Nous nous retrouvâmes tous installés dans la cuisine de ma famille. Le chef de la garde avec ses deux éléments les plus gradés restaient debout, droits, alors qu'Ewen et moi nous étions assis et nous nous faisions soignés par les mains habiles de mes parents. Mon père grommelait sur notre inconscience en appliquant du désinfectant sur mes plaies à vif. Je grognais de douleur.
- Votre Majesté, si je puis me permettre, il n'est guère prudent de vous battre ainsi par les temps qui court. Le pays est à feu et à sang depuis la mort de Feu Ses Majestés. La désorganisation et le chaos règnent partout. Les castes inférieures revendiquent leurs droits supposés. Les champs sont brûlés, ou laissés en jachères, les mines fermées, les trains ne fonctionnent plus. La famine nous guette, Votre Majesté.
Je soupirais. Mais comment ne comprenait-il pas ?
- Je ne suis pas la reine, m'énervais-je de nouveau. Cessez de m'appeler Majesté ! Je suis Magnificence Daubriac, je n'appartiens à aucune caste, à aucun rang ! Ai-je été assez claire ?
- Votre Majesté, vous êtes la future souveraine d'Ehiropa, je vous le certifie. J'ai une missive du Conseiller Principal du Gouvernement de Régence Provisoire qui s'est mis en place il y a quelques jours qui vous le confirmera.
Je secouais la tête et tentais de lui faire comprendre que si les hommes de ce pays voulaient s'entre tuer, je ne serais pas celle qui les stopperais ! J'en avais cure moi, de ces idiots ! Ils étaient pires que tout ! Savoir la douleur de la mort et l'infliger à d'autres ainsi, c'était être indigne de se nommer homme, être indigne du bonheur lui-même ! Alors ils n'avaient qu'à tous se tuer comme des bêtes sauvages car ils ne valaient pas mieux qu'elles ! Qu'ils meurs, qu'ils crèvent de faim, de soif, de froid ou même de chaud, qu'est-ce qu'il voulait que ça me fasse à moi ? Laïa était morte dans la plus grande des indifférences et moi, j'avais voulu changer quelque chose, pour elle, pour Damien, pour Alice, pour les mineurs, pour eux tous... Et ils avaient préféré se tuer comme des bêtes, s'abaisser plus bas qu'ils ne l'étaient déjà, se faire plus monstrueux encore que ceux qui les rabaissaient... Et moi, je devais croire en eux ? Vouloir les sauver d'eux-même ? De leur propre monstruosité ? Ils ne valaient pas la peine que je m'était donnée ! Ils ne valaient pas les humiliations successives, la peur, chacune des larmes que j'avais versé ! J'avais renié mon propre père !
Le soldat me remit une lettre cachetée que je saisis de mauvaise grâce. Mon père posa alors sa main sur la mienne. Il évita mon regard un moment avant de prendre son courage à deux mains.
- Fi... Magnificence, chérie... Je suis désolé. Si ces hommes viennent aujourd'hui te chercher c'est entièrement de ma faute. Je... Je voulais sauver Ewen, pour toi... Alors, comme je le savais condamné au galère, je suis allé voir le Gouvernement de Régence Provisoire pour les convaincre de se montrer clément. Mais ils furent inflexibles. Ils voulaient une chose, une seule chose en échange : que tu deviennes la reine pour redresser le pays. Ils sont persuadés que toi seul peux rassembler le peuple et reconstruire Ehiropa. J'ai... j'ai accepté, Magnificence.
Je restais abasourdie. Pour... Ewen ?
- Alors c'était ça, s'écria Ewen. C'est cela que vous leur avez promis en échange de ma vie ! Ce n'était pas un don pour Magnificence, c'était du marchandage !
Il me saisit les mains et déposa un baiser furtif sur mon front.
- Jamais, Magnificence, je n'accepterais qu'ils te fassent ce qu'ils ont fait à mes parents ! Je refuse d'être la raison pour laquelle tu te jettes entre leurs griffes pour mieux te laisser dévorer par ce peuple monstrueux !
Il fit volte-face pour se placer juste devant moi, alors que je tentais de lui saisir le bras.
- Vous, soldats de la garde royale d'Ehiropa ! Je suis Ewen d'Ehiropa ! Arrêtez-moi mais laissez Magnificence auprès des siens, chez elle, dans cet endroit qu'elle n'aurait jamais dû quitter si le monde avait été plus juste. Je suis prêt à mourir dans les galères royales tant que personne ne lui offre le même sort que ma défunte mère ! Magnificence, je veux que tu sois libre !
Le chef de la garde royale eut un petit sourire ironique.
- La garde royale est au ordre de Sa Majestée Magnificence Daubriac. Elle prendra ses ordres d'elle et d'elle seule.
Ewen serra les poings violemment. Je posais un main qui se voulait apaisante sur son bras. Je tentais de le faire se tourner vers moi mais il resta immobile et inflexible. Il ne me regarderait pas... Je pris une profonde inspiration.
- Mère, Alice, montons préparer mes valises.
Je vis le dos de l'ex-prince de ce pays se tendre mais il ne dit rien. Je suivis alors ma mère vers ma chambre. En réalité, je n'avais pas grand chose. Je voulais simplement troquer ma tenue déchirée contre une autre. Je me laissais tomber sur mon lit, pensive. Alice s'assit à mes côtés et me prit le bras.
- Magnificence, aujourd'hui, ils sont tous aussi aveugles que moi, si ce n'est plus. Ils ont besoin de toi pour les guider vers la lumière.
Je secouais doucement la tête.
- Au contraire, Alice, j'ai ouverts la cage des papillons et je les ai guidés vers la lumière. Aujourd'hui, c'est de ma faute s'ils se brûlent les ailes... Et c'est par ma faute qu'ils seront tous calcinés. Je croyais que nous saurions mieux user de notre liberté... J'ai cru à une supériorité de la connaissance de la souffrance... Mais j'avais tort, le papillon est naturellement attiré par la lumière et le feu le brûle alors qu'il réalise son instinct le plus primaire. Il en va ainsi des hommes, et je ne l'avais pas compris. J'ai détruis la liberté en m'en approchant trop près. Aujourd'hui, il n'y a plus que la survie. Alors, survivons, Alice.

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Souffle la liberté
FanfictionMoi, je vais tenter de devenir reine. Moi, fille inconnue du royaume d'Ehiropa je vais participer au Choix. Le peuple, pour la première fois, va élire son futur souverain. Tout le monde peut participer... dont l'adolescente de la caste des Gris Anth...