47 - Pour l'éternité

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La mort nous entoure. Elle est là, partout et nulle part, s'immisçant dans les corps, les esprits, l'amour. La mort nous encercle, quoi qu'on fasse et il en faut du courage pour l'affronter bien en face et résister.

Les mots ont transpercé l'air et j'ai retenu mon souffle. Qui ? C'était ma question, mais je ne savais même pas pourquoi je voulais la poser. Avait-ce vraiment de l'importance, qui ? De toute façon, je savais déjà. Je me doutais. J'avais compris. Pourquoi avait-il fait ça ? Comment ? Voulais-je vraiment savoir, après tout ?

J'avais l'impression que les bois se rétrécissaient autour de moi, me prenant au piège dans un secret infernal qui avait dévoré l'âme de Frazer et Théo. D'une manière ou d'une autre, j'avais toujours su que l'enjeu entre les garçons dépassaient une simple dispute de jalousie ou de tromperie.

« Quand il y a amour, il y a mensonge, désillusion, crime ».

Courir. Pour aller où ? Pour faire quoi ? Comme si des foulées rapides à travers une forêt inconnue changeraient quelque chose à mon esprit agité. Fuir ? Fuir quoi ? Fuir la seule personne qui donnait tous le sens de ma vie ?

Mourir.

« Ce n'est pas vraiment sa faute » avait dit Camille.

Elle l'aimait toujours. Julien aussi.

« Ce n'est pas tout blanc ni tout noir. Personne n'est parfaitement innocent dans une histoire. » m'avait expliqué Julien.

- Laisse-moi t'aimer, murmurai-je.

Il se redressa vivement.

- Quoi ?

- Explique-moi.

- Très bien...

» L'été dernier, nous étions au barbecue de bienvenue, comme tous les ans, Théo, Dan, Julien et moi. Il y avait une autre fille, une nouvelle. C'était la fille de riches complètement cons qui venaient de faire construire une immense baraque. Tina était... Elle était électrique, insensée. Elle avait des cheveux rouge flammes, un style et un look bien à elle et beaucoup de prestance. C'était Tina. Soit on l'adorait, soit on la détestait. Evidemment, Théo était tombé raide dingue de Tina, et même si ça a pris un peu de temps, elle aussi. Ils vivaient quelque chose d'intense, quelque chose que je ne saurai décrire. C'était aussi puissant que destructeur et il n'était pas rare qu'ils passent des larmes et des cris aux amours charnels et passionnés. Tina était comme ça, folle, libre, inconstante.

» Un soir, notre groupe et elle sommes allés à une soirée en ville d'un gars qu'on avait rencontré sur la plage et qui nous avait invité. Au début, je n'étais pas ravi d'aller chez quelqu'un que je ne connaissais pas, puis Tina a convaincu Théo qui m'a forcé. La soirée était horrible. C'était ce genre de fête où il y avait plus d'alcool que d'air, où les filles se retrouvaient à danser sur les tables de façons atroces. Théo s'était laissé entrainer par l'ambiance malsaine et avait commencé à boire. Puis il avait fumé un joint. Puis autre chose, d'encore un peu plus fort, jusqu'à ce qu'il perde complètement la tête.

» Au même moment, Tina n'était pas franchement mieux. Complètement ivres et bourrés, elle dansait collé-serré avec un gars hideux qui n'arrêtait pas de la regarder avec désir et envie, comme s'il attendait plus qu'une simple danse. Lorsque Théo s'est rendu compte que sa copine allumait un autre gars, il lui est tombé dessus et a commencé à la taper, puis le gars, puis elle à nouveau. Ils ne savaient plus ce qu'ils faisaient, ils s'incendiaient, s'invectivaient, ce n'était vraiment pas beau à voir. C'est là que je suis intervenu. En voyant ça, j'ai compris que leur relation tournait à la catastrophe sans même qu'ils en soient responsables. Alors, pour sauver ce qui était peut-être sauvable, j'ai attrapé par la manche une Tina complètement soûl, je lui ai posé un casque sur la tête et l'ai installé à l'arrière sur mon scooter, bien décidé à la ramener chez elle.

» Je n'étais pas ivre, je n'avais pas bu un seul verre. Je conduisais dans la nuit, la tête tout de même un peu ailleurs et grisée à cause de tout ce qu'il s'était passé ce soir. La route était sombre et petite. Je n'entendais aucun bruit du côté de Tina. Elle semblait profondément endormie, ce qui était étrange puisqu'on était sur un scooter, ce qui n'est pas le plus confortable pour avoir un petit somme.

» Mon téléphone a sonné. A cette époque, ma sœur était de nouveau en rechute et avait été hospitalisée la veille. Lorsque j'ai entendu la sonnerie dans le noir de la nuit, j'ai sursauté et j'ai paniqué. M'appelait-on pour me dire que Camille était morte ?

» J'ai baissé les yeux un instant. Peut-être deux. Je n'ai pas vu ce qui se dressait devant moi. Je n'ai pas vu le mur en face de moi. Celui qui a tout déclenché. J'ai voulu freiner mais c'était trop tard. Le scooter avait frappé le béton, nous projetant Tina et moi sur le sol.

» Dans un accès de désespoir où j'étais toujours conscient, j'ai attrapé mon téléphone et appelé les secours. Je n'ai pas eu le temps de raccrocher que je tombai inconscient. Lorsque je me suis réveillé, j'étais dans un lit d'hôpital, des gens parlant croates tout autour de moi.

» Tina n'a pas survécu. Elle est morte sur le coup. Lorsque les pompiers sont arrivés, c'était déjà trop tard pour elle. Ils ont fait des analyses, ce genre de truc, qui ont montré qu'elle était prête à tomber dans un coma éthylique. L'accident n'a rien arrangé. Les médecins ont soutenu que je ne l'avais pas tuée, je n'ai pas été inquiété.

Mais j'aurai pu faire quelque chose. Si je m'étais rendu compte qu'elle avait tant bu, j'aurai pu appeler le samu plutôt que de tenter de la ramener. Si je n'avais pas foncé dans ce mur, elle aurait peut-être survécu. Elle aurait peut-être pu être sauvée.

Théo me hait. Je lui ai volé l'amour de sa vie. Je me hais, je me hais tellement, Lucie, pleura-t-il. »

- Frazer, murmurai-je.

J'étais sans voix, complètement démunie. C'était une histoire horrible. Tina ne s'en était pas sortie, mais Frazer ne l'avait pas tué. C'était juste de la malchance. Dans l'histoire, je trouvais même plutôt qu'il était le héros.

- Ecoute moi, mon amour, chuchotai-je. Tu dois laisser partir les démons qui t'obsèdent. Ce n'était pas ta faute et tu n'es pas responsable. Tu ne l'as pas tué. Tu n'as tué personne Frazer. Elle s'est elle-même mise dans cet état.

- Mais j'aurai pu l'aider... Et j'ai provoqué l'accident.

- Tu l'as aidé. Tu as tenté de les empêcher de ruiner leur vie. Mais tout n'est pas comme dans un conte de fée. Frazer, ce qu'il s'est passé ce soir-là... C'était affreux. Mais ce n'était pas ta faute.

- J'ai gâché la vie de Théo.

- Il a tapé sa copine. Frazer, c'est un sal con. Elle serait morte sous ses coups si tu ne l'avais pas protégée.

- Comment peux-tu ne pas être dégoutée de ce que je suis, maintenant que tu es au courant ? demanda-t-il.

- Frazer. Comment te le dire ? Je t'aime. Tu sais ce que c'est, aimer quelqu'un désespérément ? Aimer, c'est se plonger corps et âme dans le cœur de l'autre. Aimer, c'est combattre ensemble. Quand on aime, on ne voit pas la destruction. Quand on aime, Frazer, on donnerait son dernier souffle pour ranimer les flammes de l'autre. Quand on aime, on est plus grand, plus puissant. Si je te perdais quelque part, je te retrouverais dans tous mes cauchemars jusqu'à ce que ton nom me guide à travers vent et marée pour te retrouver. Je t'aiderai à te relever. Je t'aiderai à rêver.

- Lucie, tu es folle. Mais je t'aime. Je t'aime. Oh, je t'aime tellement.

- Ne m'abandonne jamais.

- Jamais. Quand tout s'effondrera, je serai toujours là. A tes côtés

Pour l'éternité.Et même après.     

90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant