... Tout va changer/
Lorsque j'ouvrai les yeux, je ne distinguai rien. Le noir enveloppait de sa douce frayeur l'ensemble de la tente. Quelle heure était-il ? Trois heures ? Deux ? J'avais pourtant l'impression d'avoir dormi des siècles.
Je me tournai et posai une main sur le dos de Frazer. Le tissu froid du duvet me répondit. Quoi ? Il n'y avait rien. Il n'était pas là. Où était-il ?
Je tâtonnai près de mon oreiller à la recherche de ma lampe de poche et la trouvai enfin. Je l'allumai, illuminant d'un coup l'intérieur de la tente. Théo et Julien dormaient à point fermés. Pas Frazer.
Tout doucement, je défis la fermeture éclair de la petite porte en tissu et engouffrai ma tête à l'extérieur puis tout mon corps. Tout était sombre et silencieux, si l'on exceptait le bruit du vent qui sifflait dans les branches.
- Frazer ? chuchotai-je. Tu es là ?
L'écho d'une voix incertaine me répondit.
- Par ici.
J'avançai, guidée par la lumière et le son de la voix. Adossé à un arbre, Frazer contemplait la forêt, comme si tout était normal, qu'il ne faisait pas moins vingt dehors et qu'on n'était pas en pleine nuit.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? m'interrogea-t-il lorsque je m'assis près de lui.
- C'est plutôt à moi de te retourner la question. Je me suis réveillée et tu n'étais plus là.
- Désolé. J'avais envie de prendre l'air.
- As-tu au moins dormi ?
Je le détaillai des pieds à la tête, soupçonneuse. Il portait un gros pull de montagne sur son jean délavé. Ses cheveux n'étaient pas disciplinés mais il n'avait pas la tête de quelqu'un qui venait de sortir du lit. Les yeux perdus dans le vague, il était magnifique.
- Que se passe-t-il, Frazer ? m'inquiétai-je.
- N'as-tu pas l'impression que parfois, tout s'allie contre toi et t'asphyxie au point que l'air te manquerait même en pleine nature ?
- Quand j'ai l'impression de porter tous le poids du monde sur mes épaules, si. Dis-moi ce qu'il y a.
- Même si tu ne pourras rien y faire ?
- Oui, même si je ne pourrais rien y faire.
- Même si tu risques de partir en courant ?
- Je ne m'en irai jamais.
Il me dévisagea.
- Théo...
- Tu peux me le dire, murmurai-je. Tu peux tout me dire. Il n'y a rien que tu aies pu faire qui ne me fera pas t'aimer.
- Détrompe-toi. Quand tu sauras... Tu verras ce que je ne suis pas. Tu vois le meilleur en moi Lucie. Toujours le meilleur. Quand je me trompais en maths, tu me disais que j'avais la méthode, quand j'étais juste nul et paumé, tu me montrais que je pouvais y arriver. Tu m'as fait changé. J'ai changé grâce à toi cet été. J'ai changé pour toi. J'aurai voulu te sauver, te dire que je suis le héros dont tu aurais besoin.
- Tu es le héros dont j'ai besoin. Tu m'as aidé lorsque je n'en pouvais plus de marcher, lorsque j'appréhender de sauter.
- Et je le referais Lucie, sois en sûre. Mais j'ai... Tu ne peux pas m'aimer.
Les ombres inquiétantes me faisaient présager le pire. La tension entre nous était à son comble et comme un film à suspense, je n'attendais plus que le moment où il la briserait. Sa voix muette m'intriguait. Je me serrai contre lui, tournai son visage vers le mien, l'obligeant à me regarder dans les yeux.
Ses prunelles étaient tout aussi glaçantes qu' ardentes.
- Le problème avec les vérités, c'est qu'on ne peut pas les retirer après les avoir dite.
- Je sais, soupirai-je.
- Et on les traîne avec nous, encore et encore, sans pouvoir s'en défaire, comme une mauvaise odeur qui nous colle à la peau . On a beau se laver, notre cœur se salit plus vite encore. Lucie, il y a environ un an, Théo et moi...
Le secret. On y était.
- Depuis que c'est arrivé, j'en rêve toutes les nuits. Le cauchemar revient sans cesse, me narguant, m'obsédant, m'envoûtant. Plus fort, plus insistant. Son nom, je l'entends partout. Je suis fou parfois Lucie. Rongé par ce que j'ai fait. Ce que j'aurai dû faire.
- Raconte-moi, chuchotai-je.
- Ce n'est pas juste. Je n'ai pas le droit d'être amoureux d'une fille aussi belle et intelligente que toi après ce que j'ai fait. Ils auraient pu être heureux, tu comprends. Et puis j'ai tout gâché.
Non, je ne comprends pas, pensai-je. Mais continue.
- Toutes ces nuits où je regarde les étoiles, leur beauté infâmes m'éblouit. Pourquoi rayonnent-elles tant ? Est-ce un cri de détresse de ces cœurs prisonniers d'un ciel trop noir ?
- Ce ne sont que des étoiles, Frazer. Des astres brillants, romantiques et tout à fait naturels.
Il pleurait à présent, et ses larmes chaudes venaient mouiller mon bras.
- Ecoute-moi, murmurai-je en passant ma main dans ses cheveux. Il y a des mots qui nous brûlent les lèvres et ne demandent qu'à être prononcés pour permettre la paix dans nos cœurs qui se consume.
Il se leva et se mit à marcher, l'air hagard. Mes doigts dans les siens, je le suivis.
- Souffrir, c'est déjà mourir. Ne t'abandonne pas, le suppliai-je. Si tu n'es plus toi, qui sera là pour moi ?
Il haussa les épaules.
- Regarde-moi, l'implorai-je. Dis-moi.
Mais déjà, il s'éloignait, se perdait, s'évadait. Physiquement, il était toujours près de moi mais tandis que le froid me gelait, je sentais que son esprit n'était plus là. Où était-il parti ?
Puis soudain, sans crier gare, il tourna la tête et m'embrassa. Doucement, puis vivement, comme si sa vie en dépendait. Peut-être avait-il besoin de croire en nous, en lui, en moi.
- Fuis-moi, chuchota-t-il.
- Tu m'as dit... m'étonnai-je.
- Lucie, je ne suis pas fait pour toi. Fuis-moi.
J'attrapai sa taille et l'embrassai à nouveau.
- Il n'y a rien de plus fort que l'amour.
- Si. La mort. J'ai tué quelqu'un, Lucie.
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90 jours ensemble
Romansa""Lorsque Frazer m'a proposé de jouer, j'ai d'abord dit non. Comment pouvait-il croire que je l'accompagnerai en Croatie tout l'été, juste parce que les dés en avaient décidé ainsi? Puis oui. Parce que c'était fou, incroyable, irréel. Parce que ça...