23 - Problèmes

410 41 2
                                    

Les problèmes n'ont débuté que bien, bien après. Comme si une journée ne pouvait pas être parfaite, il fallait toujours que quelque chose cloche. Mais pour l'instant, affairées à couper les pizzas que nous avions commandé, nous étions loin de nous en douter...

Camille avait finalement choisi une pizza méditerranéenne aux langoustes et j'étais restée sur quelque chose de plus neutre, avec du jambon et un œuf. Parfois, ce qui était simple était délicieux.

- Je n'ai jamais eu l'occasion de te demander, sourit Camille, comment s'est passé ton premier mois ici ?

- Oh, mieux que je n'aurais jamais pu imaginer ! Ça va sûrement être les meilleures vacances de ma vie, et de loin ! Et toi ?

- Ah... Elle esquissa un geste vague. Ça va, ça vient. J'ai connu des jours meilleurs disons, mais je suis heureuse d'être ici, avec toi. Tu es un peu comme une sœur, tu sais...

- Une super grande sœur j'espère ! ris-je.

- Ah ça oui !

- Ça m'étonne que tu n'aies jamais tenté de travestir Frazer pour qu'il devienne ta sœur !

- Je l'imagine bien portant un peu de mascara et des talons hauts ! Ajouta-t-elle.

Nous nous esclaffâmes pendant un quart d'heure, cette idée étant trop drôle. Chaque fois que l'une se calmait, l'autre en remettait une couche, ce qui nous valait des regards curieux des clients et du serveurs. Eh bien quoi, n'avaient-ils jamais vu deux filles riant aux éclats en mangeant une pizza délicieuse dans l'un des plus beaux endroits qu'il puisse exister ?

Comme si elle lisait dans ma pensée, Camille annonça d'une voix légèrement tremblante mais encore un peu guillerette :

- Si je mourais, je voudrais que le paradis ressemble à ça !

- Je crois qu'il ressemblera exactement à ce qu'on veut qu'il soit ! affirmai-je.

- Tu penses ?

- Mmm mmm. Etant morte environ cinquante mille fois à cause de l'incapacité d'apprendre de Frazer, je sais de quoi je parle.

C'était reparti pour un énième fou-rire.

- Il te fait tant la misère en cours ? dit-elle entre deux quintes.

- Eh bien... Non, disons qu'il n'est pas l'élève modèle ! Mais au moins, les cours sont passionnants !

- Ça, je n'en doute pas une seconde !

En mâchant un bout de mozzarella, je me mis à réfléchir au mois que je venais de passer. J'étais allée d'expérience en expérience, j'avais rencontré des gens extraordinaires, je m'étais rapprochée de Frazer... ça faisait trente jours que j'étais là, et pourtant le temps était passé si vite que j'avais l'impression d'être arrivée hier ! Heureusement, il me restait encore deux mois pour voir Théo et gagner le jeu de Frazer... Qui incluait le voyage le plus dingue qui soit, à travers toute l'Europe !

Dix jours à déambuler dans les rues dans les villes les plus chics, une caméra à la main, pour filmer l'envers du décor, pour montrer la réalité tout autre que les idées préconçues. Dix jours à rire, à découvrir, un croissant ou une glace à l'italienne dans la main, du pudding anglais ou des lucums dans l'assiette. L'idée était plaisante, très plaisante.

Un bruit étrange me sortit de ma rêverie. Je regardai autour de moi avant de planter mes yeux sur Camille. Son expression avait changé. Elle ne riait plus du tout. Sa peau déjà claire était devenue pale et elle toussait sans s'interrompre.

Je me levai brusquement de ma chaise et accourut à ses côtés. Que s'était-il passé ? Elle toussait avec une frénésie dévastatrice et semblait avoir du mal à reprendre son souffle. Je touchai son front, il était brûlant. Prise de panique, je lui portai son verre d'eau à ses lèvres, mais ça ne changea rien.

- Camille ? Que se passe-t-il ? Calme-toi.

Elle avait arrêté de tousser mais son rythme respiratoire était saccadé, comme bloqué. Je ne savais pas quoi faire. Je n'avais jamais assisté à une telle crise. Etait-ce nouveau ou au contraire très fréquent ? Pourquoi personne ne m'avait-il prévenu ?

Je re regardai autour de moi, évaluant la situation pour trouver la solution la plus adaptée. Un, ne pas paniquer. Deux, trouver de l'aide. Trois, appeler Frazer. Ça allait bien se passer.

Je dérangeai brusquement la femme et son mari assis à la table en face de la nôtre. Ils étaient en plein baiser. Tant pis. La mort n'attend pas, l'amour si.

- Hi ! criai-je. My friend right there is making an respiratory crisis. Can you come and keep an eye on her?

Elle me regarda d'abord comme si j'étais tarée. Elle ne semblait pas comprendre ce que je disais. Pourquoi ne parlait-elle pas anglais ? Tout le monde parlait anglais, bon sang ! Je me fis plus insistante et elle suivit mon doigt. En voyant Camille, elle sembla comprendre et son mari et elle se ruèrent sur elle.

Camille était de plus en plus mal en point et le bruit avait rameuté quelques personnes qui se pressaient autour d'elle. Je courus jusqu'à l'intérieur du restaurant où je demandais au gérant d'appeler les secours, au plus vite. Foutu réseau croate qui ne me permettait pas de téléphoner. D'ailleurs, comment allais-je joindre Frazer ?

Une fois que le gérant eut fait l'appel, il me tendit le combiné. L'homme au téléphone parlait un français approximatif mélangé à l'anglais si bien que je comprenais heureusement parfaitement ce qu'il me disait.

Seulement, je n'avais pas la réponse à la moitié des questions qu'il me posait. Son nom, son âge, là où nous étions, ça, je savais. Mais pour le reste : qu'est-ce qu'il se passe ? Est-ce fréquent ? Fait-elle de l'asthme ? A-t-elle une pathologie ? Je dus m'excuser mais je n'en savais fichtrement rien. Pour moi, la version des faits était simple. Nous rigolions et je rêvassais quand tout à coup elle s'était prise d'une quinte de toux inexplicable avant de devenir faible et fébrile.

Lorsque je retournai auprès de Camille, elle était allongée par terre, à moitié consciente. Un homme penché sur elle se présenta à moi comme étant un médecin allemand.

- C'est votre sœur ? Demanda-t-il.

- Non, la sœur de mon copain, expliquai-je.

Pourquoi avais-je dit ça ? Peu importe.

- Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, bredouillai-je, la voix chevrotante. On riait, et puis...

Une femme s'agenouilla auprès de moi et me passa une main dans le dos. Sans m'en rendre compte, je m'étais mise à pleurer.

- Avez-vous appelé les secours jeune fille ?

- Oui, ils ont dit qu'ils seraient là dans moins de dix minutes.

- C'est très bien. Je ne sais pas quelle est la maladie de votre amie mais elle vient clairement de faire une crise pulmonaire. Sa température semble être montée en flèche.

Je me mis à trembler. Camille, qu'avais-tu fait ? Qu'avait-on oublié de me dire ?

- Elle va s'en remettre, hein ? demandai-je

- Bien sûr, me rassura-t-il. Mais une crise comme ça n'est jamais isolée il se pourrait que...

Ses paroles furent interrompues par le bruit des sirènes qui déchirait l'air. Je poussai un soupir de soulagement. C'était les secours. Ils allaient la sauver ! 

90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant