12.

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Je regardais le paysage défiler derrière la vitre de ma fenêtre. Le front appuyé contre le solide froid, je laissais de grosses larmes couler sur mes joues. C'était la meilleure chose à faire, je le savais. Mais la réaction de papa... C'était trop difficile ! Ces mots durs résonnaient en moi et je sentais une douleur sourde se propager dans ma poitrine. Mon papa... Dans ses yeux, son regard, j'avais toujours lu une immense fierté. Fierté pour sa petite fille. Mais pas aujourd'hui. Ce que j'avais vu dans son regard m'avais transpercé. Je fermais les yeux et me forçais à calmer ma respiration. Allez, Fifi... Tout va bien se passer. Je calais ma respiration sur la douce mélodie du vrombissant moteur et me laissais bercer par les mouvements de la voiture. Doucement, je sentis une tendre torpeur s'emparer de mes muscles. Puis de mon esprit... 

Un coup de klaxon me fit émerger brutalement. Mon cœur battait fort dans ma poitrine ! Il tambourinait à un rythme effréné. Je perçus le sourire goguenard du chauffeur dans le rétroviseur. 

- On est bientôt arrivé, l'anthracite. 

Je détournais la tête de son reflet méprisant et passais un main anxieuse dans mes cheveux sombres. Mes yeux regardèrent machinalement à travers la vitre et j'ouvris grand la bouche d'étonnement... Je plaquais mes mains sur la vitre fermée et collais mon nez pour voir le spectacle de plus prêt. Un énorme château se dressait devant moi. Les tourelles d'un blanc immaculée s'envolaient vers le ciel et transperçait allègrement les blanc nuages cotonneux. L'imposante toiture reluisante ainsi que la silhouette élancée de la construction se reflétaient dans les ondes azurées du lac. Je ne pus émettre le moindre son tellement un tel spectacle me subjuguait. Même sur les photos, le château de notre roi ne paraissait si majestueux et imposant à la fois. Et nous nous en approchions rapidement. Ce n'était pas le château où résidait la cours. Je le savais.

- C'est le château d'hiver de sa Majesté, expliqua le chauffeur. Vous et le reste des candidats y résideraient un moment avant de gagner la cours. 

Je hochais distraitement la tête, trop occupée à me gaver des yeux de ce spectacle pour répondre. Nous nous stoppâmes devant de hautes grilles et ces dernières s'ouvrirent devant moi. Je contemplais les délicats motifs floraux la décorant alors qu'elle se refermaient sur nous. Le chauffeur se racla la gorge.  

- Descendez. 

J'ouvris la portière en silence et contemplais les gravillons blancs sur le sol à mes pieds. Je n'osais poser ne serait-ce qu'un orteil sur cette surface polie qui avait dû être foulée par des pieds sacrés. Je restais donc les pieds à mi-chemin entre le sol et la voiture, immobile, les yeux rivés par terre. Je sentais mon cœur battre dans chaque cellule de mon organisme... 

- Mademoiselle.... 

Je levais les yeux vers l'homme devant moi. Il me dévisagea ouvertement et je rougis. 

- Les cuisines sont de l'autre côté, déclara-t-il soudain d'un ton des plus froids. 

Le petit rire du chauffeur me blessa. Une autre voiture se stoppa soudainement en un crissement près de nous et l'homme accourut pour ouvrir la portière à une élégante jeune femme. Sa chevelure d'un blond éclatant tombait en cascade sur ses épaules pâles. Elle s'extirpa de la voiture avec une grâce subjuguante et tendit une main délicatement gantée à son nouvel interlocuteur. 

- Mademoiselle Aimée-Rose de la Rochefoucauld, déclara-t-elle d'une voix avenante et douce. 

Son interlocuteur en uniforme royal s'empressa de se courber profondément devant elle. Il lui expliqua ensuite être chargé de l'annoncer auprès des autres candidats et de ses Majestés.  M'ignorant alors superbement au point de me faire douter de ma propre présence, il l'emmena dans le château. Je restais longtemps sans bouger me demandant ce que je devais faire. Passer par les cuisines ? Peut-être... Après tout, ce serait plus convenable pour tout le monde. Je portais machinalement la main au pendentif autour de mon cou. Laïa... Elle ne serait pas passé par les cuisines, elle, pensais-je en contournant l'énorme bâtisse. Je marchais en soupirant. J'avais honte de préférer faire la taupe ainsi... Je me stoppais les yeux baissés. Et toi Fifi, me demandais-je. Par où veux-tu vraiment passer ? Je pensais à mon père me disant que je n'avais pas ma place parmi ces gens et que je ne passerai jamais par la grande porte. Ma gorge se serra alors que je faisais volte-face brutalement ! Papa... Je courus vers la grande porte et me plantais devant l'homme de tout à l'heure. 

- Fifi Daubriac, déclarais-je d'une voix beaucoup moins ferme que je l'avais voulu. 

L'homme haussa un sourcil. 

- Euh..., je voulais dire, Mademoiselle Magnificence Daubriac, déclarais-je en imitant la jeune femme de tout à l'heure. 

Cette fois il sembla comprendre qui j'étais. Il hocha la tête et sons regard me détailla de la tête au pied. 

- Magnificence, répéta-t-il avec un petit sourire ironique. Vos parents doivent avoir un sacré sens de l'humour !  

Je restais silencieuse. Pourquoi me parlait-il d'humour ? Je lui avais juste dit mon prénom en entier ! Je baissais les yeux sur ma tenue de deuil et mes chaussures délavée... Devant mon air ahurie, il riait maintenant ouvertement. Je le regardais sans comprendre. Mais qui avait-il de si drôle ? Je me sentais tellement mal devant son regard méchamment moqueur que je restais bras ballants .... Il me fit finalement signe de le suivre et j'obtempérais avec angoisse. Nous arrivâmes en haut de hautes marches drapées d'un ravissant tapis de velours pourpre. Mon nom fut annoncé et tous les regards se tournèrent vers moi. Ses paires d'yeux inquisiteur posés ainsi sur moi me glacèrent. Ma respiration se bloqua. Toutes ses personnes si élégantes me dévisageaient ouvertement. Des vagues de murmures se propagèrent alors dans la pièce provoquant chez moi des suffocations. Je déglutis avec difficultés et sentis une main me pousser avec une douceur ironique. 

- Il faut descendre...Magnificence. 

Il prononçait mon prénom comme une douce insulte. Cela me glaça et je sentis ma gorge se nouer. Qu'avait-il contre moi ? Les larmes me montaient aux yeux... Et je mourrais d'envie de me sauver en courant. Contrairement à cela, j'amorçais ma descente dans l'arène des lions... Je descendais doucement les marches et me stoppais en bas, mal à l'aise. La roi me fit signe d'avancer de la main. Je m'exécutais, hésitante. Le regard bienveillant de la reine me surpris lorsque je le croisais. Elle me sourit avec une tendresse qui détonnait dans ce paysage d'un froid polaire. Je m'arrêtais à quelques mètres des trônes royaux et me dandinait de gêne. Qu faire maintenant ? Le roi semblait s'impatienter et il haussa un sourcil significatif. La reine me fit un petit geste de la main. Je compris le message et me penchais légèrement en avant pour saluer le roi et sa femme. Lorsque je relevais la tête, le sourire clairement amusé du roi me frappa en plein visage. Je rebaissais la tête vers le sol. Mon humiliation ne s'arrêterait jamais... Heureusement pour moi, une autre jeune fille, pleine de grâce et d'élégance fit son apparition en haut des marches. Elle les dévala avec tellement de prestance qu'elle semblait ensorceler l'assemblée. Elle s'arrêta à mes côtés et exécuta une révérence des plus charmantes. Je reculais pour disparaître derrière une autre jeune fille et me fit toute petite alors que le roi entamait une discussion avec la nouvelle venue. Je décidais que le mieux pour moi était de ne faire qu'un avec la tapisserie... Le roi se leva alors. 

- Bonjour à tous et à toutes chers candidats du Choix. Je suis ravie de vous recevoir dans ma château d'hiver. Dès l'instant où vous avez passé la porte de ce château, vous êtes devenus pupilles de notre noble nation. Entre vous, désormais, plus de caste, vous êtes tous des pupilles du royaume. 

Il claqua des doigts et deux hommes apparurent. Il portait une énorme bocal rectangulaire où brûlait un feu. Le roi nous invita, un par un, à y jeter nos foulards. Les foulards blancs et les foulards de gris toujours très pâles se côtoyaient dans les flammes. Je m'avançais à mon tour pour réaliser ce geste symbolique. Les doigts tremblants je détachais mon foulard anthracite et le teins au dessus des flammes. Je n'avais qu'à ouvrir mon poings et il brûlerait au milieu des autres... Je restais immobiles... Ma respirations s'accélérait par pallier...  Finalement je glissais le tissu dans la manche de ma robe et laissais croire au roi que la marque de ma différence brûlait dans les flammes. Je caressais le tissus du bout des doigts en pensant à ma famille... Il avait tort. Une anthracite. Voilà ce que je restais. 



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