37 - Le bar

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La nuit, tout paraissait radicalement différent. Les gens étaient moins nombreux, les commerces fermés, sauf quelques bars qui se vantaient de fermer à minuit, voire plus tard. Les rues que nous avions traversées tantôt semblaient plus impressionnantes, regorgeants de recoins sombres et de bâtiments à l'allure terrifiante.

- Eh bien, j'espère que le taux de criminalité n'est pas trop haut en Italie, maugréai-je, parce qu'ici, ce n'est pas très difficile de tuer quelqu'un...

Frazer rit avant de passer un bras autour de mes épaules.

- Tu as peur ?

- Non. Je disais juste ça comme ça, dis-je précipitamment.

- Oui, bien sûr, sourit-il. Bah, de toute façon, tu peux être tranquille, il avoisine les 1, je crois.

- Comment tu sais ça ?

- J'ai regardé, haussa-t-il les épaules.

- C'est vrai ?

- Oui. Inutile de prendre des risques inutiles, non ?

Légèrement surprise qu'il ait pensé à un détail comme celui-ci, je ne répondis rien et nous continuâmes à avancer. Ça faisait vingt-cinq minutes qu'on jouait et nous avions déjà trouvé une cachette, près de la fontaine que nous avions vu le premier jour. J'avais un peu galéré à dessiner le motif au feutre rose mais finalement, nous avions réussi. Il était si petit et si bien dissimulé qu'une personne lambda ne pourrait jamais deviner sa présence.

Nous arrivâmes à proximité d'un petit bar encore ouvert, éclairé par une des néons jaunes à moitié détraqués. Le coin, un peu éloigné du Centreville était particulièrement désert. Frazer et moi échangeâmes un regard entendu. C'était une cachette parfaite.

Nous entrâmes dans la taverne et fûmes immédiatement accueillis par une odeur de sueur mélangée à celle d'alcool et de tabac. Une odeur repoussante qui me donna envie de faire demi-tour pour trouver un endroit plus beau, plus calme et moins terrifiant que ce vieux bar miteux où étaient accoudés des hommes d'une quarantaine d'année qui me regardaient à présent avec insistance.

- Je n'aime pas cet endroit, murmurai-je à Frazer. Partons.

Mais je fus interrompue par le gérant qui s'avançait vers nous, nous demandant ce qu'on voulait, l'air de de dire « Vous n'êtes pas à votre place ici, retournez vite dans vos coins romantiques » ou quelque chose comme ça. Je donnai un petit coup de coude à Frazer mais il persista et demanda si nous pouvions boire un verre. Je le regardai comme s'il était malade. Mais que faisait-il ?

Le serveur acquiesça et lui tendit une immense chope de bière mousseuse, plus énorme que je n'en avais jamais vu. Frazer sourit et sortit un billet de sa poche pour payer la consommation qu'il ne but même pas avant d'expliquer ses intentions au serveur.

- Avez-vous une serviette ?

Celui-ci acquiesça et lui tendit une serviette blanche premier prix, où Frazer griffonna le logo, sous les yeux ébahis du serveur et de moi-même.

- Voilà, dit Frazer d'une voix assurée, prenez ça. Lorsque deux garçons de notre âge environ se présenteront sous le nom de Théo et Julien, demandez-leur de boire chacun un truc. Puis filez-leur la serviette. C'est tout.

- Pas compris, répondit le serveur dans un anglais approximatif. Vous, illégaux ? Espions ?

- Non. Nous jouons à un jeu de piste. Rien d'illégal, promis.

Le serveur aquiesca, l'air dubitatif et nous sortîmes. Lorsque nous fûmes dehors, je regardai Frazer, mes yeux lançant des éclairs et me plantai devant lui.

- Qu'est-ce qu'on vient de faire ? criai-je.

- Trouver une nouvelle cachette, pourquoi ?

- Dans un bar miteux ? Sérieusement ? Tu n'as pas vu comment ces gars me dévisageaient ?

- Euh... murmura-t-il, mal à l'aise. Je n'ai pas fait attention, désolé.

- Bien sûr, que tu n'as pas fait attention ! Tu es un gars, alors c'est facile ! Tu ne t'es pas senti jugée, jaugée, détaillée et presque déshabillée par des inconnus bourrés au regard douteux ! Et puis, c'était quoi cette idée ? Les faire boire pour avoir l'indice ? Et si le barman abuse d'eux en leur demandant plusieurs verres avant d'avoir le papier ? S'il ne leur donne jamais ? s'il appelle la police ? Tu y as pensé, hein ? Est-ce que c'était vraiment sûre de confier ça à un parfait inconnu ?

- Mais, je croyais qu'on était d'accord... Tu m'as lancé ce regard, genre « bonne idée ».

- Jusqu'à ce que je voie le bar et ses occupants ! Je t'ai dit que c'était bizarre, et tu ne m'as pas écouté ! Tu n'en as donc vraiment rien à faire de Julien et Théo ? De moi ? Des autres ? Tu veux juste t'amuser, montrer que tu es le meilleur, c'est ça ? Gagner ce fichu jeu, c'est tout ce qui compte, non ? C'est décevant !

Folle de rage, je ne contrôlai plus mes propos. C'était injuste, je le sentais bien, mais ces regards et ces œillades m'avaient mise hors de moi. Et, sans réfléchir un instant, n'accordant pas un seul coup d'œil à Frazer, je m'élançai seule dans les rues noires de Gênes...


90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant