9. Le dégoût de soi

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L'eau glacée perlait sur sa peau, ruisselant le long de son corps. Il aimait ses douches froides, ça le revigorait complètement, ça gelait sa souffrance. Il savait bien que c'était un choix particulier, d'habitude, les gens préféraient les douches bien chaudes. Ce n'était pas son cas, il aimait le froid, l'hiver et la neige. Il appréciait passer ses doigts au milieu des flocons, sentir sa peau devenir froide et ses membres s'engourdir, comme s'il allait mourir. C'était cette sensation qu'il cherchait à chaque fois, un moment où sa respiration s'arrêtait, et le souffle qui venait juste après. C'était si agréable de penser à la mort.

Mais cette fois-là, il pensait à autre chose. Depuis une semaine, Chiheb venait le voir tous les jours, après ses cours. Il avait la journée de disponible où il travaillait ses leçons, puis comme un rituel, son ami venait le voir, le soir. Il ne restait jamais bien longtemps, mais c'était suffisant. Une heure de contact social. Pour autant, il n'abandonnait pas sa vie d'avant, et continuait à se rendre au skate parc fréquemment. Il voyait Haziel, et lui avait même raconté l'histoire avec Abriel et Will. Son ami avait été surpris, légèrement inquiet, mais n'en avait pas fait un pataquès comme son père. C'était déjà ça de gagné, et puis, il faisait confiance à son ami pour ne pas le trahir, et lui faire confiance.

Avec Chiheb, il se sentait bien. Cela faisait longtemps, depuis Haziel en fait. Il arrivait à rire naturellement, ce qui lui était impossible avec ses parents. Avec eux, il se forçait toujours, pour faire comme si tout allait bien. Mais tout n'allait pas bien. Cette nuit encore, il s'était réveillé à trois heures du matin, sortant du cauchemar habituel. Il avait fait semblant de dormir tout le reste de la nuit pour ne pas inquiéter Abderhamane et Hanan. Il s'en voulait de ne pas réussir à les satisfaire, de ne pas être honnête avec eux, mais c'était plus fort que lui. Il voulait se complaire dans cette image du fils idéal qu'ils lui portaient. Il voulait s'extraire à ses fantômes. Mais il n'y parvenait pas, et c'était tout le problème. C'était tout le problème.

C'était le signe d'une mauvaise journée. Seulement, il ne pouvait pas se le permettre. Parce qu'aujourd'hui, il avait rendez-vous chez Abriel et Will, pour prendre les photos. Il avait hâte, mais sa mauvaise humeur l'empêchait de s'en réjouir pleinement. Il s'en voulait, de ça aussi. C'était une chance de susciter l'intérêt chez de telles personnes, il en avait conscience. Pourtant, son cauchemar avait remis tous ses doutes sur le tapis. Il avait déjà du mal à accorder sa confiance, et avait voulu faire une exception pour ces deux hommes. Il n'y arrivait plus.

Et cerise sur le gâteau, il sentit une sensation étrange s'emparer de son bas ventre. En baissant les yeux, il se rendit compte qu'il bandait. Il ne manquait plus que ça. Il détestait ressentir du plaisir, même si en soi, il ne s'était jamais masturbé. C'était un blocage chez lui, le sexe le répugnait. Ça ne le handicapait pas vraiment au quotidien, vu qu'il n'avait aucune vie sexuelle. Mais c'est dans ces moments-là que c'était le plus gênant. Parce qu'il se détestait. Il se trouvait dégoûtant, d'autant que rien ne s'était passé pour déclencher une telle réaction. La puberté sans doute. Il soupira, déjà lassé.

Il resta encore longtemps sous la douche froide, mais ça ne partit pas. Excédé, il sortit de la baignoire, et retourna dans sa chambre. Il s'habilla d'un simple teeshirt noir et d'un jean troué, avant de s'affaler sur son lit. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire pour faire partir cette chose. La même qu'il faisait à chaque fois. Alors il se mit sur son flanc, et coinça son sexe entre ses cuisses qu'il serra du plus fort qu'il put. Ça lui faisait mal, mais ce n'était rien par rapport à la douleur mentale qu'il éprouvait. Il resta de longues minutes dans cette position, les yeux fermés et les muscles contractés, et quand enfin il se détendit, c'était bon, c'était passé. Il était sauvé, au moins jusqu'à la prochaine fois.

Il s'allongea sur le dos, prenant de grandes respirations pour se calmer et faire le vide. Mais cela ne marcha pas, l'anxiété était en train de prendre du terrain et gagner la bataille. Ça le prenait aux tripes et il eut brusquement envie de vomir. Il se releva d'un sursaut et courut jusqu'à la salle de bain pour déverser son petit-déjeuner dans les toilettes. Ça lui arrivait de vomir de stress, c'était même assez courant. Il détestait ça, mais c'était son corps qui disait stop, il ne pouvait rien y faire. C'était trop dur de continuer comme ça, même s'il n'avait pas le choix. Parfois, il avait envie de mourir. Pas pour ne plus exister, mais pour faire cesser la douleur.

Au fond du trou, il n'allait pas se laisser abattre. Il n'était pas si faible que ça, et cherchait désespérément à s'en persuader. Alors il prit son skate, et sorti sans même fermer la porte. Alors qu'il descendait l'escalier, il croisa Hymen, la sœur de Chiheb. Sur le coup, il fut surpris, puis dégoûté de ne pas être tranquille. Mais ce n'était pas sa faute, il devait se montrer aimable, faire bonne figure, comme toujours. Il sentait son masque se fissurer.

— Oh Abdel ! Tu vas bien ?
— Oui et toi ?
— Tu es sûr que ça va ? Tu es pâle.
— Oui, oui, t'en fais pas.

Il ne dit plus rien, et elle non plus. C'était un silence gênant, comme si Hymen se retenait d'en dire plus. Il commençait à s'agacer de ce mutisme ambiant, mais juste avant de recommencer à descendre, elle l'alpagua à nouveau :

— En fait, demain soir on fait une petite soirée pour l'anniversaire de Chiheb, je pense que ça lui ferait plaisir si tu venais.

Il arrêta tout mouvement, sous le choc. Si lui pensait avoir retrouvé son ami d'enfance, il n'avait jamais pensé une seule minute que c'était aussi le cas de Chiheb. En plus, il n'était pas au courant qu'il fêtait son anniversaire, ni que c'était son anniversaire, il ne lui avait rien dit. Il n'était pas sûr que ce soit une bonne idée de venir, ou si ça lui ferait vraiment plaisir. Alors, pas en état de prendre une décision, il dit simplement :

— J'y penserai.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant