43.

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Je me frictionnais les épaules alors que le souffle frais du vent venait agiter mes vêtements. J'avais oublié à quel point cette tenue pouvait être légère. Le prince, portant son habit avec une élégance incroyable, se tourna vers moi. 

- Pas trop froid, souffla-t-il. 

Je secouais la tête malgré le frisson qui nous parcourut à l'unisson. Il faisait nuit. Le soleil était toujours enfoui dans son lit. Pas un rayon pour caresser nos peaux de sa douce chaleur.  

- Vous ne devriez pas, murmurais-je. 

Il se stoppa. La mine était maintenant à portée de vue. Elle se dressait à l'horizon. Si grande, si imposante, si effrayante. Je sentis mes entrailles se tordre. J'y retournais... Mon dieu... J'y retournais vraiment ! 

- Pourquoi, chuchota-t-il d'un ton sec. Pourquoi vous et pas moi ? 

Je me tournais vers lui. Pourquoi ? Mais c'était évident ! Était-il si stupide ? Descendre dans cet enfer... Qui pouvait le souhaiter ? Personne ! Absolument personne ! Excepté Ewen, debout à mes côtés, bien sûr... 

- Pourquoi auriez-vous le droit de mourir dans ce trou noir, de vous y extinquer, d'y perdre votre humanité et pas moi ? Parce que je suis né prince ? Parce que je suis riche ? De quel droit puis-je vous demander de faire ce que je ne peux pas ! De quel droit peut-on décréter ainsi que je ne pourrais pas mourir dans une mine moi aussi ? Oui, je suis prince, Magnificence. Et c'est justement pour cela que je dois descendre dans cette mine comme vous l'avez fait vous aussi ! 

Je le regardais ahuri. 

- Je veux connaître ta vie, ta réalité, continua-t-il. Je veux savoir les souffrances de mon peuple, les vivre à leur côté, leur donner de l'espoir ! Je veux descendre dans cette mine, Magnificence, et je le ferai ! 

Il parti d'un pas décidé alors que je n'en croyais pas mes oreilles. Il me fallut quelques minutes pour me reprendre et le poursuivre en courant. Je l'attrapais par la manche. 

- Il faut passer par la salle des lumières, expliquais-je en le tirant derrière moi. 

Je le guidais à travers la mine, retrouvant mes marques comme si je n'en étais jamais partie. Vérification des lampes, relevé de présence, stress... Rien n'avait changé. Les figures blafardes de mes congénères nous fixaient sans un mot. Je n'y prêtais aucune attention et équipais le prince. Le casque, la lampe, je vérifiais tout, jusqu'à ses lacets. On ne savait jamais... 

- Fifi, s'écria quelqu'un en me saisissant l'épaule. Fifi... 

Un sentiment de sérénité m'emplit le cœur. Jamais je n'étais descendue sans lui... Travis... Je lui souris en lui annonçant que nous descendions également aujourd'hui. Il me serra contre lui et je refermais instinctivement mes bras sur lui. J'enfouis mon visage tout contre sa tenue fraîche et en humais l'odeur de sueur et de charbon mélangés. Lorsqu'il me lâcha, nos yeux se rencontrèrent immédiatement... 

- Toi et moi, sourit-il en un murmure. Comme avant ... 

Je hochais la tête. Un raclement de gorge me fit rougir brutalement. Ewen nous contemplait, un sourcil levé, l'air passablement irrité. Travis exécuta une petite courbette mais le prince le fit se relever d'un signe de tête négatif. Très bien. Pas de salutations distinguées aujourd'hui. 

Je souris au jeune futur souverain qui semblait plus pâle que d'habitude alors que nous nous dirigions avec toute notre unité vers l'ascenseur. Je ne pouvais m'empêcher de scruter les environs et les faces émaciées à la recherche de ce visage si particulier, et paternel. Mais je devais me rendre à l'évidence... Il était sûrement déjà en bas ... Je soupirais et posais un pied dans la cage... Nous allions descendre ! Ma gorge se serra, mes entrailles jouaient aux montagnes russes et ma cage thoracique semblait partie pour danser sur un rythme effréné. Ma main s'agrippa instantanément à une main moite, chaude et un peu tremblante. Nos regards se connectèrent... Ewen. Il tenta un sourire assuré mais ce ne fut pas le plus concluant que j'ai vu de sa part. Loin de là. Ces yeux brillaient d'un éclat effrayé et dans cette pupille claire se reflétait mon propre effroi. Je déglutis alors que nous descendions inexorablement, lentement... 

Souffle la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant