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Je me tournais et me retournais dans mon lit, tous les sens aux aguets. Chaque claquement, chaque grincement, le moindre chuchotement me faisait sursauter. Je fermais les yeux en tentant de maîtriser mon rythme respiratoire. Tout allait bien. J'étais en sécurité, la garde royale y veillerait. Je serais la couverture de toutes mes forces dans mes poings serrés. Je tentais de détendre ma gorge sèche qui palpitait. Un drôle de bruit étouffé m'échappa et je sursautais malgré moi. J'avais peur de mes propres sons... C'était navrant... Je repoussais les couverture et ouvris les yeux. Je ne pouvais pas continuer comme ça... Alors, le cœur battant, je me redressais et gagnais la porte. 

C'est sur la pointe des pieds que je parcourus le couloir, tendue. Je n'osais même pas allumer les lumières... Soudain, une ombre se dressa dans l'encadrement d'une porte et je dus presser mes mains sur ma bouche pour ne pas hurler de terreur. Je me figeais, terrorisée, le cœur battant. L'ombre s'étirait, s'avançait... Je serrais les poings en déglutissant. J'allais me défendre... et frapper la première ! Je me préparais lorsqu'un visage familier apparut enfin, à moitié éclairé par une torche du couloir. Je me jetais sur l'amicale silhouette pour la serrer contre moi. Ewen... Ce n'était qu'Ewen... Je sentis ses bras se refermer autour de ma taille. Je sanglotais doucement, la respiration erratique, le souffle court. Comment pourrais-je vivre ainsi ? J'était en sursit ! Pour combien de temps encore ? J'avais terriblement peur... Je m'accrochais à lui de toutes mes forces et je sentis ses doigts dans mes cheveux et son souffle chaud contre mon oreille. Il me chuchotait des mots que je n'entendais plus... 

- J'ai si peur, Ewen, si peur qu'ils viennent pour nous... 

Il raffermit sa prise autour de mes hanches et embrassa tendrement mes cheveux. 

- Personne ne te fera de mal. J'y veillerai. 

Sans même nous concerter, nous nous mîmes en marche, toujours blotti l'un contre l'autre. Nos pas nous menèrent jusque la cuisine où régnait une bonne odeur de ragoût de bœuf. Nous nous avançâmes près du grand feu... Je m'assis à même le sol, près des cendres brûlantes, le visage tendu vers la chaleur des flammes. Cette chaleur brûlante me rappelait la mine... Je fermais les yeux... Comment aurais-je pu prédire qu'un jour ce serait l'odeur âcre du charbon et son craquement discret dans la chaleur des flammes qui apaiseraient mon cœur ? Peut-être que j'aurais dû rester là bas... Mourir dans la mine ! Était-ce pire que mourir assassinée ? Au moins, je serais morte avec les miens, dans le tombeau des gris Anthracites... Je sentis une larme couler sur ma joue. En venais-je sérieusement à regretter la mine ? C'était... ridicule ! J'avais tant fait pour m'en échapper ! Je... Je me sentais complètement perdue... Tout se mit à tourner autour de moi. Gauzline vint nous houspiller, nous incitant à monter nous coucher, à retourner dans nos grands lits soyeux... Mais... Je ne voulais pas d'un lit soyeux ! Je veux vivre ! Simplement vivre ! Elle éteignit le feu, et, sans réfléchir, mue par un instinct de destruction primaire, je levais mon pied, laissant ma petite pantoufle pâle glisser le long de mon articulation, avant de plonger ma peau nue dans les cendres chaudes. Ewen me fit reculer vivement, me secouant en hurlant... Mais tout évoluait dans un brouillard occultant qui me rendait vaseuse... Je sentis vaguement que la cuisinière examinait mon pied et le baignait d'eau froide... Je sombrais alors dans l'obscurité. 

Lorsque je revins à moi, le visage détendu et endormi d'Ewen s'offrit à ma vue. Je ne puis expliquer pourquoi mais je me sentis rougir violemment. Il avait sa main dans la mienne et sa respiration calme et paisible soulevait délicatement les draps. Je me redressais et posais ma tête sur ma main pour le contempler. Il était...beau, constatais-je en me mordant la lèvre inférieure. Ses cheveux blonds en pétards, étalés sur le lit, tombant légèrement sur son front et ses yeux, ses paupières délicatement fermés, ses lèvres rosées entrouvertes laissant entrevoir un petit morceau de dent blanche et le bout d'une langue charnue... Je pris un profonde inspiration avant de tendre le bout de mon index vers ses mèches blondes pour les ranger délicatement. Il continua de dormir tranquillement et je souris franchement. Mon souffle s'emballait délicatement... Si seulement je pouvais déposer un baiser furtif sur sa joue...ou sur cette bouche si.. 

Un bruit violent me fit sursauter et je me redressais précipitamment. Assise sur le lit, paniquée, je vis s'avancer la Régence Provisoire au grand complet... Dans ma chambre ? Et, était-ce bien ma chambre ? Je tentais de me composer un visage sérieux avant de demander d'une voix tellement étranglée que j'en fut désespérée : 

- Conseiller Mathéoli ? 

Il s'avança, le regard dur et froid. Ewen tentait d'émerger et de saisir ce qui se passait autour de lui. Le Conseiller tira violemment les couvertures et je glapis en ramenant, sans élégance aucune, mes pieds vers mois. Je baissais les yeux sur ma tenue et remarquais que je portais toujours la petite chemise de nuit rose pâle que j'avais enfilée la veille. 

- C'est indécent, siffla le Conseiller Principal avec un air dégoûté. La future reine dans le lit d'un malotru. Il serait peut-être temps que l'on vous enseigne les bonnes manières, Votre Majesté. 

Je déglutis et passait rapidement ma langue sur mes lèvres sèches. 

- C'est entièrement de ma faute, Monsieur le Conseiller, expliqua alors Ewen d'une voix claire et posée. Sa Majesté s'est évanouie et je l'ai... 

Tous les regards étaient fixés sur lui alors qu'il se taisait précipitamment. 

- Elle s'est brûlée, je voulais simplement m'assurer qu'elle irait bien, finit-il par déclarer, ses yeux bleus fixés sur moi en quête d'un réaction positive. 

Je lui souris et hochais la tête. 

- Ce qui me paraît particulièrement indécent, Monsieur le Conseiller Principal Mathéoli, c'est que vous ne trouviez pas outrageant le fait d'entrer violemment dans la chambre d'une jeune femme, et qui plus est dans la chambre de votre future reine, pour bafouer son intimité, sans même prendre le temps de vous annoncer. Il serait peut-être temps que l'on vous enseigne les bonnes manières, Conseiller, rétorquais-je. 

Les lèvres pincées et le regard furieux du Conseiller fut une réponse aussi éloquente que toutes les longues invectives qui existaient en ce bas monde. Je souris le plus aimablement possible en lui faisant signe de gagner la sortie. Il plissa les yeux et lâcha avant de quitter la chambre : 

- Vous êtes attendue pour l'essayage de la robe de votre couronnement. 

Je ne pris même pas le temps de répliquer. Lorsque la porte claqua enfin, je soupirais de soulagement. Je souris à Ewen. 

- Je suis désolée, Magnificence, souffla-t-il. Je.. Je.. 

Il bégayait ? Le prince ? Rouge pivoine, il tentait de trouver les mots justes, ou de retrouver son vocabulaire. Il déglutit. 

- Vous savez.. Je.. Magnificence...  je ne profiterai jamais de toi... Non...Si ! ... Euh... Tout ce que j'essaie de te dire c'est que... Je n'ai pas... Tu vois... Je n'ai pas... 

J'éclatais de rire devant sa mine penaude et ses explications à rallonge pleines d'incertitudes et de bégaiements. 

- Ne te moque pas... J'essaie d'être courtois avec toi, Magnificence ! Je veux que tu saches que... Tu peux avoir confiance en moi ! 

Je souris en lui assurant que c'était le cas. J'avais totalement confiance en lui. Je me levais en lui indiquant qu'il ferait mieux de faire de même. On était attendu. 

Souffle la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant