38 - Instant dérobé

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Courir. Encore et encore. Foncer.

Deux mains m'agrippèrent avec force mais tendresse et m'obligèrent à me retourner. Je me retrouvai nez à nez avec Frazer, le visage amoché.

- Pardon, chuchota-t-il.

Ce n'était qu'un mot, mais sa puissance et son envoûtement me déconcerta. Je regardai les mains qui m'avaient encerclées. Elles étaient ensanglantées. Que s'était-il passé ? Il était essoufflé. Je ne courais pas vite pourtant. Mais longtemps. Sans vraiment savoir, j'avais tout de même l'impression d'avoir couru une éternité.

- J'ai foiré. Au moment où tu es partie, j'ai pris conscience de ce que tu venais de me dire. Ça m'a dégouté. Je me suis dégouté, de t'avoir laissé comme ça, mal à l'aise alors que je cherchais une cachette pour ce stupide jeu. J'ai réalisé que j'avais tout gâché, que je les avais ouvertement laissés te manquer de respect. Je suis retourné dans le bar. J'ai flanqué une droite au premier. C'était pour toi. Il n'avait pas le droit, tu vois.

- Tu n'aurais pas dû te battre, pas même pour moi, murmurai-je.

- Si. Je me battrai pour toi contre un pays s'il le fallait.

- Arrête. Tu ne le penses pas. Tu n'es pas dans ton état normal, tu es énervé, fatigué, tout comme moi.

- J'arrête, murmura-t-il. J'ai tout misé ce soir pour gagner, pour me prouver que j'étais mieux que Théo, que je méritais de vivre, ou je ne sais quoi. Mais si ce jeu signifie te perdre, j'arrête. J'ai déchiré la serviette et son symbole. J'arrête. Mais s'il te plait, ne repars pas. Ne pars plus.

- Jamais, souris-je en me serrant contre lui.

- Jamais ? murmura-t-il.

- Jamais. C'est promis. Maintenant, finissons ce jeu. Et gagnons, mais sans danger.

Il se releva et me prit la main pour m'aider à me mettre debout à mon tour.

- Ils font des visites nocturnes, de la villa Del Principe, dit-il malicieusement.

- Oh, souris-je. Voilà pourquoi tu m'as dit de me souvenir des pièces...

- On ne fera rien d'illégal, sourit-il. Il nous suffira de glisser deux bouts de papiers dans des salles et de partir. Dêpêchons-nous, la visite se termine à vingt-deux heures trente.

Nous courûmes, ne nous arrêtant que pour quelques rapides poses car je manquais d'endurance, mais Frazer ne se plaignait jamais. Après s'être trompés de rues quelques fois, nous arrivâmes à vingt-deux heures et onze minutes précises devant la villa. Un dernier groupe de touristes rentraient et nous nous joignîmes à eux.

A un moment, alors que nous étions dans une des chambres, je remarquai que tout le groupe de touriste avait disparu, ne restant que Frazer et moi. Ils avaient dû avancer plus lentement. Frazer me désigna du menton un escalier dérobé qui, dans le noir, se voyait à peine. Etrangement, il n'était pas barré. Frazer en déduisit que ce qui n'était pas explicitement interdit était carrément autorisé. Je n'étais pas franchement sûre mais le suivit quand même. Nous montâmes le petit escalier en colimaçon dans le silence absolu, faisant gaffe à ne pas attirer l'attention d'un possible touriste ou garde. Il aboutissait sur une petite bibliothèque contenant des ouvrages en cuirs magnifique.

- Ca devait être une pièce pour les réunions secrètes, murmura Frazer.

- Génial ! m'exclamai-je, tout excitée. Imagine, ici se sont peut-être prise de grandes décisions, comme des traités de guerres, des coups d'état...

- Je regrette qu'ils ne nous apprennent pas ça en Histoire ! sourit Frazer.

Nous glissâmes le papier contenant le symbole dans un livre du fond parlant d'amour et d'astronomie avant de noter sur la carte l'emplacement et de créer l'indice correspondant.

« Si vous vouliez dérober les étoiles pour en étudier l'alchimie, où iriez-vous ? »

Un léger bruit retentit, comme un craquement de pas. Nous n'étions pas seuls. D'instinct, Frazer me poussa derrière une rangée de livres, dans le coin le plus sombre de la bibliothèque et nous retînmes notre souffle. Un gardien était entré et semblait regarder si tout était normal avant d'hausser les épaules et de re emprunter l'escalier en sens inverse. Nous avions eu chaud.

Nous redescendîmes à la hâte, vérifiant qu'il n'y avait personne, et sortirent de la villa tout aussi vite pour aller cacher le symbole dans un des bosquets de roses du grand jardin où trônait une petite fontaine

« D'amour et d'eau fraîche » disait notre troisième indice.

Comme il ne restait que vingt minutes, nous cachâmes les deux derniers où nous pûmes, soit près du vendeur de glace du concours et dans une gargouille d'un bâtiment. Lorsqu'il fut vingt-trois heures, j'étais épuisée mais Frazer me lança un sourire éclatant qui me ranima directement.

Je frissonnai. Pourquoi ne pouvais-je pas lui dire ce que je ressentais, ce qui m'animait au fond de moi ?

« Je suis amoureuse de toi, Frazer. Je t'aime comme une maladie mortelle, et quand tu as dit que tu ne voulais jamais me perdre, j'ai failli tomber dans tes bras et t'embrasser. Pourquoi je ne le fais pas ? Ah oui, parce qu'il y a Théo... Et que tu m'as dit que notre baiser ne signifiait rien... » 

90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant