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Je me trouvais avec Ewen dans la grande salle du Conseil aujourd'hui déserte. Les Conseillers de la régence provisoire n'avaient pas tardé à filer, le Conseiller Mattéoli en tête. Ils avaient rempli leu devoir, une reine était désormais assise sur le trône, et ils n'avait pas attendu une seconde pour sauver leur précieuse tête. Je tournais donc en rond dans la salle, me tordant les mains, alors qu'Ewen explorait attentivement les comptes du royaume. Des heures qu'il y était, les sourcils froncés, soupirant par intermittence en déplorant quelques mauvais placements... Je n'osais troubler sa concentration intense et me contentais donc de tourner tel un lion en cage autour de lui, à sa plus grande exaspération. Il m'avait à de nombreuses reprises assurés qu'il m'appellerait lorsqu'il en aurait fini de ses calculs mais je n'avais pas déserté le pont pour autant. 

Au bout de ce qui me parut une éternité, il releva enfin la tête, souriant. Je me précipitai vers lui et regardais par dessus son épaule. J'émis un hoquet de surprise. Que ça ? Il m'offrit un sourire contrit. Les caisses allaient bientôt connaître la sécheresse. Un profond soupir m'échappa alors que je me laissais tomber sur une chaise, et plongeais ma tête entre mes bras. Qu'allions-nous faire avec si peu d'argents ? Je fermais les yeux, le cœur battant.  Ewen attendit patiemment que je dise quelque chose. 

- La priorité est de nourrir le peuple, déclarais-je, le plus rapidement possible. 

Je repensais à leurs yeux dévots, à leur brusque élan de partage, à cet enfant, à son sourire, à Damien... Il y avait quelque chose à sauver de cette humanité décrépie, je le sentais tout au fond de moi. Et, j'allais essayer ! Ils m'avaient fait reine pour que je les sauve, alors j'essaierai de toutes mes forces ! Je serrais les poings. Damien... Je suis partie pour que tu ne descendes jamais dans la mine, alors mon couronnement ne t'apportera certainement pas la famine ! Je t'offrirai cet avenir meilleur dont je rêvais... Mon cher petit frère... 

Il fallait que je trouve les moyens de nourrir mon frère, enfin, le peuple tout entier, et c'était déjà bien plus compliqué. Je demandais à Ewen de me rappeler nos principaux partenaires commerciaux. Il s'exécuta avec un sérieux exemplaire. Parmi nos plus précieux alliés il y avait donc le royaume de Dort, les contrés jumelles d'Estlaves, le royaume d'Asianie... Je me frappais le front. Mais bien sûr ! Asianie ! Je me tournais vers le prince déchu pour lui demander s'il pensait que négocier avec le prince d'Asianie des denrées pourrait nous être profitable. Je me souvenais très nettement de ce jeune homme à l'accent chantant... Il m'avait été sympathique. Je pensais pouvoir en faire un allié dans ma lutte contre la famine. Ewen m'annonça qu'il n'y voyait pas d'inconvénients majeurs, d'autant plus que le royaume avait toujours été d'une aide précieuse pour Asianie lorsqu'eux-mêmes avaient connus des difficultés dus à une crue monumentale. Je souris. C'était décidé, nous allions entrer en négociations et nous allions le faire immédiatement ! J'envoyais donc ma première missive officielle. 

Ce ne fut qu'un mois plus tard que la réponse nous parvint. Le prince devenu roi acceptait d'entendre nos propositions mais uniquement de vive-voix en son palais. J'exultais. Les choses sérieuses allaient enfin pouvoir commencer. Le départ fut donc fixé au lendemain. 

C'est ainsi que nous nous retrouvâmes dans une calèche, prêt à faire une quinzaine de jours de voyage pour gagner le royaume voisin. Installée aux côtés d'Ewen, je me forçais à prendre mon mal en patience. Je me sentais terriblement engourdie mais si je voulais arriver vite, il ne fallait certainement pas traîner en route. Nous passâmes donc quinze épuisantes journées sur la route avant que le château majestueux du prince d'Asianie se dresse enfin devant nous. 

Je ne pus m'empêcher de dévorer du regard l'imposante bâtisse, aussi trapue que visiblement lumineuse, pleine de fenêtres et d'ouverture au monde... 

Le roi d'Ansianie nous reçut avec faste, dans une salle de réceptions décorée avec richesse et pleine de beaux mondes. Ewen y parut à mon bras, traduisant tout ce qu'il se disait, puisque je ne parlais pas un mot de leur langue. Il s'empressa de me baiser la main et de m'inviter à danser une valse, et cette fois, je m'exécutais sans le moindre faux-pas. Une soirée enchanteresse s'offrit à nous, une soirée comme nous n'en avions plus connues. 

Mais dès le lendemain, les choses sérieuses commencèrent, dès le lendemain, nous entrâmes en négociations. J'appris à me montrer inflexible et même intransigeante. Il en allait de notre avenir ! Et après cinq jours d'âpres négociations, l'accord tant espéré fut entre mes mains. 

Souffle la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant