61 - Bal de courtoisie

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Lundi soir. Dernière nuit en Croatie. Demain après-midi, notre avion repartirait pour la France, laissant derrière lui tous ce que j'avais vécu ces quatre-vingt-dix jours.

Mais pour l'instant, l'ambiance était à la fête, aussi impossible que cela puisse être à croire. Pour organiser le bal de courtoisie, Mr et Mme Ponti s'étaient forcés à sortir de leur torpeur et à y mettre un peu de cœur. La réception se passait chez les parents de Claire et Margaux mais Valérie avait insisté pour aider aux préparatifs.

On avait travaillé toute la matinée sur des gâteaux compliqués et prestigieux, puis j'avais aidé Mallory à choisir entre une robe verte et rouge.

A seize heures, la mère de Julien m'avait contacté pour me demander de parler de mon histoire. J'avais accepté, comme on l'avait décidé avec les garçons à Varsovie. Ca ne me réjouissait pas, mais je n'avais pas le choix.

Il était maintenant dix-huit heures trente et Mallory virevoltait dans sa robe rouge écarlate en s'admirant dans miroir de ma chambre tandis que j'enfilai la mienne. Lorsque je me retournai, Mallory s'arrêta d'un coup.

- Putain Lucie, lâcha-t-elle. Tu es divine dedans.

- Merci, souris-je gênée.

- Si je pouvais avoir un quart de ta beauté, soupira-t-elle, je serai la plus heureuse des femmes !

- Tu rigoles ? Dis-je, mal à l'aise. Tu es cent fois plus jolie que moi.

Ce n'était que pure vérité. Mallory était belle et n'avait rien à envier à qui que ce soit. A côté d'elle, je n'étais pas à la hauteur, mais sa gentillesse était telle qu'elle inversait les rôles. Elle se plaça derrière moi et attrapa le peigne posé sur mon lit.

- Je vais essayer le chignon, m'expliqua-t-elle, ou la tresse. Je ne sais pas trop ce qui t'iras le mieux

Je la laissai décider, et tandis qu'elle me coiffait, appliquai un peu de mascara sur mes cils.

- Tu es triste de repartir demain ? demandai-je alors.

- Oui, beaucoup. J'adore passer les étés en Croatie. A côté de ça, la vie à l'école paraît plutôt fade. Petit déjeuner, cours, devoir. Encore. Et encore.

Elle haussa les épaules.

- Mais bon. C'est comme ça. Et toi ?

- Eh bien, quand je suis arrivée ici, trois mois, ça me semblait être un synonyme d'éternité. Maintenant, j'ai l'impression d'être arrivée hier.

- Je vois ce que tu veux dire, murmura-t-elle.

Elle s'affaire encore un peu avant de s'écrier, visiblement fière d'elle :

- Voilà, c'est fini ! comme je ne savais pas choisir, je t'ai fait une tresse enroulée en chignon !

C'était magnifique, Mallory était vraiment douée.

- Merci beaucoup, souris-je. Pour ce soir, et pour tous les jours d'avant...

- Oh, mais derien Lucie. C'était vraiment sympa de te rencontrer. Frazer a vraiment trouvé quelqu'un d'exceptionnel.

Mon cœur se serra à l'entente de son prénom mais je fis comme si tout allait bien. Savoir qu'il ne serait pas à mes côtés ce soir, que je serai seule, que c'était censé être notre rendez-vous me brisait le cœur. Mais je ne pouvais pas lui en vouloir. Ce n'était pas faute d'avoir essayé. J'avais placé toute ma haine en lui mais l'amour que j'éprouvais gagnait la bataille inlassablement.

Le père de Frazer nous appela. Il était temps de partir.

Quand nous arrivâmes dans la grande salle où se déroulait la réception, je fus impressionnée. La décoration était d'un goût luxueux et raffiné, les plafonds hauts et voutés donnaient à la pièce une dimension incroyable, des buffets entiers s'étalaient à pertes de vues, plus chatoyants et appétissants les uns que les autres.

L'endroit était bondé de femmes aux robes de soirées époustouflantes, bleues, violettes, rouges, noires, blanches, et d'hommes en costards noirs tenant dans leur main des coupes de champagnes. Tant de monde, tant de visages et de sourires faux. Je ne connaissais personne, je me sentais perdue. Ce n'était pas mon monde. Heureusement, Mallory m'entraîna vers ses parents, puis d'autres personnes, qui m'entraînerent à leur tour vers leurs amis. En fin de compte, j'étais baladée de groupe en groupe, serrant des dizaines de main et souriant des milliers de fois. C'était épuisant, mais il fallait paraître.

Soudain, j'entendis mon nom. Je me retournai et découvris la mère de Julien qui, debout sur l'estrade, avait fini de parler et attendait que je fasse ma part du travail. Je jetai un œil autour de moi. D'un coup, monter devant tout le monde et raconter mon histoire ne me paraissait plus une si bonne idée. Mais je devais le faire. Pas question de décevoir tout le monde. Encore moins de me replier par peur. Alors je marchai d'un pas déterminé jusqu'à elle et lui pris le micro d'un air désinvolte. Les mots sortirent difficilement d'abord puis d'un coup.

Lorsque j'eus fini, une légère larme s'était mue au coin de mon œil. Tristesse ou émotion ? C'était sûrement un peu des deux. Je reposai le micro et descendis de la scène pour retourner dans le flot de personnes. Certains m'accordèrent de pauvres sourires, d'autres me félicitèrent pour mon discours si « poignant ».

Mallory me rejoignit et nous nous dirigeâmes vers le buffet où je me servis un millier d'amuses gueules extravagants : milles feuilles au foie gras, compotée de girolles et oignon, macarons au saumon, cheesecake à la pintade et moutarde...

- C'est succulent, m'extasiai en croquant dans un financier à la coppa.

- Oui, affirma-t-elle. Succulent.

Je m'apprêtai à goûter une autre de ces victuailles lorsqu'une voix s'éleva dans mon dos.

- Lucie ? s'enquit-il.

Je faillis laisser échapper l'assiette de mes mains en me retournant. Il était là. Devant moi. 

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