48 - Cracovie

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La Pologne avait quelque chose de froid et amer. Ou peut-être était-ce simplement nous. Depuis cette fameuse nuit au camping, rien n'était plus pareil.

J'évitais Théo tant que je pouvais, hantée par ce qu'il avait fait et ce qu'il aurait pu me faire. D'autre part, j'essayai d'en savoir plus : Qu'avait eu Frazer ? Avait-il été gravement blessé ? Comment avaient-ils tous réagis ?

Mais la bulle qui protégeait cet incident semblait impénétrable. Frazer, sombre et malheureux, tentai souvent de changer de sujet. Julien haussait les épaules et murmurai que ce devait être dur pour Frazer de se souvenir, que je devais lui laisser du temps.

En tout cas, ici, tout s'accordait pour nous faire ressentir ce frisson de malaise et d'angoisse. Il gelait, bien qu'on soit en plein été. L'hôtel était carrément miteux.

Lorsque nous l'avions découvert hier soir, on avait halluciné. A côté, les douches des campings paraissaient être du grand luxe. Le robinet tombait en lambeau, l'eau sortait verdâtre et calcaire. Le parquet grinçait sous nos pieds et une odeur nauséabonde sortait de la cuisine.

Quant aux parures de lit jaune beurre, elles sentaient le roussi et le désespoir. Des tâches sombres en ornaient les coins, nous n'essayions pas d'imaginer de quoi elles pouvaient provenir.

- Comment a-t-on pu atterrir dans un trou aussi pourri ? s'était énervé Théo.

- Le site était mensonger, j'imagine.

- Génial, avait-il grommelé.

Frazer n'avait pas fermé l'œil de la nuit et moi non plus. Les draps inconfortables n'intimaient pas à une belle nuit reposante et pleine de beaux rêves. A mon premier cauchemar, ce fut Frazer qui me réveilla.

- Tu criais, avait-il expliqué. Que se passait-il ?

Il avait semblé inquiet, comme s'il était responsable. Après tout, s'il ne m'avait pas raconté cette histoire, je n'aurai pas rêvé de Théo, ivre et fou, tentant de me faire mourir, jurant que je devrais payer. Mais ce n'était pas sa faute. Ce n'était que mon imagination et les conneries de Théo qui, s'étant assemblées ensemble, me tirait brutalement d'un sommeil agité.

- Rien, avais-je murmuré.

- C'est à propos d'hier soir, dans les bois ?

- Oui...

- Oh, Lucie...

Il m'avait prise dans ses bras et nous étions restés une bonne partie de la nuit ainsi, l'un contre l'autre, tentant tant bien que mal de lutter contre ce qui nous obsédait.

Ce matin, on avait pris le petit déjeuner dans un café pas très loin de l'hôtel. J'avais pris un Szarlokta, sorte de gâteau aux pommes et à la chantilly mais bien que la pâtisserie soit bonne, tout me paraissait sans goût et j'eus du mal à la finir.

Nous visitâmes ensuite la ville de Cracovie et ses nombreuses cathédrales. C'était beau et attachant mais tout semblait figé. On n'était loin des rues animées de Tarragone ou de Gênes, des moments chaleureux passés avec nos voisins en Norvège.

Les garçons traînaient des pieds tandis que nous nous baladions dans la rue commerçante. J'avais envie de faire un peu les boutiques pour me changer les idées et puisque personne n'était enthousiaste pour rien, ils s'étaient laissé faire.

Les boutiques étaient belles et luxueuses, j'avais plaisir à arpenter cette rue emplie de magasins chic mais si je savais que je ne pourrai rien acheter, le moindre foulard étant déjà bien au-dessus de nos moyens.

Nous entrâmes dans une petite enseigne qui proposait des robes fantastiques et vintage. J'étais bouche-bée.

La vendeuse s'approcha de moi et me détailla de la tête au pied. Je voulus reculer, lui dire que je ne voulais rien essayer, que je n'avais pas les moyens mais la main de Frazer qui m'enserrait la taille me pressa de rester.

- Il te faut une robe, murmura-t-il. Pour le bal de courtoisie.

- Qu'est-ce donc que ça ? demandai-je avec étonnement.

Ce fut à son tour d'être surpris.

- Je ne t'en ai pas parlé ?

- Visiblement non, souris-je.

- Oh, très bien. Tous les ans, à la fin de l'été, le quartier clotûre les vacances par un grand et majestueux bal. Quelque chose de très officiel, de très cérémonieux, tu vois. Ca n'aura rien à voir avec le barbecue d'accueil que l'on fait entre nous. Il y aura plus de cinq cents personnes et le but est de promouvoir les nouvelles affaires de la rentrée...

- Oh mon dieu. Et tu y vas tous les ans ?

Il sourit, mal à l'aise.

- Oui, et toi aussi, si tu veux m'accompagner.

- Serait-ce un rancard ? Ris-je.

- C'en est un, confirma-t-il. Allez, trouvons la robe qui te rendra encore plus parfaite que tu ne l'es déjà.

Je voulus répliquer quelque chose mais la vendeuse ne m'en laissa pas le temps. Déjà, elle s'approchait, deux robes à la main.

- Tes cheveux roux sont sublimes, s'extasia la vendeuse dans un anglais parfait.

- Euh... Merci, répondis-je gênée.

- Cette robe verte t'irait à ravir.

Elle me la tendit. Je la pris, mal à l'aise. Elle devait coûter des centaines d'euros. La tenture soyeuse était d'un vert pomme exceptionnelle. Le décolleté en dentelle blanche surplombait élégamment le jupon en meringue. Je n'avais jamais rien vu de plus magnifique.

Je l'enfilai avec précaution et me tournai devant le miroir. J'en eus le souffle coupé. Cette fille qui se tenait là, ce n'était pas moi. C'était une fille importante, confiante. Pas moi.

- Tu es... Commença Théo.

- Parfaite, termina Frazer en le fusillant du regard.

La vendeuse jeta un petit coup d'œil et hocha la tête avant de réfléchir quelques instants.

- C'est celle qu'il te faut. Ils font ressortir tes yeux et ta chevelure flamboyante.

- Elle est magnifique, n'est-ce pas ? S'enquit Frazer.

- Frazer... Rougis-je.

Frazer paya la robe comme on aurait acheté un livre de poche dans une librairie et nous nous en allâmes.

- Frazer, il ne fallait pas.

- Oh, si on ne l'avait pas acheté ici, on aurait fait les magasins en Croatie, sourit-il. Mes parents m'avaient demandé de te trouver une tenue, de toute façon.

- C'est si important que ça ?

- C'est un bal de gens riches. Les femmes seront toutes plus ou moins habillées comme ça.

Il serra son bras autour de ma taille et nous nous remîmes à arpenter la ville, à l'affût de petites boutiques sympas ou de monuments célèbres. L'ambiance, peut à peut se réchauffait, si bien qu'aux alentours de dix-neuf heures, on riait aux éclats autour d'un repas polonais commandé dans un petit restaurant près de l'hôtel.

- Je n'arrive pas à croire qu'on rentre dans deux jours ! S'exclama Julien.

Tout était passé tellement vite. A peine le temps de dire bonjour à la Pologne qu'il fallait déjà partir. Ce soir, aux alentours de minuits, on embarquerait pour un avion à destination de la Turquie où on resterait une nuit. Deux, si on comptait celle-ci. Et puis, ce serait le retour en Croatie pour trois semaines. Puis la France, et les cours. Comme le temps passait vite ! 

90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant