16 - Pas très scolaire

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La mère de Frazer sortit un tas de cahiers et livres scolaires de rattrapage de l'armoire et les posa sur la table. Frazer poussa un soupir extenué. Je n'étais pas franchement d'humeur non plus.

Assis sur la table du petit salon depuis cinq dix minutes, on ne savait pas trop sur quel pied danser. Pour nous, enfin pour moi en tout cas, il n'avait jamais été question de soutien scolaire...

- Il va falloir réviser le français, les mathématiques, l'histoire géo et l'anglais, m'expliqua Valérie. Frazer n'a rien fait pendant l'année, s'il ne rattrape pas cette année, il n'aura pas son bac.

- Merci Maman, grogna celui-ci. C'est encourageant.

Elle haussa un sourcil mais ne répliqua rien.

- Bon, je vous laisse. Travaillez bien les enfants ! s'exclama-t-elle joyeusement.

Elle semblait la seule personne enthousiaste dans cette pièce.

Lorsqu'elle fut partie, je poussai un soupir à mon tour et observai les bouquins devant moi.

- Bon, attaquai-je, gênée, par quoi tu veux commencer ?

Il posa les coudes sur la table et me regarda d'un air malicieux.

- C'est toi la prof, à toi de voir ! sourit-il.

- Très bien. Si c'est comme ça, revoyons l'histoire.

- Oh, c'est là que tout a commencé ! se rappela-t-il.

Il faisait référence au jeu, évidemment. Le jeu auquel je n'aurai jamais du participer.

- Hum, toussotai-je. Alors, c'était si mauvais que ça ton niveau cette année ? Je n'ai pas regardé toute tes notes, mais ça ne m'a pas semblé si catastrophique quand le prof te les rendait pourtant.

- J'avais douze treize.

Il haussa les épaules, d'un air las.

- Plus vite on a commencé, plus vite on a fini, j'imagine. Premier chapitre, les migrations européennes au fil du temps. Qu'est-ce que tu peux me dire dessus ?

- On n'en a rien faire de ça ! Ils ont bougé parce qu'ils avaient froid et qu'ils avaient faim ! Sauf qu'ils n'avaient pas encore d'avion alors c'était plus long.

- C'est très... Enrichissant, dis-je, sceptique. Si on reprenait ?

Je commençai à lire.

« Selon l'OIM (l'Organisation Internationale pour les Migrations), la Planète compte, en 2012, 214 millions de migrants internationaux, qui représentent 3,1 % de la population mondiale. Les migrations internationales massives ne sont pas une nouveauté historique. Cependant, depuis le 19e siècle, leurs caractéristiques ont changé et, depuis les années 1980, en même temps que l'économie et l'information, le phénomène migratoire s'est mondialisé. »

- C'est inintéressant, franchement, me coupa-t-il.

- Je n'ai jamais prétendu le contraire.

- Pourquoi devrais-je apprendre ça ? Ça ne va me servir à rien.

- Je ne sais pas. Ma mère m'a demandé de te faire réviser le programme d'histoire. Je te rappelle que je n'ai jamais signé pour ça, que je n'ai aucune idée de ce qu'on fait ou ce qu'on doit faire, et que moi aussi, je n'ai pas envie de lire des choses sur la migration ! criai-je.

- Ça va, ça va. Calme-toi. Désolé.

Pendant la demi-heure qui suivit, j'essayai de faire intégrer à Frazer quelques notions sur cette fameuse migration. La tâche était ardue parce qu'il m'écoutait à moitié, mais pas impossible.

La deuxième demi-heure fut plus compliquée. Nous étions passés à un texte de Baudelaire qu'il fallait analyser mais nous n'étions plus ni l'un ni l'autre concentré depuis que nous avions découvert que tous les auteurs de cette époque fumaient des joins pour trouver l'inspiration. Quel modèle, franchement.

C'est comme ça que, la troisième demi-heure, Frazer s'était retrouvé sur la table, un faux joint dans la main gauche un torchon piqué dans la cuisine sur la tête. Il avait les yeux fermés et mimait d'être complètement défoncé tout en sortant des vers incompréhensibles.

- Ce n'est pas bien difficile d'être poète finalement, s'exclama-t-il quand il eut fini sa longue tirade sans queue ni tête.

- Tu veux voir ce que ça donne ? Ris-je.

- Tu as noté ? S'étonna-t-elle.

- Bien sûr ! J'étais tellement fière de ton œuvre d'art !

De Frazer Ponti, futur grand poète

Les hortensias

Violet velours la douce lumière,

Qui illumine les tiges d'un vert,

Si profond comme le néant,

Ou comme un grain de sable géant.

- Pour l'instant, c'est cohérent non ? se défendit-il.

- Attend de voir la suite, pouffai-je.

Le torchon de la cuisine,

Vit d'amour et de vaseline,

Ma copine de soutien est crétine,

Vert doux les fleurs je piétine.

- Je manquais peut-être d'inspiration pour les deux premiers vers, je te l'accorde. Le troisième par contre, il est parfait, me provoqua-t-il.

- C'est vrai, souris-je, c'est le plus compréhensible !

Aimant voluptueux et plantes grasses,

Pour un canapé pas de place,

Soucis merveilleux aux poussières d'étoiles,

Remparts affectueux à bateau ou à voile.

- Heureusement, tu t'es arrêté ici, me moquai-je. Maintenant, ô grand poète, peux-tu me dire le sens de tout ça ?

- Eh bien, je te donne quatre heures pour le trouver ! Avec problématique et plan détaillé s'il vous plait !

Nos cours étaient vraiment devenus n'importe quoi. Maintenant que Frazer m'avait montré ses talents d'écriture, il dessinait des cœurs sur sa feuille tandis que j'essayai de lui reparler des migrants.

- Pitié ! Arrête avec les italiens qui décident d'aller en Argentine ! J'ai COMPRIS !

- Ce ne sont pas les italiens mais les espagnols ! Et d'abord, pourquoi tu décides des cœurs ? Ce sont les filles qui font ça d'habitude !

- Par maladie d'amour pour toi !

Je le tapai gentiment avec mon stylo.

- Tu me donnes du fil à retordre Frazer !

- Je n'ai jamais dit que passer 90 jours ensemble serait facile !

- Mais ça en vaut la peine... chuchotai-je à moi-même.

Du moins, je l'espérai..


90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant