38.

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Nous montâmes rapidement nous changer dans nos appartements respectifs. Je troquais ma robe crottée contre une belle robe mauve et propre. Mon regard se figea alors sur l'horloge à ma droite. Oh non ! Je lançais un juron de mineur en voyant la grande aiguille inexorablement dépasser le chiffre 3. Nous étions en retard ! J'enfilais au hasard un paire de bottines et dévalais les escaliers pour retrouver le prince... Pour retrouver Ewen, me repris-je mentalement. Ewen... Je souris. 

Il m'attendait sur le second pallier et leva les yeux vers moi. Il paraissait plus petit, du haut de mes escaliers. Je me penchais sur la rampe de bois sculpté pour  lui faire un signe enfantin de la main, le dominant de ma hauteur. Il leva les yeux au ciel face à mes gamineries mais il ne pouvait cacher le sourire que ses douces fossettes trahissaient honteusement. 

Je dévalais les escaliers pour le rejoindre et il me tendit le bras. 

- Vous inaugurez une nouvelle mode, me demanda-t-il, un sourire ironique vers mes souliers. 

Je suivis son regard et ... Je rougis brutalement. Dans ma précipitation, j'avais enfilé deux bottes dépareillées ! Une noire ... Et une blanche ! 

- Cela se voit beaucoup, demandais-je en un soupir tirant vers le gémissement. 

Il secoua la tête en me murmurant qu'il resterait un pas légèrement devant moi pour que l'on ne remarque rien. Je voyais clairement que tout cela l'amusait... Pourquoi avais-je un tel don pour le ridicule ? Je devrais penser à entrer dans un cirque ! 

Nous entrâmes dans notre salle d'étude avec un bon quart d'heure de retard. Tous les regards étaient tournés vers nous. Notre précepteur haussa un sourcil au dessus de son monocle de monture rouge. 

- Mademoiselle Daubriac, lorsqu'on est que dixième sur quatorze dans les sondages de la semaine, on essaye d'arriver au moins à l'heure pour paraître moins lamentable. 

Je rougis et balbutiais des excuses tout en réalisant une petite révérence adroite. 

- Monsieur, commença alors le prince face à mon embarras, je vous demanderais de cesser d'agiter votre langue fourchue lorsqu'en réalité vous n'avez pour seul venin qu'un peu d'eau. Reprenez la leçon depuis le début et apprenez que le prince n'est jamais en retard, c'est toujours les autres qui sont en avance. 

Il me prit le bras et m'entraîna vers une chaise. L'homme rondouillard resta coi devant une telle déclaration mais le prince étant le prince, il n'y avait rien à redire. 

- Je ne vous entend pas, fit remarquer Ewen d'un ton volontairement condescendant. 

Il saisit mes doigts et les pressa doucement. 

- Vous êtes une candidate du Choix, mademoiselle Daubriac, personne ne peut vous parler sur ce ton. 

C'est sur ces quelques mots que le précepteur repris la main avec son annonce. Bizarrement, le prince ne lâchait pas mes doigts et il pressa son pied sur le mien. Tant d'attention me rendait mal à l'aise... Et j'avais un mauvais pressentiment. Pourquoi tant de prévenance en public ? Que voulait-il me dire ? 

Je me tournais vers lui et il m'adressa un hochement de la tête. Il semblait crispé... Je sentis les battements de mon cœur s'accélérer par anticipation. Il y avait quelque chose... 

- Nous allons tous nous rendre dans une partie de notre grand royaume avec Sa Majesté le Roi et Sa Majesté la Reine pour une visite officielle auprès de citoyens ayant vécu un véritable drame. Voici une courte vidéo de présentation.

J'eus l'impression que le silence était pesant lorsque l'écran descendit du plafond pour s'offrir à notre vue. Je regardais Ewen qui détourna les yeux, évitant brusquement mon regard. Les premiers mots du commentateur firent mes mains devenir complètement moites alors que je réalisais ce qui se déroulait... "Le coup de grisou..." Mes yeux se reportèrent comme au ralentie sur l'écran où la mine de mon enfance, celle de mes jours de travailleuse, celle de mes cauchemars à répétition s'afficha. Ma respiration se bloqua nette et plus aucun son ne me parvint. Les corps sous leur drap blanc... Les larmes...Le deuil et... Mon visage. Pour tous ceux qui doutaient encore ce fut clair. On allait chez moi. J'allais chez moi... 

Je me contemplais, pleurant alors que Travis tentais de me calmer en me caressant les cheveux. Mes mains se mirent à trembler alors que toute ma détresse me frappait de nouveau de plein fouet. Ma poitrine me brûlait... Et ce n'est que quand les doigts du prince me caressèrent la joue, contact froid sur ma peau brûlante, que je réalisais la présence de petites perles salées dévalant les pentes de mes pommettes... C'était trop... Je... Un sanglot sonore m'échappa et sans réfléchir plus longtemps, libérée de mon immobilité, je quittais la pièce.  

Souffle la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant