28. La parole ouverte

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Samedi

Abdel soupira. Comme Chiheb était sous la douche, il s'empara de son téléphone. Il ne se laissa pas le temps d'hésiter, et appela Will sans attendre. Il décrocha au bout de deux sonneries.

Abdel ! Bon sang pourquoi tu ne répondais pas ! Tu ne m'as même pas laissé le temps de répondre !
— Désolé, je ne savais plus où j'en étais. Mais ça va mieux maintenant. Écoute, tu es toujours à l'hôpital ?
Oui.
— Rentre à la maison. J'arrive, et on en discute.
Je ne peux pas laisser Abriel tout seul.
— Je suis sûr qu'il s'inquiète lui aussi pour toi, alors tu ferais mieux de te reposer un peu.

Il y eut un silence, durant lequel Abdel se rongea les ongles, avant que Will ne réponde :

Ok, j'arrive.

Abdel raccrocha, se leva et toqua à la porte de la salle de bain. Il n'entendait plus l'eau couler, Chiheb devait être en train de se sécher.

— Oui !
— Je rentre chez moi parler avec Will, je pense dormir chez moi ! Ne m'attends pas ce soir !
— Ok ! Je suis fier de toi !

Avec un sourire, Abdel laissa ses carnets sur la table, mais repris ses vêtements sales pour les fourrer dans son sac. Il s'habilla de son manteau, et calqua la porte en sortant. Il traversa la ville en direction de chez lui, et arriva devant le vieux bâtiment rénové. Il sorti ses clefs, ouvrit la porte de l'immeuble, puis la porte d'entrée. Il vit aussitôt les chaussures de Will dans l'entrée, retira les siennes et s'avança prudemment dans l'appartement. Il trouva Will sur le canapé, les yeux fermés. Il semblait assoupi. Abdel s'assit doucement à côté de lui, avant de secouer son épaule. Will se réveilla en papillonnant des yeux, semblant perdu. Son regard se posa sur lui, et il parut soulagé.

— Abdel...

Will tenta un sourire, et vint prendre sa main. Abdel, qui l'avait pourtant fait venir, ne savait déjà plus quoi dire. Il avait repassé tant de fois cette discussion dans sa tête que sa mémoire n'était plus fiable. Il s'était embrouillé le cerveau tout seul, et ne savait plus où se trouvait la réalité. Comme il gardait le silence, Will commença :

— Tu sais, tu m'as pris au dépourvu quand tu m'as demandé si ma vie aurait été mieux sans toi. J'ai pensé aux premières fois où l'on s'est vu, au jeune adolescent que tu étais, puis à la joie de te voir tous les jours à la maison. De te voir grandir, découvrir le monde, faire tes propres choix et devenir indépendant. J'ai ressenti une bouffée de joie en repensant à tout ça. Tu n'as jamais été un fardeau pour nous, et je pense pouvoir parler au nom d'Abriel. Ça ne fait que quatre ans qu'on se connaît, mais tu as pris beaucoup de place dans nos vies, et on t'aime de tout notre cœur. Alors ne dis plus jamais que tu as gâché nos vies, ou que tu es responsable de ce qu'il s'est passé. Rien n'est de ta faute Abdel. Tu ne pouvais pas savoir ce qui allait se passer, tu l'as admis toi-même, Fabien t'a trompé. Tu n'aurais rien pu faire.

Abdel hocha la tête, les larmes aux yeux. Il s'était fait des idées, et bien trop vite. Il était tellement soulagé. Il ne s'était pas rendu compte qu'il comptait autant pour les deux hommes, alors que c'était évident. Ils l'avaient adopté, ce n'était pas pour rien. Ils s'étaient attachés à lui. Will serra d'autant plus sa main, comme pour lui faire sentir sa présence. Et c'était vrai, Will, Abriel, ils avaient toujours été là pour lui. C'est Abdel qui ne les avait jamais totalement acceptés dans sa vie.

— Pourquoi tu n'es pas revu voir Abriel ? C'est à cause de Kahre ?

Il secoua la tête, sachant que c'était à son tour de s'expliquer.

— Pas vraiment. Je suis tombé malade, et j'avais peur de contaminer Abriel dans son état. Enfin... je ne sais pas si je serais venu même sans ça...
— Kahre est un abruti, il ne sait jamais la fermer. C'est comme ça, on va pas le changer. Il a été très bouleversé par ce qui est arrivé à Abriel, alors il a cherché un coupable. Il n'a pas trouvé le bon.
— Son point de vue peut se comprendre, aussi...
— Non, il n'avait pas à s'en prendre à toi. Il ne va pas discuter là-dessus.

Abdel renifla, sentant une larme couler sur sa joue.

— Pour ce qui est de tes parents... je ne savais pas que t'en voulais encore. Tu veux en parler ?
— Non.

Il n'allait pas encore revenir sur ce qu'il s'était passé avec ses parents. Il en avait suffisamment parlé avec Abriel, et en avait assez de cette histoire. Abderhamane et Hanan avait fait leur choix, mais c'était lui qui les avait poussés à de telles extrémités. C'était comme ça, voilà tout.

— Will, il faut que je te dise quelque chose... je suis allé à l'hôpital ?
— Quoi ? Pour voir Abriel ?
— Non... en fait, je me suis coupé le bras.
— Coupé, tu veux dire... par accident ?
— Non.

Will encaissa comme il put et retira sa main. Abdel ne pouvait pas lui en vouloir. Il avait bien merdé sur ce coup-là.

— Je ne comprends pas... pourquoi ?
— Je ne sais pas... en fait, je ne m'en souviens plus. Je ne me rappelle plus si j'ai juste voulu me faire mal ou si j'ai essayé de me tuer. C'est Chiheb qui s'en ai rendu compte et qui m'a amené aux urgences. J'ai vu une psychiatre là-bas et elle m'a laissé sortir. Mais crois-moi, ce petit séjour m'a bien calmé, je ne recommencerai plus.
— Tu peux le promettre ?
— Je...

Il hésita, et cela suffit à Will pour comprendre. Il soupira. Abdel se mordit la langue, il n'aurait peut-être pas dû en parler. Parce que c'était vrai, il ne savait pas s'il recommencerait ou non. Comme il l'avait dit, passer aux urgences l'avait calmé. Mais pour combien de temps ? Il avait tant de mal à se projeter. Cela faisait longtemps que son esprit lui faisait défaut. Auparavant, il s'évanouissait ou vomissait. Aujourd'hui, il faisait des crises d'angoisses et se mutilait. Rien n'avait changé au final. Il était toujours aussi faible.

Comme Will ne parlait plus, il se releva et alla mettre ses vêtements sales dans la machine à laver, la lançant. Puis il remit de nouvelles fringues dans son sac, le remplissant. Quand il retourna dans le salon, Will dormait déjà. Alors, il allait dans sa chambre, envoya un message à Chiheb pour lui dire que tout c'était bien passé, et un à Anissa pour lui demander si elle était disponible le lendemain. Elle lui répondit par l'affirmative et ils se donnèrent rendez-vous chez elle. Le soir venu, il prépara à manger, et réveilla Will pour qu'il vienne se remplir l'estomac. À hôpital, il n'avait pas dû manger correctement. Il avait même déjà perdu un peu de poids. Ils passèrent un bon repas à discuter de tout et n'importe quoi, se remémorant quelques souvenirs, mais sans parler de ce qu'il s'était passé. Puis vint le moment de se coucher, et Abdel sombra dans un lourd sommeil.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant