9.

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Je restais immobile et silencieuse, assise sur le sol terreux. La tête dans les genoux, les yeux grands ouverts, j'attendais. Quoi ? Au fond, moi-même je ne le savais pas. C'était une attente sans but... Par conséquent sans fin... Un frisson me parcourut et une chaleur surprenante se répandit en moi. Je relevai la tête, surprise. Papa venait de déposer une couverture sur mes épaules. Il s'assit près de moi. Aucun de nous ne pris la parole, le silence nous entourait seulement entrecoupé par les battements de nos cœurs. Nos cœurs... Je me tournais vers mon père et déposais un main sur sa poitrine. Je fermais les yeux. L'organe battait fort et je sentais les battements se diffuser dans mes doigts. Une larme solitaire coula sur ma joue. Laïa... Son cœur ne battrait plus ainsi ! Plus jamais ! Pourquoi ? Pourquoi ? Je me levais brutalement et la couverture tomba à mes pieds. 

- Pourquoi elle, criais-je en regardant les étoiles brillantes. Pourquoi ? Elle allait réaliser ses rêves, réussir ! Vivre ! Pourquoi ?! 

Le ciel ne prit pas la peine de se justifier. Les hommes non plus ne le faisaient pas... Pourquoi une étoile le ferait alors ? Je serrais les poings. Laïa était morte ! Ma meilleure amie était morte ! Jamais plus nous ne ririons ensemble, jamais plus je la serrerai dans mes bras, jamais plus je ne me creuserai la tête à lui trouver un cadeau d'anniversaire parfait.... Jamais plus elle ne serait simplement là, à mes côtés ! Je ne serais pas le témoin à son mariage comme nous l'avions rêvé... Tous nos rêves venaient de disparaître, explosé dans un coup de grisou, explosé dans un tragédie dont nous ne connaissions pas encore le nombre de victimes totales. Mais la vérité, c'est que nous étions tous victimes de cette horreur. Blessés émotionnellement... Marqués à vie. 

Papa et moi rentrâmes doucement au village. Les lumières étaient allumées partout. Mon père me poussa doucement vers la petite maison de ma meilleure amie. Je me figeais à la porte. Je ne pouvais pas entrer... Non... Je pinçais les lèvres en une vaine tentative de retenir mes larmes. La porte d'entrée s'ouvrit. Travis apparut dans la lumière. Il me sourit et vint me rejoindre. Je sentis son bras se glisser autour de ma taille. Je sentais d'une manière accrue sa peau contre la mienne, juste séparées par le tissu sale de ma tenue de mineure que je n'avais pas retirée. Il me soutenais en me poussant à la fois vers la lumière. Mon cœur battait de plus en plus fort... Et j'entrai. 

Le silence se fit dans la pièce. Les parents de Laïa ainsi que des proches étaient là. Maman aussi. Je tentais un "bonjour" qui se perdit en un gazouillement roque méconnaissable. La mère de ma meilleure amie me sourie, les yeux désormais pleins de larmes contenues. D'une main tremblante, elle m'invita à monter dans la chambre de sa fille. Je regardais avec horreur les marches et posais mes doigts tremblotants sur la rampe en bois grossier. Difficilement, je montais, craignant ce que j'allais trouver à l'étage. Arrivée, je me stoppais devant la porte. Travis, respectueusement, se recula. Agitée de tremblements de plus en plus violents, je tournais la poignée et entrais. L'odeur de lilas emplie voluptueusement mes narines et je fermais les yeux pour la humer avec délice. 

- C'est mon parfum préféré, me chuchotais Laïa dans mes souvenirs. 

- Ah bon ? Pourquoi, lui demandais-je  avec ma candeur enfantine.

- Parce qu'il est raffiné, pas comme l'odeur du charbon, avait-elle répondu en fronçant son petit nez en trompette. 

Un petit sourire nostalgique se dessina sur mes lèvres. J'ouvris doucement les yeux et les posais craintivement sur le lit au centre de la pièce. Le corps de mon amie s'y trouvait. Elle y reposait paisiblement. Et si elle n'était pas désespérément immobile et couvertes de bleus, j'aurais pu pensé qu'elle dormait. Je m'approchais et tendis la main vers son visage tuméfié. On m'avait dit qu'une chute de cailloux l'avait ensevelie. Elle était morte asphyxiée. Alors que mes doigts traînés sur sa joue froide, j'imaginais son calvaire, son agonie. Sa peur... Je me laissais tombér sur le fauteuil près du lit et la contemplais en silence. Même ainsi blessée elle restait belle. Je restais longtemps, immobile à la regarder. Et sous mes yeux ébahis elle se redressa. Son visage boursouflé se tourna vers moi avec un rictus effrayant.

- Tu seras celle qui prendra ma place, Fifi. Comment vas-tu vivre avec ça ?

Un rire effrayant la secoua. Je sentais mon cœur s'affoler alors que les yeux bleus de mon amie brillaient d'un éclat de folie pure.

- Il a fallut que je meurt pour que l'on te remarque, toi ! 

Cette déclaration eut sur moi l'effet d'une douche froide et... Je me réveillais en sursaut. Mes yeux se posèrent d'instinct sur la corps inerte de mon amie éclairé par la lumière lunaire. Une ombre planait au dessus d'elle... Je tournais la tête, effrayée, pour ne voir que la mère de Laïa. Un soupir de soulagement m'échappa. 

- Je ne voulais pas te faire peur, chuchota-t-elle en venant près de moi. 

La voir s'approcher me mettait mal à l'aise. J'imaginais bien ce qu'elle pouvait se dire, maintenant. "Ma fille aurait été avec elle".... Voilà ce qu'elle pensait ! Elle la recherchait maintenant à travers mes souvenirs de Laïa. Et je n'étais pas prête à vivre ça ! 

Malgré le fait que mon cerveau soit en ébullition, je lui adressais un pâle sourire. Mes mains s'agrippèrent néanmoins aux accoudoirs. La maman de Laïa s'installa près de moi et passa un main distraite dans mes cheveux.

- Tout va bien se passer, tu sais, murmura-t-elle d'une vois tremblotante. Il va falloir se relever d'avoir perdu notre soleil mais... ça ira.

Elle s'humidifia les lèvres en reniflant. Ses yeux étaient pleins de larmes qui se déversaient maintenant sur ses joues. Elle prit ma main et y déposa un bijou. C'était un collier avec un magnifique pendentif représentant l'astre au centre de notre univers. C'était celui de Laïa...

- Je suis désolée, je ne peux pas, balbutiais-je, gênée.

Le cauchemar puis ça... C'était beaucoup ! Trop pour moi... Ma voix n'était qu'un filet angoissée... Mes mains s'agitaient, prises de tremblements incontrôlables alors que mes yeux me picotaient.

- Fifi, supplia-t-elle en caressant ma joue, tu es le dernier rayon qu'il reste d'elle. Je t'en prie... Prend le !

Cette phrase me fit pleurer. Et la mère de ma meilleure amie me prit dans ses bras pour me consoler.

- Chut...Je comprends ...

Non ! Mais elle ne comprenait pas ! Je n'étais pas Laïa ! Je n'avais rien à voir avec elle ! J'étais Fifi ! La gamine pleurnicharde jalouse de sa meilleure amie ! Je ne voulais pas représenter ce qu'avait été mon amie aux yeux de sa famille ! Non ! Je ne le voulais pas... Je ne voulais pas incarner le dernier rayon de vie de Laïa !

Je me levais d'un bond et quittais la pièce rapidement en bafouillant que je ne pouvais rester plus longtemps. Je dévalais les escaliers au pas de course et quittais la maison tout aussi vite. Ma mère fut surprise par ma célérité et s'excusa pour sortir à son tour. Je m'étais stoppée devant la maison. Ma mère me serra contre elle. Je la repoussais et lui expliquais que je rentrais. Elle me laissa faire avec un petit sourire désolé et triste. Je courus jusque chez moi pour m'enfermer dans ma chambre. Je me laissais glisser sur le sol et fondis en larmes.

Toute ma vie j'avais vécu dans l'ombre de Laïa. Mais je l'avais accepté par amitié pour elle ! J'adorais Laïa ! C'était comme une sœur pour moi ! Sa disparition était la pire chose qui pouvait arriver ! Mais me demander de représenter la dernière chose qu'il restait de Laïa ... C'était trop ! Je ne pouvais pas faire ça ! Prise d'un colère subite, noyée dans ma détresse, je lançais le présent de toutes mes forces à travers la pièce !

- Même quand tu meurs je ne reste que ton ombre, criais-je à travers mes larmes.

J'enfouis ma tête dans le creux de mes bras et murmurais honteusement que je la détestais. Je la détestais ! Je pleurais longtemps. Sur la pitié que je m'inspirais à moi-même, sur la mort de mon amie que je chérissais en réalité énormément, sur cette vie qui était une succession d'échecs cuisant, sur tout ce qui me passait par la tête en ce moment de tristesse complet. Puis, au prix d'un grand effort, je me traînais jusque dans mon lit pour me rouler en boule sous mes couvertures et continuer de me complaire dans mon chagrin dévastateur. 


Souffle la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant