90 jours ensemble

42 - Passions

Le témoignage de la grand-mère avait été plus qu'émouvant, et c'était le cœur gros et l'esprit préoccupé que nous étions sortis, Frazer et moi, pour rejoindre les autres. Heureusement, le diner et la soirée qui avait suivi s'était faite tout en légèreté. Les garçons ne s'étaient pas disputés et avaient même fait équipe ensemble lorsque Julien avait proposé de faire un Time's up. Pour ne pas changer la tendance, Frazer avait gagné.

La journée d'aujourd'hui s'était déroulée à peu près sous la même étoile, puisque le beau temps était au rendez-vous, nous avions nagé des heures dans l'eau bleu et chaude de Tarragone, visité le petit quartier des pécheurs, recueillis les témoignages d'un couple de gay qu'on avait croisé lors de l'achat de nos fameux churros. En somme, tout était bien et j'étais un peu triste de quitter demain cette ville si chaleureuse et accueillante, même si, comme m'avait rassuré Théo, la Norvège avait elle aussi bien des choses à nous offrir !

J'étais en train d'enfiler ma jupe noire pour le festival de ce soir quand on toqua à ma porte.

- C'est Julien. Je peux entrer ?

- Euh, oui, dis-je en terminant d'ajuster ma jupe.

Il me sourit et s'assit sur mon lit.

- Alors, tu es excitée à la perspective de la soirée de ce soir ?

- Oui ! Pas toi ? Le festival des feux d'artifices, ce n'est quand même pas mal !

Le sopars sota els focs, ou diner sous les feux en français semblait être un festival d'été incontournable ici. Toute la journée, nous avions vu des gens installer leurs chaises pliantes, des stands de nourriture se créer et une sorte de scène avait été monté sur la place principale. Bien évidemment, nous avions décidé d'y aller.

- Si. Ça va être drôlement sympa. Ecoute, je voulais te parler de quelque chose...

- Oui ? M'enquis-je en attrapant mon mascara.

- C'est à propos de Frazer.

Je soufflai.

- Ah.

- Il m'a dit que vous vous étiez embrassés.

Je me retournai d'un bond et mon mascara ouvert râpa sur ma joue, la balafrant d'une grosse trace noire.

- Quoi ? Euh...

- Ne t'inquiète pas, me rassura-t-il. Je n'irais pas le dire à Théo, si c'est ce que tu pensais. Frazer me tuerait vif et Théo le tuerait vif. Enfin, tu vois.

- Comment tu l'as su ?

- C'est Frazer. Lorsque tu étais avec Théo sur la plage et que nous étions dans l'eau. Il se sentait vraiment mal et me l'a dit. Je t'avoue que ça ne m'a pas beaucoup surpris...

- C'était une erreur, tranchai-je. Une terrible erreur. Je suis avec Théo, on est bien ensemble.

- Paraît-il oui, murmura-t-il, l'air songeur.

Il tapota le drap pour me faire signe de m'asseoir à côté de lui.

- Tu passes beaucoup de temps avec Frazer.

- C'est vrai. Et alors ? haussai-je les épaules.

- Je remarquai juste.

- C'est mon ami. De toute façon, ça ne comptait pas. Il me l'a dit. Franchement Julien, regarde-lui puis regarde-moi, pourquoi voudrait-il d'une fille comme moi ?

Il haussa un sourcil, visiblement surpris.

- Tu ne vois donc rien ?

- Voir quoi ?

Mais il n'eut pas le temps de me répondre car Frazer entra à ce moment-là dans ma chambre, cherchant le chargeur de téléphone qu'il m'avait prêté hier.

- Tu aurais pu frapper, lui rappela Julien.

- Vous êtes prêts... commença Frazer avant de se tourner vers moi et d'éclater de rire. Ah, non, visiblement non.

Je rougis et haussai les épaules avant d'aller chercher mon démaquillant et de retenter ma chance. Seulement, tandis que j'appliquai le crayon et le rouge à lèvres, une seule chose tournait dans ma tête : Voir quoi, Julien ?

Je fus finalement prête à huit moins le quart et lorsque nous arrivâmes à la place où se trouvait le festival, la musique avait déjà commencé et l'endroit était bondé. Nous trouvâmes une petite table dans un coin, et un photographe vint nous voir pour nous prendre en photo. Visiblement, il semblait tirer le portrait de tous les gens présents à la soirée, espérant se faire quelques commandes.

La soirée fut plus que parfaite. Les feux d'artifices était merveilleux, accompagnés d'une musique endiablée, de gens qui criaient dans tous les sens et de rire qui fusaient de part et d'autre de la place. Certains dansaient comme s'ils étaient hypnotisés, et quand on vint me proposer de se rejoindre à eux, je ne refusais pas. J'étais timide pourtant, mais ce soir tout semblait avoir été éradiqué loin, autre part. Pas de problème, pas de gêne, pas de malaise. Juste un soir, un soir parmi tant d'autres. Un soir éternel. Un soir éphémère. Un soir pour aimer, un soir pour se tromper.

Et, à la lumière de la lune, les yeux levés vers le ciel à l'affut d'une étoile filante, je sus que je m'étais trompée. Parce que, envers et contre tout, c'était Frazer que j'aimais.

Et si j'avais dû faire un souhait, j'aurai voulu que ce soit réciproque. Qu'il m'aime.

Mais il y avait ce jeu. Ce jeu étouffant qui m'empêchait d'aimer qui je voulais. Perdre, gagner. C'était quoi, ça voulait dire quoi quand ça m'empêchait de trouver du sens à ma vie ?

La plage était calme. Je m'étais éloignée de la foule, seule, pour réfléchir. Tapant dans le sable avec mon pied, j'écoutai l'écho inquiétant de la mer, comme s'il serait source de mes réponses quand des pas se rapprochèrent de moi.

Je me retournai et entrevit une silhouette masculine que j'identifiai comme étant Frazer.

- Qu'est-ce que tu as ? demanda-t-il en posant les mains sur mes joues.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- J'ai senti que c'était là que je devais être. Et toi ?

- J'ai perdu le jeu.

- Ah oui ? dit-il en se rapprochant un peu plus.

- Je suis amoureuse de toi. Félicitations. Tu as gagné.

- Oh mais Lucie, souffla-t-il, tu oublies un léger détail. Je suis dingue de toi moi aussi. Depuis le premier jour, quand tu es arrivée avec ton air terrorisé et que tu m'as fait la bise tout en m'engueulant. J'ai su que c'était toi. Et toutes ces secondes depuis, je ne fais que me dire que c'est douloureux de te voir avec lui, alors que je t'aime tant et tant. Quant au jeu... Quel jeu ? Pour moi, il n'est plus question de ce foutu jeu depuis bien longtemps...

Un nouveau feu d'artifice explosa. Était-il en moi ou dans le ciel ? Difficile à dire...