Depuis qu'on était au courant, il fallait vivre avec. Chacun faisait de son mieux pour tenter de dissimuler notre profonde inquiétude commune, comme si Camille n'allait pas réellement mourir.
Les jours passaient doucement, comme si chaque seconde de l'existence était importance. Le petit quotidien dans lequel la famille Ponti s'était muré avait quelque chose de rassurant. Frazer et moi continuions nos cours de façon traînante. Il n'était plus enthousiaste et ne tentait même pas de tourner les choses en ridicules.
Je me contentai de lui apprendre et lui d'appliquer comme il pouvait, quand il n'était pas occupé à regarder dans le vide. Valérie préparait des gâteaux et invitait les voisins. Quand la maison n'était pas remplie d'invités, elle lisait des livres ou rendait visite à Camille restée à l'hôpital. L'ambiance était fausse, mais je ne pouvais pas leur en vouloir. D'ici quelques jours, ils perdraient un bout de leur famille. Et ils le savaient.
Pour ma part, j'avais passé la majeure partie de mon temps avec Théo. Il était au courant pour Camille, évidemment, et s'était montré compréhensif quand j'avais pleuré sur son épaule une après-midi entière.
Nos rendez-vous n'avaient rien du feu d'artifice qu'avait été le premier. On s'asseyait sur le sable et je lui parlais tandis qu'il lançait des cailloux dans l'eau turquoise. Plusieurs fois, il m'avait proposé de me changer les idées en m'emmenant ici où là, mais j'avais toujours refusé.
Quant à Julien, il semblait terriblement mal. Frazer et lui partaient souvent en mer sur le voilier du voisin. Au début Valérie s'était indignée, et puis face à tous les malheurs qui s'accumulaient dans sa vie, elle avait laissé tomber et donné carte blanche à Frazer.
Lorsque les deux garçons disparaissent en mer pour quelques heures, j'avais toujours cette inquiétude qui me tordait le ventre. Et s'ils sombraient en eau vive ? Dans une tempête ? Heureusement, ils avaient toujours fini par revenir...
Cela expliqua ma surprise lorsque Frazer déboula sur la plage un mercredi après-midi alors que Théo et moi étions en train de nous embrasser. Théo le fusilla du regard avant de lui demander ce qu'il faisait ici.
Frazer, pas le moins du monde déstabilisé par le ton rude de Théo, s'assit sur le sable à côté de nous.
- Ça fait 45 jours que tu es ici, et nous n'avons pas encore réalisé nos objectifs, soupira-t-il. La maladie de ma sœur m'a arraché à tout ce à quoi j'aspirai jusqu'alors, mais je sais qu'elle ne veut pas ça. Elle me l'a dit ce matin quand je suis allée la voir. On doit vivre. Continuer.
- C'est vrai. Elle est tellement... généreuse.
- Je veux partir loin d'ici, Luce. Je veux qu'on fasse notre voyage. Qu'on crée notre projet. Je veux montrer à ma sœur que je ne suis pas qu'un connard fini.
- Elle ne pense pas ça, le rassurai-je.
- Non. Mais j'ai besoin de lui prouver qu'elle ne se trompe pas sur moi. J'ai besoin de me le prouver.
Il sortit quelques feuilles de sa poche et me les tendit.
- Avant que la situation ne dérape, j'avais fait quelques ébauches d'un projet.
J'étalai les feuilles sur le sol et observai l'itinéraire qu'il avait tracé. Tout y était. Les cinq pays que nous visiterions, les noms des hôtels, les horaires de trains, le coût total. Il avait fait un travail de titan. J'étais impressionnée.
- Je ne savais pas que tu avais fait tout ça.
- C'était il y a longtemps. Tout cela m'était un peu sorti de l'esprit.
Je me tournai vers Théo qui pinçait les lèvres, l'air vaguement intéressé. Se sentait-il de trop ? Allait-il m'en vouloir ?
- Alors, dit-il justement en s'adressant à Frazer, si j'ai bien compris, tu comptes faire un voyage de quinze jours avec ma copine ? C'est romantique.
Je me mordis la lèvre. Il était jaloux.
- J'ai prévu de vous inviter, Julien et toi. Si vous voulez.
- Ah. Lâcha Théo, surprit.
- Je me doutais bien que tu serais jaloux et possessif. Je me souviens bien de Tina.
- Ne me parle pas d'elle ! rugit-il.
Théo se leva d'un bond et commença à décocher sans crier gare un coup de poing dans l'abdomen de Frazer. J'hurlai, paniquée. Que se passait-il ?
- Arrêtez ! Arrêtez-vous ! Mon dieu !
Frazer lui rendait les coups et même si les poings n'étaient pas violents, toute l'animosité qu'il y avait dans leur regard aurait suffi à pousser à la mort un régiment de soldats.
- Théo. Arrête tout de suite. Frazer, tu es stupide. Ce n'est pas ce que Camille s'imagine de toi.
Ils me regardèrent le souffle coupé. J'avais fait écho dans leur cerveau.
- Pardon, murmura enfin Théo en s'adressant à moi.
- Que s'est-il passé ? Théo, pourquoi as-tu frappé Frazer sans raison ?
- Il y avait une raison, grogna imperceptiblement celui-ci.
- Vous comptez me l'expliquer ?
Tous deux me répondirent en même temps d'une façon sèche et brutale.
- Non.
- Très bien, murmurai-je au bord des larmes. Je me barre.
Sans leur laisser la moindre chance d'esquisser un geste, je me levai et couru en direction de la maison. Je ne voulais rien avoir dans les conflits entre Théo et Frazer. Je ne voulais pas non plus les voir se battre comme des bêtes quand la sœur de l'un était sur le point de mourir.
J'entrai dans la cuisine en furie, dénichai un pot de confiture et du pain et emmenai le tout dans ma chambre. Il n'était pas question que je fasse ce foutu voyage avec eux. Ou alors, ils devraient m'expliquer ce qui les poussait à tant de colère l'un contre l'autre. Et qui était cette fameuse Tina à cause de qui tout avait commencé.
Aprèsm'être calmée devant un film, je sorti dehors sur le perron. Aucune trace desgarçons. Il fallait que je fasse quelque chose. Que je comprenne. Ou du moins,que je tente de comprendre. La lumière des voisins était allumée. Peut-être queJulien pourrait m'en dire plus ? Il fallait que j'essaye.
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90 jours ensemble
Romantizm""Lorsque Frazer m'a proposé de jouer, j'ai d'abord dit non. Comment pouvait-il croire que je l'accompagnerai en Croatie tout l'été, juste parce que les dés en avaient décidé ainsi? Puis oui. Parce que c'était fou, incroyable, irréel. Parce que ça...