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SamediIl arriva devant le théâtre, un peu mal à l'aise. Il n'était jamais allé voir ce genre de spectacle, même aucun spectacle tout court en fait. Théâtre, danse, musique, rien. Ça ne l'avait jamais vraiment intéressé, il avait trop peur de s'ennuyer. Mais cette fois, il le faisait pour Fabien, alors ça lui faisait plaisir de lui faire plaisir. Il entra dans le bâtiment, paya sa place et suivit les instructions de la jeune femme pour trouver la bonne salle. Elle était grande, lumineuse avec des fauteuils rouges, comme il se l'imaginait. Elle était déjà noire de monde, ce qui l'intimida un peu. C'était un grand théâtre, et une grande salle. Fabien devait avoir beaucoup de succès. Il regarda le petit feuillet qu'on lui avait donné et vit qu'il s'agissait d'une pièce de Jean Paule Sartre, Huis Clos. Il l'avait déjà étudié quand il suivait encore ses cours en correspondance.
Le spectacle commençait, et il prit une grande inspiration. C'était partie pour une heure et demie de théâtre, il ne savait pas s'il allait aimer. Mais plus le temps passait, plus il se prenait dans l'histoire. Bien qu'il la connaissait déjà, il l'avait lu il y a de ça plusieurs années et redécouvrait la pièce en étant jouée, ce qui changeait pas mal de chose. C'était plus vivant, plus immersif, et franchement plus passionnant. Il suivit l'histoire de Garcin, Inès et Estelle avec attention. Si bien que quand les applaudissements s'élevèrent, il n'avait même pas vu le temps passé. Il se leva pour applaudir, ayant apprécié le moment. Fabien devait être doué dans sa discipline pour construire un spectacle aussi complet et parfait.
Après le rappel, il quitta la pièce, sortant du théâtre pour aller s'allumer une cigarette devant l'entrée, regardant les spectateurs sortir en parlant de ce qu'il venait de voir. Il attendit longtemps, fumant trois cigarettes, jusqu'à ce que Fabien ne fasse son apparition. L'homme le rejoignit d'un pas tranquille, les mains dans les poches de son pantalon de costume, un sourire facile aux lèvres. Contrairement à d'habitude, il ne le salua pas en l'embrassant, se contentant de se poster devant lui. C'était logique. Il ne voulait sans doute pas mélanger sa vie professionnelle et sa vie privée. À coup sûr, si on les surprenait, les gens allaient jaser. Déjà parce que l'étiquette de l'artiste gay allait lui coller à la peau, mais aussi à cause de leur écart d'âge. Abdel ne s'en offusqua pas, et lui rendit son sourire.
— Alors, la pièce t'a plu ?
— C'était génial !Fabien rit un peu, mettant sa main devant sa bouche. Il était adorable à cet instant. Abdel sentit son cœur s'emballer, et fit de son mieux pour se calmer.
— Viens. Ce soir, je t'amène au restaurant.
— Ce n'est pas la peine tu sais.
— Ça me fait plaisir. Allez, viens.Avec un sourire, Abdel se mit en route, le suivant sans oser lui prendre la main. Ils marchèrent tranquillement, Fabien tenant son regard au loin, alors qu'Abdel tentait toujours d'apaiser son cœur. C'était la première fois qu'on l'amenait au restaurant. D'habitude, ses partenaires se contentaient de le baiser et de le foutre à la porte, rien d'autre. Mais Fabien était différent. Peut-être qu'il faisait cela avec tout le monde, mais même si c'était le cas, ça faisait plaisir à Abdel. Il avait l'impression de compter pour quelqu'un, et ce n'était pas rien. Ils arrivèrent devant un restaurant joliment décoré et épuré. Un semi gastronomique. Il ne s'était pas foutu de sa gueule sur ce coup-là. Fabien donna son nom à la serveuse et elle leur indiqua leur table. Il avait tout prévu en fait, ayant pris le temps de réserver une table. Ils s'installèrent sur leur table blanche, et la serveuse leur donna les menus. Fabien s'occupa du vin, commandant l'une des bouteilles les plus chères, tandis qu'Abdel choisissait son plat.
— Qu'est-ce que tu vas prendre ?
— Le risotto au safran. Et toi ?
— Le curry à la pomme. Leur risotto est excellent.Ils passèrent commande, et se retrouvèrent face à face, pour parler de la pièce. Abdel expliqua ce qu'il lui avait plu, tandis que Fabien lui donnait quelques anecdotes sur sa construction. Ils passèrent un bon moment, enchaînant les sujets, jusqu'à ce que par mégarde, Abdel sous entende qu'il n'avait pas eu une scolarité normale. Leurs plats arrivèrent et Fabien sauta sur l'occasion :
— Comment ça ? Tu n'es jamais allé au lycée ?
— Non... j'ai suivi les cours par correspondance depuis le collège.
— Comment ça se fait ? Tu étais harcelé ?
— Pas du tout.Abdel se mordit la lèvre, mal à l'aise. Il était en plein dilemme. Devait-il lui avouer ce qu'il lui était arrivé ? C'était si intime, si gênant, si humiliant. Il ne voulait pas que Fabien le voie comme un pauvre petit garçon. Quelque part, il n'avait jamais parlé de ça à personne. Abriel l'avait deviné tout seul, c'était comme ça que ça s'était fait. Chiheb l'avait découvert par hasard, et ses parents et Léo l'avait appris par la police. Ça n'était jamais venu de lui-même. La seule fois où il avait dû tout détailler, c'était au poste de police, pour que Monsieur Couvier aille en prison et le laisse tranquille. Quelle blague. Il avait échappé à la prison en plaidant la folie.
Mais d'un autre côté, il voulait que Fabien soit au courant. Ainsi, il pourrait peut-être mieux le comprendre. Il lui faisait confiance, et voulait que leur relation évolue. Il repensa à la discussion qu'il avait eu avec Anissa. Il ne voulait pas être figé dans le passé. Il voulait aller de l'avant. Il voulait se défaire de l'emprise de Monsieur Couvier. Et quoi de mieux pour ça que de briser le secret ? De rejeter la faute sur cet homme ? De se déculpabiliser un peu ? Il pouvait le faire, il était suffisamment fort pour ça. Alors d'un ton un peu hésitant, il se confia :
— En fait, quand j'avais dix ans, j'avais mon professeur qui m'a demandé de rester après la classe. Et... il m'a violé. Je n'en ai parlé à personne, mais je ne pouvais plus aller à l'école, puisque ça voulait dire passer la journée avec lui. Je faisais des crises pas possibles pour éviter d'y aller, alors quand l'année scolaire s'est terminée, mes parents m'ont inscrit au CNED. Puis, quand j'avais seize ans, je l'ai recroisé. Un jour, il m'a suivi jusqu'à chez moi, il a attendu que mes parents partent en vacances pour venir chez moi. Il est resté plusieurs jours où il n'a pas arrêté de me violer, de se comporter comme si on était en couple. C'est un ami à moi qui nous a découvert, et qui a appelé la police. Mais il n'est pas allé en prison, il est allé en hôpital psychiatrique. Et... voilà, tu sais tout maintenant.
Il en avait beaucoup dit, plus que ce qu'il n'aurait imaginé. Il se sentait faible d'avoir tout déballé, mais en même temps tellement puissant de surmonter son traumatisme. Fabien lui sourit, il semblait heureux qu'il se soit confié. Il lui prit sa main et l'embrassa, faisait chauffer les joues d'Abdel. Il n'avait pas l'habitude d'une telle tendresse. Il ne savait pas ce qu'il attendait de Fabien comme réaction, peut-être le choc, la surprise ou le dégoût. Mais non, juste ce soutien.
— Laisse-moi venir chez toi. Laisse-moi apprendre à te connaître.
Un sourire aux lèvres, il hocha la tête, acceptant. Tant pis si Abriel ou Will l'entendait cette nuit, il n'avait pas à se cacher d'avoir une vie sexuelle. Il n'avait pas à se cacher d'être qui il était.
— À une seule condition, je ne veux pas que tu rencontres mes parents adoptifs.
Il ne les appelait jamais comme ça, mais c'était la vérité après tout. Il ne voulait pas qu'Abriel ou Will soit mal à l'aise, mais aussi qu'ils s'inquiètent en se rendant compte de leur différence d'âge.
— Pas de soucis.
Il sourit, heureux, alors il se pencha pour l'embrasser chastement avant d'attaquer son plat.
— Bon, ça va refroidir. On mange ?
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PHOBIA TO EUPHORIA
RomanceAbdel n'allait pas bien, il était hanté. Il était seul, appréhendait la vie difficilement et ne parvenait pas à se défaire de ses angoisses. Mais sa vie était sur le point de basculer au fil des rencontres qu'il fit, pour le meilleur et pour le pire.