui. Désormais, il ne savait plus ce qui était réel ou imaginaire. Et il se dit que ce serait le cas pour le reste de sa vie.
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PHOBIA TO EUPHORIA
RomanceAbdel n'allait pas bien, il était hanté. Il était seul, appréhendait la vie difficilement et ne parvenait pas à se défaire de ses angoisses. Mais sa vie était sur le point de basculer au fil des rencontres qu'il fit, pour le meilleur et pour le pire.