43 - Bergen

298 28 2
                                    


Annoncer la nouvelle à Théo ne fut pas évident. Frazer et moi nous étions mis d'accord, j'attendrai le lendemain dans l'avion pour la Norvège. Théo, m'avait-il dit, a des réactions surprenantes lorsqu'il est tard et qu'il s'est bien amusé.

Dans l'avion donc, je m'étais mise à côté de lui, et de la façon la plus simple possible, lui avait expliqué.

- Frazer, hein ? Avait-il demandé.

- Oui...

Il avait hoché la tête et tourné son regard vers le hublot. Le vol durait quatre heures, on ne s'était plus adressé la parole une seule fois. Le temps aurait pu paraître très long mais je ne cessais de me ressasser les paroles de Frazer dans ma tête. Il était amoureux de moi. On sortait ensemble. J'avais l'impression de rêver.

La Norvège n'avait rien à voir avec les pays qu'on avait fait avant. Il y faisait beaucoup plus froid, malgré le magnifique soleil qui perçait à travers un ciel bleu azur. La ville de Bergen était époustouflante, nous avions visité le quartier de Briggen, le plus ancien endroit de la ville qui avait été souvent ravagé par des incendies puis nous avions acheté des billets pour une croisière de deux heures sur les fjords norvégiens.

- Tu veux t'asseoir où ? me demanda Frazer lorsque nous montâmes à bord du bateau.

On avait le choix entre les cabines intérieures qui offraient des sièges confortables et des vues panoramiques ou le ponton supérieur qui, avec des chaises plus rustiques, permettait de voir à l'air frais les époustouflants fjords.

- En haut, bien sûr, souris-je.

Nous trouvâmes des sièges inoccupés et nous calâmes tranquillement. En attendant que le moteur démarre, je tentais tant bien que mal de prendre des photos du navire et du port de Bergen tandis que Frazer, s'amusant avec mes cheveux, me distrayait toutes les trois secondes.

Le bateau démarra enfin. Les fjords étaient incroyables et indescriptibles, tantôt d'un bleu profond tantôt d'un vert ardoise irréelle. Le froid du vent et de l'eau nous irradiait

- De la neige éternelle, remarqua Frazer en désignant le sommet des montagnes qui se couvraient d'un léger manteau blanc. J'adore ce concept, il nous prouve que même ce qui est voué à disparaître peut, dans des conditions particulières, demeurer. C'est beau, non ?

- Oui, c'est plein d'espoir...

Je me tus un instant et contemplai une énième fois le paysage. Comment m'étais-je retrouvée ici, au beau milieu de la Norvège, dans les bras d'un garçon merveilleusement attachant ? Pourquoi moi ?

Parce que j'avais pris le risque. Le risque de jouer. Celui de perdre, aussi.

La croisière s'acheva à vingt heures, et lorsque nous rejoignîmes Julien et Théo, qui étaient restés au bar en bas, j'avais la peau gelée mais le cœur ardent.

Nous regagnâmes notre logement, qui consistait en un petit bungalow au bord de l'eau. Boisé de rouge, il était splendide. Le salon tout de bois donnait sur une petite cuisine et une grande chambre. L'endroit était tellement accueillant que je ne pouvais m'imaginer qu'on n'y restait que deux nuits...

- Il faut qu'on aille faire des courses, remarquai-je, ou on n'aura rien à manger ce soir.

- Je m'en charge, proposa Frazer. Qui vient avec moi ?

- Quelle question, souris-je, je viens.

Nous enfilâmes un pull plus chaud et claquâmes la porte du chalet. Dehors, il faisait nuit et le vent soufflait fort.

- Dans l'avion, j'ai repéré sur une carte les supermarchés, mais il faut d'abord prendre le bus pour aller au centre-ville, expliquai-je.

- Oh, le bus, on connait ! sourit Frazer.

Effectivement, après l'épreuve en Espagne, on s'en sortait déjà mieux. Cependant, lorsque nous arrivâmes au supermarché, il était déjà fermé.

- Oh super, on n'avait pas pensé à ça, maugréa Frazer. Il est vingt et une heures, ça sera de partout pareil.

- Attends, faisons un tour dans la ville. Il y a peut-être ce genre de supermarché de secours qui sont ouverts jusqu'à minuit.

- Peut-être, souffla-t-il.

Nous longeâmes les rues et tombâmes finalement sur une petite enseigne qui se vantait de fermer à vingt-deux heures.

- Soit dans dix minutes, remarquai-je.

- Semblerait-il que le compte à rebours a commencé, rit Frazer en attrapant un caddie. Alors, qu'est-ce qu'on prend ?

- Je ne sais pas, je ne reconnais rien ! Tout est marqué en norvégiens !

- Etrange, en effet, se moqua Frazer.

Nous nous dirigeâmes au rayon des petits déjeuners et prîmes de la brioche, ou du moins quelque chose qui ressemblait à de la brioche, et de la pâte à tartiner blanche.

- Blanche ? s'étonna Frazer. C'est à quoi, tu penses ?

- Je ne sais pas. Ça peut être à plein de trucs, chocolat, fromage blanc, coco... On verra bien !

- Hum, acquiesça-t-il, peu convaincu.

Nous continuâmes en achetant du riz et ce qui nous sembla être de la sauce aigre douce, ainsi qu'un énorme pot de yaourt à la crème.

- 230 noks, nous annonça le vendeur.

Cette fois, je ne me fis pas piéger. Je savais que ça correspondait à quelque chose comme vingt-cinq euros. Mais quand même, la somme était impressionnante.

Lorsque nous arrivâmes au chalet, je dénichai une casserole et nous fîmes chauffer le riz. Quand nous nous mîmes à table, il était vingt-trois heures et j'avais une faim de loup.

- Nous avons parlé aux occupants de la cabane voisine, dit soudain Théo entre deux bouchées de riz.

- Ah oui ?

- Ce sont des amoureux en lune de miel, je crois. Ils sont cool. Et je pense que vous allez adorer parler avec eux.

- Pourquoi ?

- Parce qu'ils sont gay. Et que l'un d'eux est chinois, l'autre français.

- C'est interessant, effectivement, remarqua Frazer.

Un léger silence flotta quelques instants avant que Julien le rompe.

- Sinon, ça fait déjà six jours qu'on est parti en voyage. Ça passe vite.

- C'est sûr ! m'exclamai-je.

- Quand est-ce qu'on fait notre nuit en camping déjà ? s'enquit Théo.

Je consultai le programme que nous avions établi.

- Au jour huit.

- Soit dans deux jours.

- Oh, comme j'ai hâte d'y être... maugréa amèrement Théo.

J'haussai les épaules. Rien ne lui plaisait jamais de toute façon !


90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant