56 - Secret de famille

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- Ils sont Ok ! s'exclama Frazer.

Je le serrai dans mes bras, folle de joie. Ils étaient sains et saufs, tout allait bien pour eux. Ils avaient finalement décidé qu'ils iraient au cinéma le soir. Un simple changement de programme qui avait peut-être bouleversé toute leur existence.

Je n'arrivais pas à y croire. Après une semaine plongée dans la torpeur et les souvenirs, être enfin heureuse et rassurée était un sentiment d'autant plus délectable qu'il ne m'était plus familier.

- Ça, sourit Théo, ça se fête ! Venez, je vous invite au restaurant !

Il leva son sac de piscine comme on aurait fait tinter un verre et nous l'imitâmes. En sortant de la piscine, j'avais le cœur bien moins lourd que quand on y était rentré. Tout dehors paraissait extrêmement beau, la chaleur parfaite d'un jour sans nuage, les beaux bâtiments de Varsovie, l'air frais qui nous chatouillait le visage, le bruit du rire qui émanait de chacun de nous quand on faisait des blagues. Plus beau, plus facile.

Comme il n'était que dix-sept heures, nous décidâmes de remettre la proposition de dîner pour plus tard et d'errer dans les rues de Varsovie. Nous nous rendîmes au parc Lazienki, poumon vert de la ville qui abritait une magnifique demeure de style classique à l'arrière-plan.

Je m'allongeai sur la pelouse chatoyante et me tournai vers Frazer.

- Tu m'as parlé du bal de courtoisie, quand on était à Cracovie. C'est quand, déjà ?

Théo se renfrogna et grogna.

- Tu l'as invitée ? Depuis quand on y va ?

- Je croyais que vous y alliez tous les ans ? dis-je, surprise.

- Oui, oui, expliqua Frazer en s'allongeant à son tour. Quand on était plus jeunes, on venait souvent pour le repas et puis on courrait vite dehors jouer tous ensemble sur la plage. Tu sais ce que c'est, avoir dix ans. On n'avait pas envie de rester là à écouter les grands parler de chiffres à plein de zéros. Maintenant qu'on a dix-sept ans, nos parents pensent que c'est une bonne chose qu'on y participe.

Il haussa les épaules et se tourna vers Théo.

- La mère de Julien t'en a parlé, non ? Elle veut qu'on soutienne son association pour la prévention de l'alcool et l'aide aux personnes malades... Julien et moi en avons souvent discuté, je ne peux pas croire que tu ne sois pas au courant, si ?

- Si, murmura Théo d'une voix étrange. Elle m'a dit que mon histoire serait : « Un authentique témoignage, poignant et bouleversant ». Tina morte, c'est ce qu'elle appelle un « authentique témoignage, poignant et bouleversant » ?

Ah. Ainsi, ils parlaient de ce qu'il était arrivé l'été dernier. J'avais un peu du mal à suivre la conversation, n'ayant jamais entendu parler ni de l'association ni que les garçons étaient requis pour parler.

- Oui, dit simplement Frazer. On connait la mère de Julien, elle ne voit dans les malheurs des gens que le moyen de promouvoir une nouvelle œuvre ou de se mettre en lumière. Tu as refusé sa proposition ? Tu ne vas pas venir ?

- Eh bien... Hésita-t-il. J'ai proposé à Julien qu'on n'y aille pas du tout. Mais bon, c'est tout de même sa mère alors il n'était pas très convaincu. Il m'a dit que c'était soit on « séchait tous les quatre », toi, Dan, lui et moi, soit rien. Il ne voyait pas l'intérêt de braver un peu les interdictions si on ne le faisait pas tous ensemble, comme au bon vieux temps... Enfin, puisque tu as déjà invité Lucie, ce n'est pas très grave, je...

- Eh, les interrompis-je, j'ai peut-être une idée. Et si on y allait juste une heure, le temps de sourire hypocritement quelques fois, avant de s'enfuir comme quand vous étiez gamin ? Et pour le témoignage, une histoire est une histoire non ? Si je racontai la mienne, elle serait contente aussi, non ?

Frazer me sourit d'un air indulgent.

- Mais que veux-tu raconter Luce ? Tu n'as pas d'histoires à ce propos.

- N'en sois pas si sûr, murmurai-je. Il y a des milliers de choses sur ma famille et moi que tu ne connais pas...

Cette fois, les deux garçons semblaient vraiment intrigués.

- Tu ne t'es jamais demandé pourquoi j'étais fille unique ? l'interrogeai-je.

- A vrai dire, non, répondit-il. Il y a tant d'enfants qui le sont, que ça ne m'a jamais percuté plus que ça.

- Eh bien... Commençai-je. C'était il y a longtemps, il y a très très longtemps, environ cinq ou six ans avant que je naisse je crois. Mes parents étaient jeunes, ils étaient en deuxième année de fac. Ils s'étaient rencontrés quelques temps avant, vers la fin du lycée et était vraiment très amoureux. Ma mère est tombée enceinte en Février de cette année-là. Apparemment, ce n'était pas du tout voulu, ils étaient encore des étudiants et voulaient attendre un peu avant d'avoir leur premier enfant.

Je fis une pause et haussai les épaules. Jusque-là, l'histoire devait paraître d'un banal affligeant.

- Bien sûr, ils étaient contents tout de même et ont décidé de le garder. Un soir de mai, ils avaient fait une grosse soirée pour fêter les résultats de leurs partiels. Lorsque ma mère a commencé à être fatiguée, mon père a décidé de prendre la voiture et de la ramener. Il n'avait pas tant bu, mais juste un peu trop pour être dans les clous. Peut-être un verre de moins aurait-il tout changé. Quoi qu'il en soit, ils ont croisé la route d'une autre voiture qui roulait vite, bien vite, bien trop vite. Le conducteur n'était pas sobre non plus, lorsqu'ils se sont rendus compte du danger, ils ont freiné le plus qu'ils pouvaient, mais c'était déjà trop tard, une collision a eu lieu. A priori, personne n'est décédé. Sauf le bébé que ma mère portait... débitai-je dans un souffle.

- Oh, je suis désolé ! souffla Théo, l'air mal à l'aise.

- Ça va, dis-je. En fait, j'ai entendu cette histoire tant de fois et c'était il y a si longtemps que ça ne me rend pas vraiment triste, vous voyez. Des fois je me dis que j'aurai pu avoir un grand frère ou une grande sœur, mais j'arrête vite d'y penser. Pour ma mère, je pense que ça a été un peu plus difficile, mais elle s'y est faite aussi. Voilà. C'est une bonne histoire, à votre avis ? ironisai-je.

- C'est puissant, vibrant, émouvant, se moqua Frazer en imitant la mère de Julien.

Un léger silence s'installa quelques minutes. Chacun de nous semblait réfléchir à ce qui venait de se dire, moi la première. J'étais prête à déterrer une vieille histoire de famille pour aider Théo et Frazer, mais ça n'avait rien d'étonnant. On faisait tout pour les gens qu'on aimait.

J'observai la jeune famille qui venait d'arriver dans le par cet de s'installer à quelques pas de nous. Les deux enfants aux cheveux blonds presque blancs chantaient et dansaient autour de leur parent qui tentaient tant bien que mal d'étaler une nappe à carreaux. Ils parlaient polonais entre eux mais on n'avait pas besoin de comprendre leurs phrases pour savoir que tous les mots étaient emprunts d'amour et de bonheur. Parce qu'après tout, y avait-il un meilleur endroit au monde que celui à côté des gens à qui on tenait ?

Je tournai la tête sur la droite et contemplai Frazer. Son visage paraissait si beau et si paisible. Il avait les yeux vagabonds et l'envie furieuse d'aimer et de vivre, ça se voyait dans le coin de son sourire, quand ses lèvres rouges s'étiraient jusqu'à ses fossettes. Son regard croisa le mien, tambourinant silencieusement dans mon cœur.

- Tu m'envoûtes, murmura-t-il. Pourquoi es-tu toi Lucie ?

- Sans causes inexplicables, il n'y aurait pas de mystère, susurrai-je.

- Pardon, nous interrompit brusquement Théo, j'ai reçu un message de l'ambassadeur. On doit rentrer Impérativement, il s'est passé quelque chose.

- Oh non ! soupirai-je. Quoi encore ?

- Je ne sais pas, mais on a quinze minutes, on ferait bien de se magner...

Aussitôt dit, aussitôt fait. Une seconde plus tard, nous étions debout et courrions à la station de métro la plus proche... 

90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant