58 - Adieux

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En arrivant dans la structure froide de l'hôpital, je fus saisie par l'ambiance morbide qu'il y régnait. La mort, la peur, la souffrance, encore une fois. Pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-on pas me laisser tranquille quelques semaines, quelques mois voire quelques années ?

Nous traversâmes le couloir principal sans nous arrêter, montâmes l'escalier qui menait au deuxième étage sans parler et arrivâmes dans l'aile des malades graves quelques instants après. Tout était à la fois trop calme et bien agité. Des dizaines d'infirmières en blouse blanches gesticulants dans tous les sens mais pas de malade heureux, de patients souriants.

La chambre de Camille était la dernière, tout au fond à droite du couloir. Nous nous arrêtâmes devant la porte close.

- Maman, l'implora Frazer, tremblant, dis-moi ce que je vais voir.

- Le médecin dit qu'il n'est plus qu'une question d'heures, voire de minutes. Je voulais que vous puissiez lui dire au revoir.

De douces larmes se mirent à couler sur mes joues. Je les essuyai d'un revers de main mais elles continuaient à affluer telle une rivière sans fin.

- Je vais vous attendre dans la salle d'attente, déclara Théo d'une voix plate emplie d'émotion.

Nous acquiesçâmes et le regardâmes partir. Je comprenais qu'il ne veuille pas rester. Face au deuil de cette famille, il ne devait pas se sentir à sa place. Moi-même, j'avais ce sentiment d'être en trop. Pourtant, la main qui se posa sur la mienne me fit comprendre l'importance capitale de ma présence. Frazer avait besoin de moi pour surmonter ça.

Je serrai un peu plus fort ses doigts entre les miens et posai mon autre main sur la poignée. Elle était glacée et rêche, comme un avant-goût de ce qui allait se passer. La porte coulissa dans un léger bruit métallique, d'abord lentement puis tout d'un coup. Je ne voulais pas regarder. Je ne voulais pas mettre un pied dans cette pièce, dans cette chambre qui voyait mourir aujourd'hui, qui l'avait vu hier et qui le verrait encore demain.

La lumière qui inondait la pièce formait un étrange contraste avec les ténèbres qui se bousculaient dans ma tête. Je fis un pas, puis un autre.

Camille semblait dormir. Elle avait ce visage paisible et tranquille malgré la souffrance qu'elle devait endurer. Mais peut-être ne ressentait-elle déjà plus rien que le néant, le vide, le bonheur ultime de l'inconnu. Cachés par la fatigue et les cernes, ses traits étaient pourtant magnifiques. Elle était magnifique.

Si les bips incessants des multiples machines n'existaient pas, j'aurais presque été tentée de lui amener un petit déjeuner pour son réveil. Mais la réalité était tout autre et le rythme lancinant qu'émettaient les appareils médicaux nous le rappelait.

Je jetai un coup d'œil à Frazer. Assis sur le bord du lit de sa sœur, il était blanc comme un linge, pâle comme la mort.

- Ce n'est pas vrai, souffla-t-il. Tu ne peux pas mourir si vite, si jeune, si injustement.

Il déposa un baiser sur son front.

- Allez Camille, réveille-toi. Elle est encore longue la liste des choses que tu veux faire. Bats-toi. Sauve-toi de ta même.

- Elle s'est déjà beaucoup battu, chuchotai-je.

- Je sais. J'aurai juste aimé que ce soit... Que les choses... Ce n'est pas juste ! sanglota-t-il.

Il se tourna vers moi.

- Mais je l'aimais pourtant ! s'écria-t-il. Je t'aimais Camille ! Je t'aime ! Je n'étais peut-être pas toujours le grand frère que tu voulais tant. J'étais bête, stupide, idiot. J'ai cru que la vie était facile quand on fermait les yeux. Est-ce que j'ai causé ta perte, petite sœur ? Mais je t'aime. Je t'aime. Je t'aime. Respire pour moi. Où devrais-je le faire pour toi ? Je ne sais plus...

Il se tut, l'esprit ailleurs et le visage rouge d'avoir tant pleuré. Assise à côté de lui, je bloquai ses épaules pour l'empêcher de tomber et passai ma main dans son dos. Pourquoi fallait-il que la mort soit si ordinaire, si simple ?

Pas de bruit, pas de crimes, pas de balles. Juste le silence, la nature et la maladie. Et ce bip affreux.

Puis cette absence. Quand le son s'arrête, j'arrête de respirer à mon tour. Je retiens mon souffle.

C'est fini. Il n'y a plus d'espoir. Le soir est tombé si brutalement sur ce beau matin, et le jour jamais ne reviendra.

Jamais. Le mot prend tout son sens. Un petit bout d'éternité dans un néant d'incertitudes et de désespoir, c'est ça la mort. Et alors que j'entraîne Frazer hors de la chambre, je comprends qu'on ne remontera plus jamais le temps. L'horloge de l'hôpital s'est figée éternellement pour Camille. Le temps continuera-t-il quelque part, lorsqu'elle aura traversé tout ce brouillard ? Rien n'est moins sûr...


90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant