••~••
DimancheSentant un corps chaud contre lui, Abdel se réveilla en sursaut. Mauvaise idée, il avait mal au crâne. D'un regard, il comprit alors qu'il s'était endormi sur Chiheb, et que celui-ci ne l'avait même pas dégagé. Un sentiment de culpabilité l'étreignit alors qu'il songea à la nuit désastreuse que Chiheb avait dû faire par sa faute. L'alcool ne lui réussissait décidément pas. Abdel se sentait fiévreux, ou quelque chose comme ça. En tout cas, il n'allait pas très bien. Il roula jusqu'au bord pour se laisser tomber sur le matelas gonflable, laissant Chiheb se réveiller tranquillement. Il mit son avant-bras devant ses yeux, la lumière du jour agressant que trop ses pupilles. Il entendit vaguement Chiheb bouger dans les draps, jusqu'à ce que sa voix endormie ne se fasse entendre :
— Abdel ? T'es passé où...
— Juste à côté.
— Je croyais qu'on avait dormi ensemble...
— C'est le cas.Abdel ne bougea pas d'un pouce. En même temps, cette position lui permettait aussi de cacher sa gêne. Il avait dormi avec Chiheb. Il n'y croyait pas. A croire qu'il avait encore seize ans !
— Tu as mal à la tête ?
— Hum, hum.
— Attends, je vais te chercher quelque chose.Il entendit Chiheb se lever, fouiller dans le bazar qui constituait le petit studio, puis revenir vers lui. Abdel retira son bras, et accueillit avec considération la boîte de paracétamol que Chiheb lui tendait, ainsi que le verre d'eau. Il avala la gélule, et se redressa, ne voulant pas faire la larve toute la journée. Chiheb le regarda faire, avant de déclarer :
— Je vais prendre une douche, hydrate-toi bien.
Alors qu'il faisait demi-tour, se rendant vers la salle de bain, il fit volte-face et lui dit :
— C'était cool de dormir avec toi.
Et il s'enferma. Abdel sentit ses joues chauffer, mais au moins, Chiheb n'était plus là pour le voir. Il voulut se lever pour prendre un nouveau verre d'eau, mais son corps vacilla, le forçant à se rassoir. Ne comprenant pas, il renouvela l'expérience, et cette fois, réussi. Il enchaîna trois verres d'eau avant de se laisser tomber sur le matelas, regardant les notifications de son téléphone. Léo l'avait appelé, les réseaux sociaux l'avait spamé, et il avait reçu deux mails. Le premier était de la pub pour le magasin où il achetait ses cahiers, mais le deuxième était plus intéressant. Il s'agissait d'une marque de vêtements pour qui il avait déjà posé, et qui le recontactait pour une nouvelle collaboration. Ça tombait à pic. Au moins, il n'aurait pas besoin de rechercher du travail. Il renvoya un mail, sachant très bien qu'il ne sera lu que le lendemain au mieux, et rappela Léo. Il crut que quelques choses de grave c'était passé, mais rien, il venait simplement prendre des nouvelles. Son frère lui raconta comment, après leur départ de boîte, Willem avait fini torse nu à danser avec des inconnus, et qu'Hymen et Anissa s'était bien trop rapprocher pour que ce ne soit qu'amical. Abdel étira un sourire, fier d'Anissa qui avait réussi à aborder la jeune femme.
Chiheb sortit de la douche, Abdel prenant sa suite. Durant toute la matinée, Abdel surfa sur les réseaux sociaux, pendant que Chiheb révisait. Le pauvre n'allait pas non plus mettre sa vie sur pause pour lui. Abdel se perdit dans des futilités, regardant des vidéos d'animaux en boucle. Au moins ça égayait sa mauvaise humeur liée à son mal de tête, mais il resta tout de même faible. Le paracétamol finit quand même par faire son petit effet, et il reprit en force deux heures après. Vers midi, Chiheb quitta son ordinateur pour s'affairer à la cuisine, leur préparant des pâtes, repas fétiche des étudiants. Abdel se demanda pourquoi Chiheb n'avait pas de vrai appartement, étant donné que ses parents avaient largement les moyens de payer celui de leurs deux enfants. Alors que son ami égouttait les coquillettes, il demanda :
— Pourquoi tu vis dans une résidence étudiante ? T'aurais pu avoir un appart' pour toi.
Sans se retourner, Chiheb lui répondit :
— C'est moins cher et plus proche du campus. Je n'ai pas l'idée de vivre au crochet de mes parents, même si je n'ai pas le temps de travailler. Alors disons que c'est un compromis. Même Hymen est dans une résidence, plus au sud, du Crous en plus.
Abdel hocha la tête, bien loin du monde des études, du Crous et des amphithéâtres. Déjà plus jeune, il n'avait pas ressenti l'envie de faire des études. Mais maintenant, c'était bien pire. Il se félicitait tous les jours de ne pas avoir suivi cette voie, qui, il le savait, lui aurait causé bien plus de chagrin et de stress. Les études, l'école, ce n'était pas pour lui. Ce n'était plus pour lui. Chiheb leur servit deux grosses assiettes de pâtes, les saupoudrant de fromages râpés et de sauce pesto. Abdel mangea avec l'appétit un peu coupé, probablement dû à sa faiblesse matinale. Durant le repas, Chiheb lui demanda :
— Alors ? C'est quoi le programme aujourd'hui ?
— Hum, chercher mes affaires pour arrêter de te piquer tes caleçons.
— Chouette ! Alors tu pourras chanter ?Devant l'exclamation enfantine de Chiheb, Abdel ne put que rire.
— Je dois être un peu rouillé tu sais.
— C'est pas grave, j'aimais trop t'entendre chanter.Un peu gêné, Abdel enfui son sourire, et pris les deux assiettes vides pour nettoyer avec une éponge. Chiheb le remercia de son geste, et commença à préparer ses affaires. Sa besogne achevée, Abdel fit de même, et une fois prêts, les deux garçons partirent prendre le métro. Sur le trajet, Chiheb se plaignit de ses cours qui lui prenaient la tête, ce qui acheva de convaincre Abdel de son choix d'abandonner les études. Il lui montra le chemin de son appartement, sorti ses clefs et ouvrit la porte du hall d'entrée. Il fit de même avec la porte de l'appartement, laissant Chiheb retirer ses chaussures, tout en s'exécutant lui-même. Chiheb découvrit avec un émerveillement palpable les lieux, passant ses doigts usés par la guitare sur les meubles et les décorations. Abdel prit directement le chemin de sa chambre, Chiheb sur les talons. Il sortit un grand sac de randonnée, dans lequel il fourra des vêtements chauds, quelques-uns de ses carnets récents et des bouquins pour s'occuper autrement qu'avec son téléphone. Il serra le tout et se tourna vers Chiheb, qui ne semblait pas se remettre d'être dans la maison de son idole. Il étira un rictus.
— Ça va Chiheb ?
— C'est génial ici ! Il y a des photos partout !
— Et encore, tu n'as rien vu...Avec amusement, il prit la main de Chiheb et l'emmena dans la pièce secrète, pas si secrète que ça, étant donné que Will se faisait une fierté de la montrer à chaque personne franchissant ces murs. Chiheb ouvrit grand les yeux en voyant les nombreuses étagères remplis de livres photos.
— On a le droit d'être ici ?
Abdel haussa les épaules pour seule réponse, s'en fichant pas mal. Will était à l'hôpital, il ne pourrait pas le disputer.
— Si tu veux les voir, range-les simplement à la bonne place. Si tu les mets en désordre, Will va faire une crise.
— Parce qu'en plus je peux regarder ?
— Bien sûr ! Les photos d'Abriel sont sur ce côté.Il indiqua une étagère et Chiheb s'empara avec de grandes précautions d'un des livres. Il l'ouvrit de la même façon et passa ses doigts sur le visage d'Abriel. Abdel aussi fixait ce visage enjoué, son cœur se serrant. Il ne reverrait plus jamais ce visage qui l'avait tant aidé. Ce visage n'existait plus. Il s'était évaporé. Les larmes lui montèrent aux yeux, mais il fit de son mieux pour contempler ces yeux, cette bouche, ce nez, ces sourcils... même si ça lui faisait mal, même s'il souffrait. Il garda le regard bien droit, fixant les pages qui défilaient, quand une larme tomba sans même passer par sa joue. Elle s'échoua au sol, faisant une trace humide. Il reporta son attention sur cette goutte salée, l'effaçant d'un mouvement de doigt. L'eau s'étala sur le parquet comme si elle n'avait jamais existé.
![](https://img.wattpad.com/cover/348303863-288-k42236.jpg)
VOUS LISEZ
PHOBIA TO EUPHORIA
RomanceAbdel n'allait pas bien, il était hanté. Il était seul, appréhendait la vie difficilement et ne parvenait pas à se défaire de ses angoisses. Mais sa vie était sur le point de basculer au fil des rencontres qu'il fit, pour le meilleur et pour le pire.