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A partir de ce jours, je ne reconnus plus le peuple d'Ehiropa. Il était brusquement si vivant, si fort, et si déterminé. Chacun commençait à déterminer son avenir et même à penser un avenir commun. Les villes s'organisaient et tout le monde prenaient les décisions ensembles, s'écoutant, se disputant, argumentant, défendant... Les champs ne furent plus en jachères, les usines ne furent plus à l'arrêts, le pays respirait de nouveau. Et moi, je me lançais à corps perdu dans un tour de tous les villes et villages avec Ewen et Damien. Je bâtis des maisons avec ceux qui bâtissaient, je labourais avec ceux qui labourait, j'enseignais avec ceux qui enseignaient, touchant à tout, faisant de tout pour leur démontrer à chaque seconde que chaque main, chaque bras et chaque vie d'Ehiropa lui était indispensable. C'était l'agrégation de tous nos souffles singuliers qui formaient la vie de notre pays. 

Et après deux années de travail acharné, nous organisâmes une grande fête dans la capitale pour fêter la renaissance de notre pays et l'ouverture d'une nouvelle ère. 

Vêtue d'une simple robe blanche, j'arpentais les rues. On me saluais et je saluais en retour, le sourire aux lèvres. Chaque région était venue démontrer son savoir faire en poterie, en dessin, en cuisine, en danse... Ils rivalisaient d'ingéniosité. Ewen me rejoignit enfin avec deux brochettes de desserts sucrés que je n'avais encore jamais vu. Il rit, lui non plus. Une nouveauté à ce qu'on lui avait expliqué... J'en prie une bouché et l'aspect visqueux me surpris tout d'abord, mais ça fondait sur la langue en une explosion de saveurs. Je m'empressais donc d'en manger encore. La main d'Ewen chercha la mienne et je la serrais fermement. Nous déambulâmes longuement dans les rues. 

La fête battait son plein et nous dansâmes longuement, dégustant des douceurs. Cet instant avait décidément le goût du bonheur.

Soudain, sur l'estrade dressée au milieu de la place principale, les représentants de toutes les régions se retrouvèrent. Le silence se fit. L'un d'eux s'avança. Il expliqua qu'ils avaient tous prévu une surprise pour leur reine. J'ouvris de grand yeux... Pour moi ? 

On me banda les yeux et je serrais fermement la main d'Ewen tout en me laissant guider. J'essayais de deviner où mes pas me menaient mais c'était peine perdue, je n'avais jamais eu un sens de l'orientation particulièrement bon. 

Enfin, le voile noir me fut retiré et s'offrit à ma vue un magnifique petit bateau. Je m'avançais. On était sur le port. Je me retournais interloquée. Je n'étais pas sûre d'avoir compris. Soudain, j'entendis la voix de mon frère. Je fis volte-face rapidement. Il était debout sur le bateau. Il me fit un signe de la main. Je ne pus m'empêcher de remarquer à quel point il avait grandi. Je lui souris. 

- Fifi, il est temps pour toi aussi maintenant. 

Je le regardais sans comprendre alors qu'il semblait lutter contre l'émotion qui l'envahissait. Il vint me rejoindre sur la terre ferme, les yeux larmoyants. Il se racla la gorge pour se redonner contenance. 

- Tu as donné ton destin pour nous permettre de réaliser le nôtre. A chaque instant, tu nous a guidé dans la bonne direction, tu nous a suivi. Tu as été pour moi et pour l'ensemble de notre peuple l'accompagnatrice rêvée vers la réalisation de ce que nous voulions être. Aujourd'hui, Fifi, c'est ton tour. Aujourd'hui, Fifi, nous te rendons ton destin. Il est temps pour toi aussi de faire ce que nous avons fait il y a près de deux ans déjà : choisir ce que signifie notre liberté. Fifi, nous t'offrons tous ce bateau, pour que tu puisses chercher à ton tour à réaliser ta liberté. 

Je lui souris alors que ma vue se brouillait et que ma gorge se nouait. 

- J'ai été très fier d'être votre reine, ne croyez pas que ça n'ait pas été pour moi le plus grand des honneurs, balbutiais-je alors que je peinais à aligner deux pensées cohérentes. 

Tous applaudirent alors que je n'avais rien dit de bien important. Mais je crois qu'au fond, ce n'est pas mes dires qu'ils applaudissaient, mais mon travail de ces deux dernières années. Je souris. Ils avaient raison, j'en avais terminé de tout cela. Je m'approchais du bateau et montais dessus. Je ris en sentant le petit navire tanguer sur mes pieds. On me précisa qu'il était fait pour voyager seul, ou en très petit groupe. Je hochais la tête. Je n'avais jamais voulu être reine, mais j'y avais connu de grands bonheurs. 

Je tendis alors la main à Ewen qui me sourit avant de la saisir et de monter à mes côtés. Mon frère rit ; il s'y attendait. Je lui tirais la langue. Il avait raison, Damien. Il était temps pour Ewen et moi de vivre un nouveau départ, car notre mission ici venait de prendre fin. Je lui pris la mains. 

- Ewen, est-ce que tu accepterais de voyager avec moi, de découvrir le monde avec moi ? Qu'est-ce que tu dirais d'être libre avec moi ? 

Il m'embrassa simplement. Il n'y avait rien d'autre à dire. 

C'est ainsi que nous nous retrouvâmes aux larges, la mer scintillait joyeusement et je la contemplais tranquillement, assise sur le bord du bateau. Je savais que si je me retournais, ce ne serait que pour croiser les yeux bleutés et pétillants de joie d'Ewen. Je portais machinalement la main à mon cou et saisit le petit soleil qui y brillait allègrement. Avec milles précautions, je retirais le pendentif pour le contempler, posé au creux de ma main. Laïa... Je le caressais doucement avec un petit sourire. Puis, je l'embrassais tendrement en remerciant de toutes les forces de mon âme ma chère amie. Je la revoyais brandir sa large enveloppe. C'est notre chance. Je sentis les lèvres s'étirer en un sourire tremblotant. Laïa... C'est toi qui a su souffler en nous la liberté. Je fermais les yeux et ouvrit la main au-dessus de l'eau, pour laisser tomber le pendentif dans la mer. 

Je vais la trouver, ma liberté, Laïa. 

Je rouvris les yeux. 

Le pendentif se joignit au milles joyaux scintillant de la mer et suivit ses remouds jusqu'à disparaître complètement dans ses profondeurs. 



FIN

Souffle la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant