40 - Churros

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Après avoir failli rater notre avion en embarquant pour une destination tout à fait différente de l'Espagne, nous étions finalement arrivés sans une minute de retard à Tarragone, où un écrasant soleil nous avait accueilli.

J'étais harassée, la nuit ayant été courte, mais il n'était que dix heures du matin et les garçons avaient prévu un programme chargé : pas question de se reposer, on devait trouver un restaurant qui accepte de nous apprendre à cuisiner une paëlla. Frazer avait tant insisté, disant que ce serait une bonne approche pour notre vidéo.

- Quel intérêt ? Avais-je demandé, étonnée.

- L'intérêt... L'intérêt Lucie, c'est le contact. Qu'il nous apprenne à faire des choux s'il veut, ce qu'il nous faut, c'est une expérience, un vécu. Et c'est quelque chose qu'on ne nous donnera que si on le cherche un peu.

A vrai dire, il fallut le chercher beaucoup. Après avoir essuyé quatre refus plus ou moins polis, d'hommes et de femmes qui nous regardaient comme si nous étions des extra-terrestre, nous étions découragés.

- On ne trouvera jamais, maugréa Théo. Ce n'est pas si facile de changer le monde, hein !

- Oh, tais-toi, grogna Frazer. Ce n'est pas parce qu'on a entendu quatre non que le cinquième ne sera pas un oui. Perdre la conviction, c'est déjà perdre la guerre.

Le point positif, c'était que cela nous permettait de visiter le quartier. Comme en Italie, les rues étaient chaudes et animés, mais à grand renforts de glaces, c'était l'odeur de fritures et de chocolat qu'on sentait à tous les coins.

- Eh ! m'exclamai-je soudain, et si on essayait près d'un marchand de churros ? On aura peut-être plus de chance qu'un vrai restaurant !

Ils aquiescerent et je m'avançai vers une fille probablement étudiante qui tenait un stand au bout de la rue. Elle parlait bien l'anglais, ce ne fut pas compliqué de lui expliquer notre projet.

- Oh ! s'exclama-t-elle, visiblement enchantée, quelle bonne idée que de faire le tour du monde pour recueillir des témoignages de gens ! Si tous les jeunes étaient comme vous, le monde irait mieux ! Si vous voulez, ma grand-mère est dans une super maison de retraite. Ils prennent des jeunes bénévoles là-bas, et vous pourriez surement recueillir quelques témoignages !

Je la remerciai chaleureusement et elle nous montra, Frazer et moi, comment enrober les churros de sucre glace, les mettre dans le cornet et les servir au client, tout ça avec le sourire. Durant l'heure que durerait notre intervention, Théo et Julien avaient convenu qu'ils iraient à la plage, puis qu'on les rejoindrait là-bas.

Les clients se massaient comme une ruche, et donner des churros à tout le monde le plus vite possible, encaisser la monnaie, faire fondre le chocolat, tout cela était exténuant. Quelques fois, quand les images entre Frazer et les clients étaient fortes, je prenais des clichés.

Frazer avait ça dans le sang, il savait s'y prendre avec les gens et était époustouflant. Son sourire éclatant et sa façon de rire quand un enfant lui disait une petite blague ou lui demandait plus de chocolat était attendrissante. Apparemment, je ne m'en sortais pas si mal non plus, même si j'avais du mal à comprendre l'espagnol, moi. Quoi que je doutais fortement que Frazer y comprenne quelque chose lui aussi, il devait juste faire semblant.

Au bout d'un peu plus d'une heure, quand la gérante nous dit qu'on avait fait le temps qu'on s'était fixé, je n'avais pas vu les minutes passer. Elle nous remercia gentiment de notre aide, quoi que c'eut été éphèmere et nous écrivit l'adresse de sa grand-mère avant de nous remettre à chacun dans les mains un énorme paquet de churros au chocolat noisette. Je ne me fis pas prier, et tandis que nous nous rendions à la plage, le sourire aux lèvre, je dévorai mes churros à pleine dent. Frazer chantonnait un air de Shakira, je fredonnai à mon tour, la bouche pleine, ce qui nous fit partir dans un grand éclat de rire.

Avec lui, tout était simple et naturel. Il était lui-même et plus je le découvrai, plus je comprenais qu'il était en effet loin d'être un cercle. Le Frazer que je croyais aimer au lycée n'était rien face à celui qui se tenait à mes côtés aujourd'hui.

Drôle, intelligent, beau, solidaire, engagé, optimiste, ambitieux, audacieux, étonnant, imprévisible, doux, protecteur...

- On devrait aller faire un tour.

La voix de Frazer me tira de mes pensées, me laissant muette. Je n'avais pas entendu le début de sa phrase.

- Pardon, souris-je. Tu disais quoi ?

- Qu'on devrait aller faire un tour à cette fameuse maison de retraite, reprit-il. C'était une de nos idées !

- On demandera aux garçons s'ils veulent venir !

- Ca m'étonnerait que Théo soit très partant, remarqua Frazer.

Je me renfrognai légèrement.

- Quoi ? S'alarma Frazer. Je ne voulais pas te blesser, c'est juste que...

- Non, non, ce n'est pas toi. C'est vrai. On dirait que notre projet ne le passionne pas. Des fois, j'aimerais bien qu'il s'investisse dans quelque chose de ce voyage. J'ai l'impression qu'il n'aime ni nos visites, ni nos rencontres, ni même ce que je fais avec lui, il ne cesse de me demander si je préfère passer du temps avec toi plutôt que lui...

- Ah, je vois, murmura-t-il. Ecoute, ne le prend pas pour toi ou quoi que ce soit. J'ai bien connu, il a toujours été un peu possessif et ténébreux, tu vois. Et depuis ce qu'il est arrivé l'année dernière, il s'est plus que jamais renfermé sur lui-même...

- Qu'est-il arrivé ? Demandai-je, pleine d'espoir qu'on me livre enfin ce secret qui semblait tous les ronger.

Mais c'était trop tard, déjà, la plage était en vue. Et avec elle, Julien et Théo...


90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant