11.

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Je faisais tourner distraitement ma cuillère dans mon lait chocolaté sans chocolat. Atour de la table, maman et papa discutaient, préoccupés. Je ne suivais rien de la discussion et contemplait mon breuvage de manière machinale et absente.

- C'est bien ce qu'il t'as dit ?

Je relevais la tête vers ma famille.

- Mmh ?

Je sentais l'exaspération poindre chez eux mais ne fis pas plus d'efforts pour suivre davantage. La discussion tournait évidemment autour du chauffeur de tout à l'heure. Et je ne voulais pas y penser. Pas du tout ! Je n'avais plus aucun contrôle sur les choses, sur ma vie... Tout se déroulait tel une symphonie désaccordée totalement programmée. Une symphonie dont malheureusement, je n'avais pas la partition... Je soupirais et plongeais ma tête entre mes mains. Comment avais-je pu en arriver là ? J'émis un son proche du gémissement lorsque cette pensée me traversa l'esprit. Ce chauffeur méprisant m'avait toisé avec surprise. Son regard dédaigneusement étonné était marqué dans mon esprit. Sa déclaration aussi. "Vu les circonstances actuelles, vous êtes attendue au château pour prendre part au Choix." Un autre geignement m'échappa. Les circonstances actuelles ?! Voilà comment ils appelaient ça ! Des circonstances ! La mention de la vie perdue n'apparaissait nulle part. Le chagrin était balayé d'un revers de "circonstances". Et Laïa était remplacé sans plus d'émotions par... Moi. Moi. Fifi, sa meilleure amie ! Je me sentais vraiment désespérée ! S'attendaient-ils tous, là-haut, à ce que je saute de joie et cours faire mes valises ? Si c'était le cas, ils seraient déçus !

- Arrêtez de débattre sur le sujet, marmonnais-je sans relever la tête. Je n'irai pas.

Seul le silence me répondit et je me redressais. Mon père me regardait avec fierté. Il vint s'installer près de moi.

- Tu es la digne fille de ton père, s'exclama-t-il en me prenant dans ses bras. Tu comprends où est ta place et ton avenir ! Tu n'es pas comme eux ! Ni comme Laïa.

Je haussais les épaules.

- Je me fiche totalement de tout ça, papa, rétorquais-je d'une voix sans timbre. Je ne veux pas prendre la place de Laïa ! C'était SA chance, SON avenir... SA réussite future... Je ne veux pas être celle qui lui prendra tout ça ! Je ne veux pas être celle qui sera chargé d'être ce qu'elle aurait dû être !

Je me levais ensuite pour aller sur la tombe de mon amie lui faire part de ma décision. Je marchais au ralentie vers le cimentière. Arrivée près de son lieu de villégiature, je me stoppais. Carlos... Il était effondré devant la tombe de mon amie et son corps entier était parcourus de longs sanglots sonores. Je restais longtemps, silencieuse, sa douleur faisant ainsi écho à la mienne. Puis, doucement, je m'approchais pour m'installer près de lui. Il releva son visage ravagé par les larmes et le chagrin vers moi. Je le saluais d'un simple signe de la tête. Il s'essuya les yeux à l'aide de la manche de son manteau et renifla bruyamment. Je lui adressais un pâle sourire se voulant réconfortant.

- C'est trop dur, tu sais, murmura-t-il d'une voix cassée par l'émotion.

- A qui le dis-tu, soupirais-je en passant mes doigts sur le granite de la stèle.

Il me contempla tristement.

- Sauf que toi, tu as le droit de pleurer, de gémir et même de rester amorphe comme tu le fais. Tout le monde s'efforce de comprendre ta détresse. Moi, personne ne peut comprendre mon malheur car elle n'était pas sensé avoir de l'importance pour moi ! Je devrais même être aussi méprisant que possible ! Comment puis-je supporter ma mère et son idée stupide de me trouver une fiancée en sachant que ça ne pourra jamais être elle ? Comment venir ici sans que l'on me prenne pour un fou ? Toi, tout le monde te comprends parce que tu étais sa meilleure amie ! Alors que moi... Moi je n'ai même pas le droit de la pleurer !

Souffle la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant