29. Les jambes à son cou

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Mercredi

En arrivant chez Abdel, lui et Chiheb se figèrent quand ils se rendirent compte que ses parents étaient là. Abdel sentit son sang se glacer, comprenant son erreur. Ils étaient rentrés plus tôt que prévu... alors qu'il était privé de sorties. D'une voix hésitante, il pose une question bête :

— Vous... vous êtes déjà rentrés ?

Ses parents étaient assis sur le canapé, et ne lui adressèrent même pas un regard. Abdel baissa les yeux, honteux.

— Je... je vais dans ta chambre.

Il regarda Chiheb s'enfuir, lui laissant le champ libre pour parler avec ses parents. Enfin parler, ça restait à voir. S'ils restaient silencieux comme ça, c'était qu'ils étaient vraiment fâchés. Abdel était fatigué de tout ça, toute cette histoire. Tout avait commencé quand Monsieur Couvier l'avait retrouvé, c'était de sa faute s'il perdait pied. L'air l'étouffait, comme s'il n'était plus composé que de dioxyde de carbone. Ça le brûlait, le démangeait, il s'en gratterait le torse jusqu'à sortir ses poumons de sa cage thoracique, s'il le pouvait. Et ses parents qui ne disaient toujours rien... il avait compris qu'ils attendaient que ce soit lui qui fasse le premier pas, qu'il s'explique, mais il n'en avait pas la force.

— Bon, dites-le maintenant.

C'était insolant, mais qu'importait. Il en avait assez de ce petit jeu, il préférait que ça éclate une bonne fois pour toute pour voir quoi faire après. Ça faisait plusieurs jours que ses parents n'étaient pas comme d'habitude. Alors bien sûr, ils avaient leurs raisons, mais c'était trop pour lui. Hanan tourna la tête vers lui avant de se lever et s'approcher de lui, le doigt accusateur.

— Tu as vu comment tu parles ? Je pensais qu'Abder' avait été clair la dernière fois. Plus de sortie ! Qu'est-ce que tu n'as pas compris ?

Ses parents ne comprenaient rien. Il avait besoin d'air, de sortir de chez lui, de goûter à la vie, mais avec eux c'était toujours impossible. Ils lui avaient construit une prison pleine de paillettes, mais une prison tout de même. Et voilà la rébellion.

— J'avais très bien compris.

Il vit le visage de sa mère se tordre sous la colère, alors que son père se levait à son tour pour soutenir son épouse. Il savait que ses mots étaient déplacés, mais à cet instant, il n'en avait rien à faire. L'air décontracté, il mit ses mains dans ses poches, pour faire face à sa mère.

— Arrête de me répondre ! Je ne te reconnais plus ! Où est passé mon petit garçon ? Tu veux jouer au plus malin avec nous ? Ne crois pas pouvoir t'en sortir comme ça, on ne tolérera pas ce comportement sous notre toit !

Sortant de ses gongs, il se mit lui aussi à pointer le doigt vers sa mère, répliquant en haussant la voix :

— Si c'est trop compliqué pour vous de me supporter, vous n'avez qu'à me foutre à la porte !

Hanan fit un pas en arrière, et Abderhamane posant sa main sur son épaule, la mâchoire crispée. Abdel n'avait jamais été comme ça. A s'énerver autant. Certains pourraient dire que c'était la crise d'adolescence, mais non. C'était un trop plein d'émotions qu'il avait gardé pour lui trop longtemps, et qui ressortait de la mauvaise façon. Il eut une pensée pour Chiheb qui devait tout entendre au vu de leurs cris, mais aussi à l'homme qui avait détruit sa vie, et qui le regardait dans le coin du salon. Il espérait qu'il se délectait de le voir craquer, au moins il aurait eu ce qu'il voulait.

— Mais tu t'entends parler ? Pourquoi on te mettrait à la porte ? Tu es notre fils, on t'aime, on veut t'aider et...

Ça, il le savait, qu'il était leur fils. Il ne voyait que ça. Il ne sentait que ça, leur amour qui l'étouffait et l'empêcher de vivre. Mais il voyait aussi l'hypocrisie que ce paradoxe représentait. Il devint agressif, violent même :

— Non vous ne voulez pas m'aider ! Si c'était vraiment ce que vous vouliez, vous ne me feriez pas chier pour que je reste enfermé dans cette putain de maison !

Il avait passé une bonne partie de sa petite vie cloîtrée dans sa chambre. Et maintenant qu'il avait l'occasion de découvrir le grand monde, on voulait l'en empêcher ? C'était hors de question. Maintenant qu'il y avait goûté, il ne pourrait plus s'arrêter. C'était grâce à Chiheb tout ça, mais aussi à Haziel et Abriel. Mais Chiheb était celui qui égayait toutes ses journées. Il était devenu accro. Pas à l'alcool comme Léo ou Abderhamane, mais bien à Chiheb, et ça l'effrayait. En réalité, il était terrifié de ce qui lui arrivait. D'être aussi dépendant de Chiheb, de crier sur ses parents.

— Comment peux-tu nous accuser de ça ? On a tout fait pour toi, tout ! Tous les sacrifices, on t'a toujours accepté malgré...

Il ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase, hurlant tout son mal-être. Hanan avait qu'à faire avec, comme lui l'avait toujours fait.

— Malgré quoi ? Malgré quoi ? Que je sois fou ? Tu peux le dire, hein ! Que je suis complètement timbré !

Et c'était vrai. Ses parents ne pouvaient pas être au courant, mais après tout, il voyait un homme qui n'était pas là. Qu'est-ce que ce serait, si ce n'était pas de la folie ? De toute façon, il avait compris depuis sa plus tendre enfance qu'il était un cas désespéré, pas besoin de faire des manières avec lui. Sa mère sembla s'offusquer de sa réaction, et ses yeux s'humidifièrent.

— Nous n'avons jamais pensé ça. Comprends-nous. Tu t'es mis en danger, qu'est-ce qu'on aurait pu faire d'autre ?

Il y avait plein de chose à faire. Le soutenir plutôt que le punir, par exemple.

— Éviter de me priver de la seule chose qui me rende heureux ! C'est bon je me casse.

Il en avait vu assez, ça suffisait de ce dialogue de sourd. Par chance, il n'avait pas encore retiré ses chaussures. Il lui suffit de tourner les talons et de claquer la porte, sous l'œil ébahi de ses parents. Il descendit les escaliers quatre à quatre, surtout en entendant la porte se rouvrir. C'était probablement son père qui venait le chercher, alors il accéléra le pas. Le voir à cet instant précis était la pire chose qui pourrait lui arriver. Il ne voulait plus rien avoir à faire avec ses parents. Pas tout de suite. Il en avait trop gros sur le cœur pour le moment. Il savait que c'était gamin, immature, mais il n'avait pas le choix. Sa vie était attaquée, il devait se défendre avec les maigres outils qu'il avait. Et puis, il n'avait que seize ans. En entendant son père juste derrière lui, il accéléra encore, prenant le risque de tomber et de se briser la nuque. A peine dehors, il se mit à courir, et se remercia d'avoir fait toutes ses heures de skate en voyant la vitesse à laquelle il allait. Ses jambes le faisaient déjà souffrir tant il forçait dessus, et ses poumons s'enflammaient.

— Abdel !

Malgré ses efforts, son père restait juste derrière lui. Il imagina son visage, peut-être en colère, peut-être inquiet, il ne savait pas et n'en avait rien à faire. Il poussait tout le monde sur son passage, mais ça ne suffit pas. Il sentit un bras l'attraper et le tirer en arrière. Son père l'avait rattrapé. Mais prit d'un profond dégoût, il se retourna pour lui donner un coup de pied bien placé. Profitant du fait que l'emprise de sa main sur son bras faiblit, il repartit au pas de course, alors que plusieurs personnes s'interposaient entre lui et son père, l'empêchant d'aller plus loin. Il ne l'entendît que crier en boucle :

— C'est mon fils ! Abdel, reviens ! Je vous dis que c'est mon fils ! Lâchez-moi !

Même s'il causait du tort à son père, il continua de courir. Malgré la douleur dans ses jambes. Malgré la voix brisée de son père. Il courut pendant de longues minutes, même après être sûr qu'il était seul.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant