20.

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Les bruits de mes pas résonnaient sur le parquet ciré alors que je retenais à grand peine mes larmes. J'avais honte de me propre lâcheté. Mais qu'aurais-je pu faire d'autre ? 

Des bruits sourds se rapprochaient et une étreinte brutale sur mon bras me fit faire volte face violemment. Un cri de douleur mêlée à de la surprise s'échappa de mon être entier et je me retrouvais face au prince d'Ehiropea. Son regard dur et plein de mépris me transperça. Je chancelais avant de me reprendre. Sans un mot, il me tira derrière lui, sans faire grand cas de mes protestations. Il n'avait que faire de la jeune noiraude peinant à suivre le rythme qu'il la forçait à entretenir, chancelant sur ses jambes, le souffle court et le cheveux en bataille. Mes entrailles se tordaient douloureusement car si le prince daignait enfin s'intéressait à moi dans de telle circonstance, cela ne pouvait rien prévoir de bon...Rien du tout... 

Il me poussa sans ménagement dans un grand bureau et claqua la porte derrière lui. Je me retournais lentement pour lui faire face et rencontrais son regard amer. Je déglutis difficilement. Le visage du prince était fermé, sa bouche serré en une mimique féroce, les yeux mi-clos dans une position des plus implacable. 

- Vous êtes sur le point de créer un incident diplomatique, cracha-t-il, acerbe. Non, mais vous arrive-t-il seulement de réfléchir !

Mon cœur se glaça et je cessais presque de respirer. Il s'avança vers moi, menaçant et haineux. 

- A quoi jouez-vous, continua-t-il d'une voix rude et cassante. Vous cherchez à correspondre à tous les clichés sur les gens de votre caste ! Que voulez-vous montrer ? L'ampleur de votre bêtise, de votre inaptitude, de votre incompétence et de votre mauvais foi ! Rassurez-vous, L'anthracite, vous avez réussi. 

L'anthracite...Cela sonnait comme une insulte ! Craché du bout des lèvres par un homme qui me toisait de sa grandeur. Je fis volte face pour lui cacher mes larmes, les essuyant rageusement alors qu'il continuait ... 

- Je n'ai jamais vu autant d'incompétence et de mépris en une seule personne ! Et vous vous croyez tellement supérieur au reste du monde que vous ne prenez pas la peine de prendre part aux débats, aux lectures... Rien ! Pas le moindre travail ! Et ça a la prétention de devenir reine ! De prendre ma place ! 

Je serrais les poings, rageuse ! Comment pouvait-il dire cela ? Je sentis mon ventre se contracter et me retournais avec colère. 

- Taisez-vous, hurlais-je, fulminant tapant brutalement du plat de la main sur le bureau d'ébène trônant au centre de la pièce. 

Les mots du prince s'étranglèrent dans sa gorge. Jamais personne n'avait dû lui parler sur ce ton... 

- Je ne vous permet pas...

- Moi non plus, m'écriais-je, folle de rage. 

Ce personnage me mettait hors de moi par son arrogance, sa méchanceté... Arhg ! Il m'énervait et cela suffisait ! Je ne pouvais supporter une humiliation de plus ! 

- Si je ne prends pas par à vos débats et vos lectures c'est juste que... 

Je me tus brusquement, réalisant l'aveu que je m'apprêtais à faire. Je ne pouvais pas... Je me stoppais, brusquement effrayée d'en avoir trop dit... Je scrutais le visage du prince qui s'éclairait doucement lorsque les pièces du puzzle se mettait en place... Je rougis. Il fallait que je parte avant qu'il réalise ce que j'allais dire ! Je me dirigeais vers la porte précipitamment et il me retint en me saisissant le bras. L'étreinte était ferme mais douce en même temps. Cette pression relevait d'une certaine prévenance subite à mon égard... Je m'arrêtais, me mordant la lèvre au bord des larmes. 

- Vous ne savez pas lire, réalisa-t-il à voix haute. 

J'eus l'impression que le monde s'arrêtait de tourner... Ma respiration se bloqua. Il avait compris... L'entendre dire était pire que de connaitre cette réalité car elle en semblait tellement plus vraie. Je m'entêtais à tourner le dos au prince alors qu'il émettait une pression légèrement plus importante sur mon bras droit. 

- Mais... Tous les enfants doivent aller à l'école jusqu'à l'âge de 14 ans... Je... Vous ne pouvez pas... 

Il balbutiait, ne savait comment formuler sa pensée. Un rire amer m'échappa brutalement et je lui fis face, la vue brouillée par mes larmes. 

- A l'école... L'école, commençais-je avec un reniflement de mépris. On n'apprend rien aux Anthracites, aux gens comme moi, tellement ils ont pitiés, les professeurs, de la vie à laquelle notre simple existence nous a vouée. On va souffrir...On est né pour mourir au fond d'une mine, sombre, étouffante, terrifiante... Alors on les laisse jouer, ces enfants condamnés à une vie de misère, on leur offre des cadeaux parfois pour leur alléger l'existence, on les gave de bonbons et ils partent ... A dix ans, je suis descendue dans cette mine et j'ai connue le froid du souffle de la mort dans cette mine... Mais j'ai eu de la chance, moi, j'avais connu l'école de l'insouciance, l'allégresse, la joie d'une enfance dans la lumière du soleil... J'ai eu la chance, de ne pas descendre dès mes six ans, au fond de ce tombeau... Moi, j'ai eu de la chance... De la chance ! 

Un rire me terrifiant moi-même me secoua alors que les larmes coulaient maintenant sur mes joues.

- Non, je ne sais ni lire, ni écrire correctement. Je me contentes de recopier les mots sans sens écrit au tableaux. Non, je ne sais pas manger avec élégance. Non, je ne réfléchis pas comme vous ! Non, je ne sais pas valser, danser où même marcher avec vos trucs bizarre sur vos chaussures ! Non, je ne suis pas ici pour devenir reine car je me fiche du trône, de la royauté et de leur bêtise ! J'aurais dû mourir au fond de la mine pour que vous puissiez danser, avoir chaud, gaspiller, mener votre vie d'insouciance de luxe grâce au charbon extré... J'aurais dû mourir avec Laïa ! Mais non, au lieu de ça, je suis venu ici, pensant qu'on m'apprendrait ! 

Je me stoppais un moment pour reprendre mon souffle, remarquant soudain ma respiration erratique et mes mains moites, mes joues baignées de larmes. 

- Je voulais une éducation et tout ce que j'ai eu c'est une humiliation, hurlais-je en retenant un sanglot face à ce constat. 

Mais je serrais les dents et relevais la tête pour faire face au prince. Ce dernier restait immobile, silencieux et l'air incrédule. Il me fixait, la bouche entrouverte, l'air légèrement idiot et cela lui allait bien... Mes larmes dévalaient toujours mes joues creuses cependant, je ne cherchais nullement à les essuyer. 

- Je..., commença-t-il en s'approchant, mademoiselle, perm...

Mon cœur eut un raté et je bloquais sur le début de la phrase... Il avait osé ! Il avait osé ! Un cri de rage pure retentit et je mis quelques secondes à réaliser que c'était le mien. 

- Mademoiselle, reprit-il avec un geste se voulant apaisant. 

- Arrêtez, m'époumonais-je... Arrêtez... 

Je sentais les larmes sur le point de me submerger mais je me contins difficilement. Je secouais la tête doucement... 

- Ne m'appelez pas comme cela... 

Il tenta d'objecter mais la froideur de mon regard l'en dissuada, le laissant bouche ouverte, coi. 

- Ne m'appelez pas mademoiselle, fulminais-je d'une voix néanmoins stable. Pas parce que vous avez pitié ! 

Ma voix se brisa sur la fin et je quittais la salle, la tête haute, le pas calculé mais tremblante de retenir mes sanglots. La porte claqua derrière moi et je courus en direction de ma chambre, sanglotant sans pouvoir me contenir davantage. 








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