22- Entre filles

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Toute la nuit, les derniers mots de Frazer flottèrent dans ma tête, prenant tour à tour des airs de cauchemar, de menace ou de jalousie. Je n'arrivai pas à me décider. Si je voulais avancer avec Théo, ne devais-je pas en savoir un peu plus sur ce qu'il s'était passé l'été dernier ? Ne serait-ce que pour comprendre ? Mais je le connaissais si peu...

Heureusement, la journée que j'allais passer avec Camille me changerait les idées. A dix heures, j'étais en bas, habillée et prête à y aller. Elle arriva quelques minutes plus tard, rayonnante. Elle portait une chemise en lin blanc sur un short en jean très foncé et c'est dans cette tenue que je me rendis compte à quel point elle était mince. Pourtant, elle semblait manger assez.

Ses parents l'embrassèrent sur la joue et nous firent promettre d'être rentrées pour dix-huit heures. J'acquiesçai et nous marchâmes jusqu'à l'arrêt de bus situé quelques pâtés de maison plus loin. J'étais étonnée qu'il existe des transports publics dans un endroit aussi chic que celui-ci, ayant tout d'abord pensé que les gens se déplaçaient en taxi ou limousine, mais je m'étais trompée. Prendre le bus était tout ce qu'il y avait de plus normal. En fait, malgré leur luxueuses maisons, ces gens semblaient tout ce qu'il y avait de plus normal.

- Alors, dis-moi, commençai-je quand le bus démarra, comment ça avance avec Julien.

Elle se mordilla la lèvre.

- Je ne lui ai quasiment pas parlé du séjour. Il reste beaucoup avec Frazer ou Théo, et je ne saurai pas quoi lui dire.

- Je comprends, souris-je. Si tu veux, on pourrait aller le voir ensemble, en rentrant. Et puis, je prétexterai que j'ai quelque chose à faire et je m'éclipserai !

Je lui fis un clin d'œil et elle rit.

- Tu es tellement gentille ! Mais tu ne comprends pas, je me comporte comme une fille stupide quand il est là. J'ai les mains moites, des papillons dans le ventre et je débite des mots sans cohérence.

- Tu es amoureuse, traduis-je. On est tous passé par là un jour. Et c'est mignon, tu sais. Si tu n'es pas la fille la plus à l'aise du monde, alors ne le soit jamais. Tu n'as pas besoin de te forcer à être ce que tu n'es pas. Etre toi-même, je peux te le dire, c'est déjà bien suffisant.

- Mais je suis jeune... Il pourrait sortir avec tellement mieux ! soupira-t-elle. Il ne me regarde même pas. Qu'est-ce qu'il en à faire de ce que je ressens pour lui ?

- Je ne sais pas. Je pense que Julien doit parler à Frazer sur ce sujet. Tu lui as posé la question ?

- Il a dit que j'étais sa sœur et qu'il était son meilleur pote. Il ne veut pas s'en mêler. Mais, a-t-il rajouté, s'il me donnait un conseil, il me dirait de foncer.

- Eh bien tu vois ! m'exclamai-je, ça, c'est un signe !

- Oh, railla gentiment Camille, tu ne sais pas ce que ça veut dire. A l'entendre, Frazer foncerait pour tout. C'est ce qui l'amène parfois dans des situations très compliquées, comme l'été dernier...

- Je vois, acquiesçai-je. Mais pour ce coup-là, il n'a pas tort. Mais tu as toutes les vacances devant toi de toute façon ! Rien ne presse !

Je sentis ses lèvres se serrer à l'entente de cette phrase. Qu'avais-je dit ?

Le bus ralentit d'un coup, nous propulsant légèrement vers les sièges devant nous. C'était signe qu'il s'arrêtait et que nous étions arrivés en ville. La rue piétonne grouillait de monde en maillot de bain et tongs qui braillait en croate et en anglais, de touristes qui s'émerveillaient de tout et de restaurants servant des pizzas et des spécialités croates.

Nous fîmes d'abord quelques boutiques où Camille acheta un par-dessus de bain violet foncé et des espadrilles beige à carreaux. Pour ma part, je ne fis que quelques emplettes futiles, comme un gloss à la fraise en forme de glace et des petits objets de touriste pour mes parents et mes amis.

Nous passâmes quatre heures à déambuler dans les rues, faisant du lèche-vitrine, essayant des fringues hideuses, nous faisant passer pour des touristes rebelles et pointilleux. Il faisait une chaleur comme on n'en verrait jamais en France mais un léger vent marin permettait de rendre la température à la limite de l'acceptable.

Nous entrâmes dans un petit magasin tenu par un jeune homme qui lisait un livre poussiéreux dont le titre nous était incompréhensible.

- Bonjour, lança Camille avec un accent français très prononcé, comme si nous appartenions à cette haute bourgeoisie du XVIIe siècle.

Elle rejeta ses cheveux en arrière et je rajustais mon chapeau sous l'œil décontenancé du vendeur. Je remarquai qu'il était plutôt mignon et devait avoir notre âge. En tout cas, il n'était sûrement pas majeur.

- Nous vous prions de nous aider dans la quête de notre graal pour nos chers géniteurs qui nous ont tendrement offert ce sublime voyage, dis-je d'une voix haut perché.

C'était certes un jeu un peu cruel pour les pauvres croates qui nous regardait d'un air désorienté mais jouer les clientes mesquines était une mascarade qui s'avérait plutôt amusante.

- Sorry miss, dit-il dans un accent un peu douteux. I do not understand French.

Camille prit une mine outrée et commença à marmonner et à faire semblant d'hyper ventiler. C'était comique. Les quelques clients qui étaient rentrés dans le magasin à l'instant nous observait de loin comme si nous étions des sortes de fantaisistes venues d'une espèce d'inconnues râleurs et excentriques.

Nous sortîmes en courant, mortes de rire, et continuâmes notre périple à travers les rues. J'aurai voulu que ces moments dure toute une vie. J'étais loin de tout. Ma vie, les problèmes, le choix. Aimais-je Frazer ou Théo ? Pourquoi cela était-il aussi compliqué ?

Vers quatorze heures, nous nous arrêtâmes dans une taverne pittoresque qui nous attirait de par ses nappes bleues et vertes. Ces nappes peu classiques dans un restaurant avaient quelque chose d'accrocheur.

Camille regarda longuement la carte, indécise.

- Je ne sais pas quoi prendre. Tout semble délicieusement bon.

- Ah, souris-je, c'est toujours plus facile de faire un choix quand la plupart des éléments sont négatifs !

Elle leva les yeux de son menu et me regarda quelques instants, soucieuses.

- Tu parles du menu là ? Ou de Théo et Frazer ?

- Comment tu sais ? Demandai-je intriguée.

- J'observe. C'est clair que t'en pince, au moins un peu, pour Frazer. Mais j'ai l'impression que le courant passe bien entre Théo et toi.

- Je sais. Je suis un peu perdue. La soirée d'hier était si bien. Mais je le connais si peu...

- Est-ce que je peux te donner un conseil ? chuchota-t-elle.

- Bien sûr !

- Si j'étais toi, je me fierais à mon instinct. Je ne sais pas pourquoi, mais ce truc-là trahit rarement. Quand on a la sensation que quelque chose ne va pas, il ne faut pas le remettre en doute. Trop de gens n'écoutent pas leur cœur et se laissent berner par les apparences...

Elle avait raison. Je devais me fier à mon instinct. Mais que me disait-il ? C'est ce qu'il me restait à découvrir...


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