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Nous nous dirigeâmes vers l'entrée du village, le bras du prince passé autour de ma taille. Une foule de gens avec des pancartes stationnait là, chuchotant, dans l'expectative. Je me stoppais net. Mon visage... Sur toutes ses pancartes ! Accompagné de mon nom et de petits mots gentils... Ils me virent arriver au loin et tous hurlèrent de concert, agitant les bras, les affiches... 

- Bienvenue chez vous, me chuchota le prince. 

Je sentis les larmes me monter aux yeux. Jamais je ne me serais attendue à un tel accueil. Jamais... Je m'approchais rapidement alors que les cris de joie ne cessaient de s'accroître. 

- Magnificence, Magnificence, se mirent-ils à scander brusquement. 

Une boule se forma dans ma gorge lorsque je compris qu'il scandait mon prénom. Cela arrêta de nouveau ma progression. Mais ce n'était pas la surprise ni la joie qui m'arrêtaient maintenant, non, c'était une profonde déception qui se déployait partout dans ma poitrine... Il scandait "Magnificence"... Pas un n'avait dit "Fifi"... 

Le prince me poussa à avancer d'une légère pression dans le creux de mes reins. 

- Ils sont là pour vous, allez-y, murmurait-il en me guidant. Souriez. 

Je ne voulais plus avancer, je ne voulais pas les voir ! Jamais l'un d'entre eux n'avez baisser les yeux jusqu'à la pauvre mineur que j'étais à l'époque. Pas un ne pensez à Fifi ! Il criait Magnificence ! C'est elle qu'il voulait voir ! Cette moi, traîtresse, passée "Pupille de la nation", candidate du "Choix", cette moi qui parlait correctement, qui utilisait plusieurs fourchettes par repas sans jamais plus se tromper, celle qui portait des robes toujours plus coûteuses, celle qui entretenait les apparences... La "moi" à des années lumières de Fifi, la gamine pauvre et introvertie, qui mange comme quatre pour ne pas mourir de faim le lendemain, qui crains le tombeau des mineurs comme personne, qui ne sait pas parler ni effectuer une révérence...

Et je m'avançais vers eux, sourire aux lèvres. Je serrais des mains, remerciais des gens, fis semblant de reconnaître ceux que je n'avais jamais vu, embrassais des gamines... Jouais mon rôle... 

- Fifi ! 

Ce cri me fit sortir brutalement de cet état de transe et je quittais les lieux en courant. 

- Damien, hurlais-je, comme s'il était la bouée que j'attendais. Damien ! 

Il se jeta dans mes bras et je le serrais de toute mes forces contre ma poitrine. Mon petit frère... Le seul gris anthracite présent ici... L'unique... Les larmes se frayèrent un passage jusque mes joues froides. Mon petit frère... Il m'embrassa tendrement alors que je lui ébouriffais les cheveux pour reprendre contenance. Puis, il salua le prince en se penchant maladroitement. 

- Ne me salue pas, rit le prince en le relevant. C'est moi qui suis honoré de te rencontrer. 

Damien ouvrait de grands yeux ébahi devant la prestance de son prince. Ce dernier lui tapota gentiment la joue. 

- Nous devrions aller nous préparer pour la cérémonie de ce soir, s'exclama-t-il en me faisant signe de le suivre. 

Je saisis mon jeune frère par les épaules et l'emmenais dans mon sillage. Pas question de le laisser ! Je ne saluais pas la foule qui continuais de m'acclamer pour passer par le cimetière. Je me laissais tomber devant la tombe de Laïa. Damien et Ewen restèrent en arrière, respectueusement. 

- Je suis allée voir la mine, Laïa. Elle a pas changé. Elle aurait dû. Tu es mortes et rien n'a changé ! Rien ! Tout aurait dû changer ! Car des dizaines de mineurs sont morts cette fois là ! Et la prochaine fois ? Ce sera combien ? Ce sera qui ? Hein ? Qui ? 

Je venais de hurler les derniers mots. J'avais l'impression que ma famille et toutes les autres marchaient vers le prochain coup de grisou, inexorablement. Une main se posa sur mon épaule. 

- Nous devons vraiment y aller. 

Je me levais pour suivre le prince alors que j'avais l'impression d'entendre Laïa pleurer. Elle pleurait le sort des mineurs... 

       Je m'étais apprêtée pour la grande cérémonie de ce soir tandis que mon frère dégustait des gâteaux. Il en avait plein la bouche et semblait ne jamais pouvoir s'arrêter. Je le regardais tendrement avaler de grosses bouchées à peine mâchée. Damien était attendrissant. J'aurais pu le regarder se goinfrer ainsi pendant le reste de ma vie tellement le voir avec cet air de béatitude profonde me rendait heureuse. 

- Tu es vraiment belle, Fifi, grogna-t-il la bouche pleine. 

Je ris. 

- Avale avant de parler, gloussais-je. 

- Mais je te fais un compliment, râla-t-il après avoir avalé sa bouchée. 

Je ris de nouveau avant de le remercier. C'était gentil. 

- T'as toujours été belle, reprit-il. Mais là, c'est différent, avec les vêtements et tout... On dirait quelqu'un d'aute ! C'est étrange parce qu'en fait, c'est toujours toi. Mais une aut' toi. 

Je le fixais simplement avant de demander : 

- Elle est mieux cette nouvelle moi tu crois ? 

Il haussa les épaules. 

- J'sais pas, j'la connais pas trop en fait'. Mais elle parait cool ! Elle est plus... intelligente ! 

Je râlais en lui lançant la serviette en tissu près de ma part de gâteau que je n'avais pas touchée. 

- Mais c'est vrai, s'offusqua-t-il. J'te jure ! T'es belle et plus intelligente ! Et puis t'sens trop bon ! 

Je ris franchement. Mon frère avait le sens des réalités immédiates. 

- Tu vas faire quoi après ? 

- Pardon, lui demandais-je sans comprendre ce qu'il demandait. 

- Pourquoi t'excuses, tu m'as pas fait mal ! 

Je souris en lui expliquant que je lui disais cela parce que je n'avais pas compris. 

- Tu vois qu't'es plus intelligent', me coupa-t-il. En tout cas, je voulais dire, après le Choix, tu f'ras quoi? 

Après le Choix ? 

- Je ne sais pas ... 

- Tu s'ras pas reine, Fifi, on l'sait tous. Alors tu f'ras quoi ? A quoi ça va t'servir tout ça, dit-il en faisant un grand geste dans ma direction. Tu vas d'nouveau aller dans la mine ? Ça serv'ra à quoi être plus intelligente si c'est pour mourir dans un trou ? Hein, Fifi ? T'fras quoi après ? 

- Je sais pas, je te dis, râlais-je de nouveau en lui donnant un petit coup sous la table. Et toi, hein ? Tu sais ce que tu feras ? 

Il rit doucement.

- J'irais dans la mine, Fifi ! T'veux qu'j'fasse quoi d'aute ? 

Souffle la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant