11. Le malaise de vivre

16 2 0
                                    

••~••
Lundi

— Bon sang, Will ! T'aurais pas pu être encore plus vache avec lui ?
— J'y peux rien ! Je pensais pas qu'il réagirait comme ça !
— T'as vraiment aucun tact. Ah ça y est ! Il ouvre les yeux.

Il papillonna des cils, ne sachant plus trop où il était. Tout ce qu'il savait, c'était que tout son corps était engourdi, comme prit dans du béton, et que deux personnes étaient penchées au-dessus de lui. Un métis aux yeux verts et un blanc, avec un air de cow-boy. Il mit du temps à les remettre et se souvenir d'où il était. Il sentait une main sur son épaule droite, qui caressait doucement sa peau nue. Sa peau nue, il était donc torse nu. En s'en rendant compte, il se releva d'un coup et se cogna contre Will qui jura, cachant son corps de ses bras fins.

— La vache ! Tu pouvais pas faire plus doucement ?
— Arrête. Comment tu te sens Abdel ? Ne te relève pas trop vite.

Sa respiration s'affola, et il chercha du regard son teeshirt. Il avait perdu connaissance, avait perdu le contrôle. Qui savait ce qui aurait pu se passer ? Ou ce qu'il s'était passé ? Il n'osait pas y penser. Tout son corps criait d'angoisse. Abriel dû comprendre son intention puisqu'il se releva, rompant le contact, et alla lui chercher son teeshirt. Il l'aida à l'enfiler, toujours avec ce regard si inquiet. Mais cela ne suffit pas à calmer sa respiration qui continuait à s'intensifier, des larmes perlant de ses yeux bleus.

— Il fait une crise d'angoisse, va lui chercher un verre d'eau.

Will partit, et aussitôt, il se sentit déjà plus en confiance. Will le stressait énormément, il savait que c'était de sa faute s'il était dans cet état-là.

— Je peux te toucher ?

Il fit non de la tête, ne voulant surtout pas qu'on le touche. Dans ces moments-là, il voulait être entouré pour ne pas sentir l'écrasante solitude, mais il ne voulait pas de contact physique. Il préférait qu'on lui parle, même si lui en était bien incapable. Abriel dû le sentir puisqu'il commença à lui poser des questions :

— Ça t'arrive souvent ?

Il hocha la tête. Oui, il perdait parfois connaissance pour un gros contrôle ou quand il allait encore à l'école. Au moins, il n'avait pas vomi, c'était déjà ça. Il ne l'aurait pas supporté et par honte, aurait couper tout contact avec eux. En fait, il ne savait pas pourquoi il réagissait aussi excessivement à des événements si anodin. Au fond, Will, bien que brusque, n'était pas méchant. C'était Abdel qui le jugeait vite, sur ce qu'il renvoyait certes, mais c'était tout de même rapide. De plus, Chiheb avait l'air de croire dur comme fer que c'était quelqu'un de bien, et il lui faisait confiance. C'était d'ailleurs pour ça qu'il lui avait poser toutes ces questions.

— Est-ce que c'est l'attitude de Will qui a provoqué la crise ?

À nouveau il hocha la tête. Petit à petit, sa respiration s'apaisait, bien que toujours vive. Il parvenait à faire baisser le stress ressenti, à reprendre ses esprits. Toujours assis, il fit l'effort de se lever, et Abriel lui indiqua de s'assoir là où Will était quand il était arrivé. En parlant de lui, il débarqua un verre d'eau à la main, qu'il fit passer dans la sienne avec précision pour éviter qu'il ne se renverse. Avec son air déboussolé, il finit par s'excuser :

— Désolé si je t'ai mis mal à l'aise, je suis comme ça, j'arrive pas à me montrer sympathique avec les gens. C'est dans ma personnalité, mais si ça t'a heurté, je suis désolé. Ce n'était pas le but.

Abdel tenta un petit sourire, heureux de recevoir des excuses. Abriel lui lança un coup d'œil et lui demanda :

— Ça te dérange de nous laisser quelques minutes ?
— Pas de soucis.

Et Will quitta la pièce. Abriel reporta sur regard vers lui, regagnant son habituel sourire.

— Bon, je ne pensais pas que les choses se passeraient comme ça. Je ne voulais pas te forcer à quoi que ce soit, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise. En fait, quand je t'ai croisé dans la rue, je me suis dit que tu devais être très seul. Et je ne sais pas, j'ai voulu combler cette absence, parce que j'ai moi aussi été très seul. C'est visiblement un échec. L'histoire des photos n'étaient qu'un prétexte pour te connaître, et peut-être t'aider. Je suis vraiment désolé pour ce qui ait arrivé. Mais tu sais, Will est quelqu'un de très maladroit. Il est autiste, je ne sais pas si ça explique, parce que c'est surtout sa personnalité. Mais il a du mal à faire entrer les gens dans sa vie, la photo c'est tout pour lui. Alors quand ça ne marche pas comme il veut, ça l'agace. Je te dis ça pour que tu comprennes un peu mieux, qu'il n'a pas voulu être méchant.

Face à toutes ces explications, Abdel ne put que se sentir coupable. Coupable de paraître si faible. Coupable d'avoir jugé quelqu'un sur un handicap. Il s'en voulait, mais il voulait surtout gagner des pièces du puzzle. Alors piqué dans sa curiosité, il demanda :

— Comment vous vous êtes rencontré ?

Abriel parue surpris qu'avec tout ce qu'il avait dit, c'était la première question qui lui venait. Mais il garda son sourire et répondu :

— C'est une histoire triste. J'étais en hôpital psychiatrique, et il m'a écrit une lettre qui m'a beaucoup touchée. J'imagine que tu as fait des recherches sur moi, et donc tu sais ce qui m'y amenait... cette lettre m'a vraiment beaucoup touché. Mais dès que je suis sorti de l'hôpital, j'ai récidivé, enfin j'ai essayé de me tuer à nouveau quoi, et le destin l'a placé sur le pont où je voulais sauter. Il m'a plu, et je ne l'ai plus jamais quitté. Sans lui, je serais sûrement mort à l'heure qu'il est.

En effet, c'était une histoire triste, mais Abdel ne la trouvait pas moins jolie. Que la vie remporte victoire sur la mort. Que leur amour soit né d'une détresse et qu'il ait pu aider à reconstruire. Il trouvait ça admirable d'oser faire rentrer quelqu'un dans sa vie après ce qu'il s'était passé, et dans l'état dans lequel il était. Abriel était de ceux qui avait cette force en eux qui les poussaient à s'en sortir. Pas lui. Mais en attendant, il n'avait toujours pas réagi à ce flot d'informations qu'il avait reçu, et réfléchi avant de répondre :

— Tu sais... tu as raison sur beaucoup de chose, et je t'apprécie beaucoup. Mais je ne suis pas sûr de vouloir prendre ces photos, du moins pas tout de suite. Mais si ça te va, on pourrait continuer de se voir ?

Abriel lui donna pour seule réponse un grand sourire, auquel il répondit. Confiant, il finit par avouer :

— C'est étrange, je ressens comme un lien entre nous deux, j'arrive pas à l'expliquer, mais c'est fort, et... je ne sais pas quoi en penser.

Abriel sembla hésiter, puis lui avoua :

— C'est parce que tu n'es pas le seul à avoir été agressé enfant.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant