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Je frottais avec acharnement mes bras recouvert de suie. La petite savonnette émincée était déjà totalement recouverte par l'affreuse poudre noire. Je levais la tête et croisais le regard de Travis. Lui aussi, était devenu noir de cette poussière. Il me sourit. Ces dents blanches tranchèrent avec le noir sombre de ses joues sales. Je lui rendis son sourire en pensant que ça devait faire le même effet sur moi. Cela me fit rire. Je repris alors, le sourire aux lèvres, ma vaine tentative pour me laver.

Atour des lavabos, se trouvaient des dizaines de gens tout juste sorti de la mine. Eux aussi tentaient de se redonner une certaine allure humaine avant de regagner leur foyer. Un concert de toux résonnaient et se mêler à l'odeur âcre des sueurs et de la suie. En fond de bande sonore, des frottements et de petits bruits sourds peinaient à se faire entendre. Soudain, l'hymne d'Ehiropa fut joué dans la pièce. Je levais la tête, surprise. Le silence se fit, entrecoupé par les incontrôlables quintes de toux. Un écran descendit du plafond. Une annonce royale... Il n'y avait que lors de ces rares cas qu'une telle scène se déroulait. Je me redressais. Un Conseiller du roi annonçait que.... Non ! Impossible ! Avais-je bien entendu ? Un brouhaha incroyable montait maintenant dans la pièce. Travis s'approcha de moi.

- Ils disent que tout le monde peut participer, chuchota Travis. Mais ce n'est pas possible, jamais ils n'accepteront sur le trône un gris anthracite.

Gris anthracite... Notre caste. Ma caste. Celle des plus pauvres, des mineurs... La septième... La dernière ! Je haussais vaguement les épaules. Honnêtement, est-ce qu'un mineur pouvait s'avérer assez fou pour penser régner ! Il ne fallait pas se faire d'illusions, ici, notre vie était au fond de ce trou noire, à extraire du charbon tant que nous le pouvons, avant de crever lamentablement le corps déchirée par une explosion de grisou. Je ramassais mes affaires et Travis et moi gagnâmes la sorti. Nous attendîmes mon père, qui arriva rapidement. Dès qu'il nous eut rejoint, nous partîmes sur le chemin du village. Il faisait presque nuit alors nous marchions d'un pas rapide sur le sentier terreux. Un nuage de buée se formait à chacune de mes expirations et j'enfonçais mes mains dans mes poches. Mon père rit face à l'annonce faîte quelques minutes auparavant.


- Vraiment, qui croit qu'un simple citoyen comme nous'aute va ravir au prince son royaume, hein ?

Il donna un coup de coude amical dans les côtes de mon ami qui rit.

- Là-haut, ils veulent nous faire croire qu'on a le pouvoir, renchérit-il. Mais on a juste le droit de crever lamentablement au fond du trou qui nous servira de tombeau.

Il eut un rire amer. Moi, je restais silencieuse. Cette phrase, il me l'avait tant de fois répéter.... Mon premier jour à la mine, il m'avait regardé et avec un grand geste théâtrale, m'avait présenté "le cimetière des mineurs". Cette expression me faisait froid dans le dos... Je ne voulais pas mourir là-dedans. Dans un trou minuscule, où je ne pourrais que pleurer, seule et...Je chassais cette image de mon esprit en secouant la tête. Calme-toi, Fifi, c'est pas demain que tu mourras... A la mort tu lui dis, pas aujourd'hui. Je chuchotais cette phrase que maman me répétait tout les matins avant de partir. Pas aujourd'hui...

Mon père passa un bras protecteur autour de mes épaules.

- Tu as l'air fatigué, ma Fifi, s'exclama-t-il en imprimant une légère pression.

Je lui souris doucement en acquiesçant. Oui, j'étais fatiguée... Qui ne le serait pas ? Mes journées étaient interminables et dures... Je posais ma tête sur l'épaule de mon père. Il me serra davantage contre lui.

Nous marchâmes ainsi jusqu'à ce que nous soyons arrivés au village. Je décidais alors d'aller voir Laïa. Ma meilleure amie ! Elle aussi travaillait à la mine, mais aujourd'hui était son jour de repos. Elle l'avait bien méritée ! Je m'arrrêtais donc devant chez elle en promettant à mon père que je serai rentrée pour le soupé. Il hocha la tête. Travis me demanda de saluer Laïa de sa part et il rentra chez lui. Je lui fis un petit signe de la main en le voyant s'éloigner. Il me le retourna en riant.

J'entrais chez Laïa le sourire aux lèvres. Dès qu'elle me vit, elle me tira jusque dans son petit jardin. Il ne s'agissait que de quelques mètres carrés mais c'était déjà un luxe que ma famille ne pouvait se permettre. Au centre du minuscule gazon clairsemé, trônait une petite balançoire. Je me précipitais dessus et m'assis sur le bois mouillé. L'acier grinça. Je levais la tête vers le haut du portique avec crainte. Laïa m'assura qu'elle supporterait le poids plume que j'étais avant de s'installer dans l'herbe devant moi. Je me balançais doucement, accompagnée du petit grincement. Laïa sourit. J'avais toujours adoré sa balançoire. Elle l'avait gagné lors d'un concours lorsque nous étions toutes petites. Mais toutes les deux, nous soupçonnions ce gain d'être un "cadeau anthracite". Ce sont toutes ses petites choses que donnent les professeurs aux enfants de la caste des gris anthracite afin de rendre leur courte enfance aussi insouciante que possible. C'était de la pitié, en réalité. Juste de la pitié pour notre future vie, dure et sûrement courte.

Laïa me tendit un morceau de brioche. Je le savourais doucement. Elle commença alors à me parler de Carlos. Un garçon de la caste des plombs. Un garçon totalement inaccessible pour des filles comme nous... Mais lorsque le cœur parle, la raison se tait souvent... C'est ainsi que Laïa était tomber folle amoureuse de Carlos, le garçon qui un jour avait ramassé son écharpe tombé par terre. Ce geste pourrait paraître anodin mais il est rare, voire impossible, de voir une personne d'une caste supérieure à la vôtre se baisser ne serait-ce que d'un millimètre devant nous. Alors ramassez notre écharpe par pure bonté... On pouvait toujours courir ! Lorsqu'elle eut fini, elle me montra une grosse enveloppe marron. Je la pris sans comprendre.

- C'est notre chance, Fifi. Notre chance de nous en sortir !

Plusieurs grosses lettres étaient imprimés sur la couverture.

- C'est un dossier de participation au Choix, m'expliqua-t-elle. Tous les jeunes gens du royaume entre 18 et 23 ans en on reçut. Si on souhaite être candidat à la présélection, il suffit de glisser une photo de nous dedans et de la poster. Si on est sélectionné alors on ira au château, on recevra une formation, on aura la possibilité de devenir reine !

Je regardais fixement l'enveloppe, ébahie. Tout le monde pouvait participer ?

- Nous devrions le faire, s'enthousiasma Laïa.

Nous ? Au château pour devenir reine ? J'éclatais de rire. Franchement, je n'avais pas l'étoffe d'une demoiselle ! Laïa fut vexée par mes gloussements. Je me repris donc rapidement mais ne pus effacer mon sourire.

- Fifi, tu ne devrais pas rire, se fâcha-t-elle les bras croisés et l'air sérieux, je ne veux pas mourir dans une mine !

Mon sourire s'effaça brusquement. "Je ne veux pas mourir dans une mine..."

- Là-bas, on pourrait nous apprendre tout ce que nous avons à savoir pour sortir de notre condition de misère ! Et pendant qu'on sera au château, une compensation financière sera donné à nos familles !

Elle se tut et me prit par les épaules, plongeant ses yeux gris dans les miens.

- Je ne veux pas mourir dans une mine, répéta-t-elle. Je ne veux pas voir Carlos épouser une autre fille juste parce que je ne suis pas née dans sa caste ! Je ne veux pas rester idiote !

Elle me secoua légèrement.

- Fifi, pourquoi nous nous n'aurions pas le droit à tout ça ? A toutes les choses que d'autres ont ?

Elle me prit alors l'enveloppe des mains et se mit à la secouer sous mon nez.

- La voilà, la chance que nous attendions ! Maintenant, c'est à nous de savoir si on va la saisir ou la laisser filer ! Franchement, qu'as-tu à perdre, Fifi ? Et qu'as-tu à gagner ?


Souffle la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant