24. La haine de vivre

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Lundi

Un réveil sonna, provoquant un sursaut chez les deux jeunes hommes. Comme la veille, ils s'étaient endormis l'un contre l'autre, Chiheb enlaçant Abdel dans son petit lit une place. La veille, ils n'avaient plus reparlé. Abdel s'était plongé dans un livre et Chiheb dans ses cours. Il n'avait ni parlé de Kahre, ni du baiser. Et c'était tant mieux, Abdel ne voulant pas s'épancher sur le sujet. Dans un moment de détresse, il avait voulu embrasser Chiheb. Ça ne voulait rien dire. Rien du tout. Il avait eu besoin d'affection après cet instant de violence, comme tout être humain. D'ailleurs, il avait toujours mal à la mâchoire. Il se leva, pour laisser Chiheb faire de même. C'était lundi, alors il avait cours. Abdel allait rester toute la journée seul.

Chiheb prit directement la direction de la douche, et Abdel se saisit de son téléphone. Il vit que Will avait tenté de le joindre, alors il le rappela :

— Allô ?
Abdel ? Comment tu vas ?
— Ça va... je viens de me réveiller.
Tu es sûr ?
— Ne t'inquiète pas pour moi.
Je suis désolé pour ce qu'il s'est passé avec Kahre... tu le connais, il était en colère, il ne se contrôlait plus...
— Je sais. Mais il a raison. Si j'avais eu un autre mode de vie que celui-ci, jamais Fabien n'aurait fait ça.
Abdel, on ne va pas revenir là-dessus. Tu n'y es pour rien.

Une larme coula, et Abdel s'emporta :

— Bien sûr que si ! Tout est de ma faute, ça a toujours été de ma faute ! C'est de ma faute si mon père a replongé dans l'alcool, c'est de ma faute s'ils sont morts ! Et maintenant Abriel ! Si j'étais un autre, si je n'existais pas... je détruis tout ce que je touche, je n'aurais jamais dû naître !
Abdel !
— Ose me dire que ta vie n'aurait pas été mieux si tu ne m'avais jamais rencontré.

Il y eut un blanc, dans lequel il pouvait entendre la respiration de Will. N'en pouvant plus de ce silence, Abdel raccrocha et laissa tomber son téléphone sur le matelas gonflable, toujours assis sur le lit de Chiheb, en larme. Il fit bonne figure quand Chiheb sorti de la douche. Quand il l'interrogea sur les voix qu'il avait entendu, il dit que ce n'était rien, juste des nouvelles de Léo. Chiheb n'insista pas plus. Il prit son sac de cours, et sortit, le laissant plus seul que jamais. Dès que la porte claqua, il s'effondra à nouveau, sanglotant comme un enfant. Il frappa son oreiller de toutes ses forces, hurlant sa rage d'être en vie. Il en avait assez, assez de souffrir, assez de vivre un calvaire tous les jours. Rageur, il se leva et alla dans le coin cuisine, s'emparant d'un couteau qu'il plaça sur son avant-bras d'office. Il prit une grande inspiration, et découpa sa chair. Ça ne lui fit même pas mal. Il réitéra son geste à plusieurs reprises, jusqu'à enfin calmer son cœur. Cinq coupures sanglantes se trouvaient sur son bras, pas assez profondes pour nécessiter des points de suture, mais assez pour faire couler beaucoup de sang qui se retrouvait désormais par terre. Reprenant ses esprits, il courut jusqu'à la salle de bain et fouilla dans le placard, où il trouva un bandage qu'il serra autour de son bras. Ainsi, son crime était invisible. Il nettoya ensuite le sang au sol, ce qui lui prit tant de temps. Il se changea, enfilant un pull qui cachait ses avant-bras. Il soupira.

Et puis, d'un coup, il se souvint. Il se souvint qu'il était mannequin, et que ce qu'il venait de faire allait lui laisser des cicatrices. Qu'est-ce qui lui était passé par la tête ? Il était à bout, il avait encore tout gâché. Il s'assit sur le lit de Chiheb, le regard dans le vide. Il vit du coin de l'œil son téléphone s'allumer et dévoiler le numéro de Will, mais ne bougea pas. Il était perdu, ne savait plus quoi faire. Sinon, il pourrait déranger Chiheb, lui dire de rappliquer, mais il se retint. Il avait suffisamment l'air pathétique comme ça. Et puis, déjà qu'il l'hébergeait, il n'allait pas en plus lui demander de sécher ses cours.

Quand cela devint presque vital, il se leva et saisit son carnet, fouillant dans le bazar pour trouver un stylo noir. Là, il commença à écrire.

Tu me compares à un ange, tu m'épaules quand je tombe
Je fais couler le sang goutte par goutte sur ton parquet sombre
C'est évident, n'est-ce pas ?
Il y a le mal en moi

Tes mots me sourient, caresse doucement mon épiderme
Moi je fuis ma vie, même l'amour, mais je t'aime
C'est évident, n'est pas ?
Il y a le mal en moi

Tu éclaires la nuit, ta lumière l'ébloui et me fait perdre la tête
Moi je te trahi dans mes actes suicidaires et bêtes
C'est évident, n'est pas ?
Il y a le mal en moi

Tu détestes quand je pleure, sèches mes larmes d'acide
Moi je fuis le bonheur, pour une existence livide
C'est évident, n'est pas ?
Il y a le mal en moi

Tu papillonnes des yeux, tu me fixes, tu m'attires
Moi j'ai besoin d'eux, pour ne pas voir ma vie périr
C'est évident, n'est pas ?
Il y a le mal en moi

Tes cordes vocales vibrantes font résonner mon cœur
Moi je chante en pleurant, attisé par mes peurs
C'est évident, n'est pas ?
Il y a le mal en moi

Soulagé, il ferma son cahier. Il se sentait bizarre, sa tête tournait. Peut-être parce qu'il avait perdu un peu de sang, mais il avait aussi mal à la tête et il sentait que ses ganglions étaient gonflés. Il tenta de se lever, mais un vertige le prit, et il dut se rassoir. Il crut qu'il finirait par y arriver, mais non, il était à deux doigts de s'écrouler. Alors, plutôt que de tenter l'impossible, il se releva suffisamment longtemps pour se laisser tomber sur son matelas. Il n'osait plus bouger, par peur d'être à nouveau affaibli, alors il resta toute la journée allongée, à ruminer. Il était à bout quand vers dix-sept heures, Chiheb revint. Il ne bougea toujours pas, alors son ami vint à lui.

— Abdel ? Ça va pas ?
— Je suis malade... je crois que j'ai de la fièvre.
— Oh merde...

Chiheb s'assit en face de lui, et continua :

— Les grands brûlés sont très sensibles aux infections, aux bactéries et aux virus... tu ne pourras plus retourner voir Abriel.

Abdel haussa les épaules. De toute façon, après ce qu'il s'était passé avec Will et Kahre, il n'avait plus aucune raison d'y retourner. Il ne savait même pas ce qu'il allait faire. Il ne pouvait pas rester indéfiniment chez Chiheb, comme Will ne pouvait pas rester à vie à l'hôpital. S'il rentrait, ils allaient forcément se croiser. Et Abdel n'en était pas capable pour le moment. Il avait trop souvent déçu Will, voilà le clou du spectacle. Il avait détruit sa vie et celle d'Abriel, il devait en payer les conséquences.

— Qu'est-ce que tu as ?
— J'ai mal à la tête, j'ai de la fièvre et des vertiges, et j'ai mal à la gorge.
— T'as peut-être une angine ou un truc du genre... faut que tu ailles voir un médecin.
— Pas la peine.

Chiheb soupira, mais abdiqua et dis simplement :

— Je vais aller te chercher quelque chose à la pharmacie.

Chiheb sortit en claquant la porte. Abdel attendit de longues, trop longues minutes, durant lesquelles il se mit à désespérer. Il avait rarement été aussi malade, d'habitude, il se chopait un rhume et c'était tout. Mais pas cette fois, il n'avait plus aucune force. Quand Chiheb revint, il lui donna un cachet d'ibuprofène, ainsi qu'un verre d'eau, lui expliquant que sans prescription, il n'aurait pas mieux. Ça ferait très bien l'affaire. Il avala son comprimé, et Chiheb le laissa s'endormir.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant