45 - Saute

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Le lendemain matin, après une nuit de sommeil agité mais correcte, je m'affairai à préparer le petit déjeuner pendant que Julien composait les sandwichs pour notre pique-nique de ce midi.

Nous avions convenu que nous partirions en randonnée pour la journée, avec une pause au milieu pour manger, une autre pour sauter d'une falaise de dix mètres.

Cette deuxième étape, c'était évidemment Frazer qui l'avait proposée, et négocier n'avait pas été facile. Je n'avais aucune envie de le faire, lui si, bien sûr.

- Soyons fou, avait-il dit en me regardant avec insistance. On est trop jeunes pour partir en Norvège et ne faire qu'une petite balade. Trop jeunes pour ne pas oser.

- A quoi tu penses ? Avais-je demandé, soudain douteuse.

- A faire un bond dans le vide. Littéralement. Tu sauterais d'une falaise de dix-mètres ? Il y en a une, lors de notre balade. Elle est faite pour ça.

- Jamais. C'est dangereux et j'ai peur.

- Quelle surprise, avait-il ironisé.

Puis il m'avait fait remarqué qu'on était là pour tout oser, tout expérimenter et, prise d'une impulsion subite, j'avais dit oui...

Nous partîmes aux environs de dix heures. Frazer et Julien marchaient devant comme des champions olympiques, j'étais à la traîne avec Théo qui râlait parce que je râlais. Le paysage avait beau être magnifique, le chemin était raide, biscornu et plein de racines et de cailloux qui manquaient de me faire trébucher à chaque fois.

Au bout d'une heure et demi de marche, j'en avais marre. Théo n'était pas de meilleure humeur, il ne me parlait pas, sauf pour me dire d'avancer ou d'arrêter de râler.

- Julien ! Frazer ! Criai-je. Il reste combien de temps avant la pause pique-nique ?

- Une demi-heure, quarante minutes tout au plus, tenta de me rassurer Frazer.

- Oh non ! Je n'en peux plus !

- Moi non plus, je n'en peux plus de ta copine, pesta Théo.

Les deux garçons se fusillèrent du regard.

- Frazer, et si tu marchais un peu avec Lucie, tandis que je discuterai avec Théo ? Intervint Julien.

Frazer ne protesta pas malgré mon extrême lenteur et cala ses pas sur les miens. Je devais être horrible, rouge comme une tomate et à bout de souffle, jurant que rien ne ressemblait plus à une forêt qu'une forêt. Mais Frazer était d'une patience folle. Il me tenait la main lorsqu'il fallait traverser des passages escarpés, me racontait des histoires quand je me mettais à râler et n'avait cesse de me motiver.

- On est bientôt arrivé, m'encouragea-t-il. Tu vois, là-bas ? Quand nous y serons, nous auront une vue magnifique, je te le garantis.

Il avait raison. Arrivés à notre pause pique-nique, l'endroit était à couper le souffle.

- Ça valait le coup ? Sourit Frazer.

- Carrément ! m'extasiai-je, oubliant soudain que mes pieds me brûlaient.

Je dévorai mon sandwich en un rien de temps. La marche m'avait épuisée. Pourtant, une demi-heure plus tard, les garçons décidèrent qu'il était temps de repartir, car il était déjà treize heures et il fallait être rentré avant cinq heures pour éviter la nuit.

Lorsque nous arrivâmes près de la falaise, mon ventre se noua. Je regardai le lac qui s'étendait à nos pieds, puis la hauteur qu'il y avait entre lui et moi.

- C'est dangereux, murmurai-je.

- Non, c'est fait pour. Regarde, il y a des gens qui s'apprêtent à sauter, d'autres qui sont en bas.

- Et si je mourrais ?

- Je t'assure que tu ne mourras pas. Tu te sentiras surtout beaucoup plus vivante.

- Mouais.

Julien sauta, suivit de Théo. Ils fendirent l'air en criant avant d'atterir dans l'eau et d'agiter la main, tout sourire.

- A ton tour, me sourit Frazer.

- Je ne peux pas, dis-je, soudain paralysée.

Il se tourna vers moi et me prit la main.

- Regarde moi dans les yeux Lucie. Je t'aime. Je t'aime tellement fort que ça fait mal, d'ailleurs. Et je viens juste de te l'avouer. S'il y avait un seul risque pour toi, crois-tu que je te dirai de sauter ?

- Non.

Rassurée, je me penchai au bord du vide, fermai les yeux, les rouvrai. Je me rememorai tout ce que j'avais fait jusqu'à présent, de mon arrivée en Croatie à notre époustouflant voyage à travers l'Europe.

- Saute, murmurai-je à moi-même.

Mes pieds décollèrent et je me propulsai dans le vide. Pourquoi avais-je fait ça ? Je voulus crier, mais aucun son ne sortit. J'étais entrain de mourir, c'était sûr. La sensation était si étrange. J'avais l'impression que j'étais suspendue dans l'air depuis une éternité. J'étais morte.

Splash. J'atterris enfin dans l'eau, qui me ramena à moi-même. Elle était gelée, mais je l'avais fait. J'étais en bas. Et comme Frazer me l'avait prédit, je me sentais vivante...

Frazer sauta quelques instants après moi et lorsque nous fûmes sortis de l'eau, m'enlaça. J'étais fière de l'avoir fait, heureuse d'avoir surmonté mes peurs, d'avoir pris le risque, encore une fois.

En rentrant au campement, j'étais extenuée. Les garçons s'occupèrent du dîner, qui fut des pâtes trop salées et pas assez cuites.

- C'est immonde, rigola Frazer.

- On n'est pas bon en cuisine, reconnut Julien.

J'haussai les épaules.

- On ne va pas faire la fine bouche ! souris-je. On est en camping en Norvège, c'est tout ce qui compte !

Frazer rit et me tapa dans la main.

- Ça, c'est ma Lucie !

- Toujours.

Aller aux sanitaires pour se laver fut ensuite toute une expédition. Ils étaient loin de notre campement et petits et encombrés. Chez les femmes, les trois cabines de douches étaient prises et je dus attendre une dizaine de minutes avant de pouvoir me faufiler sous le filet d'eau froide et mince. Mais qu'importe si la douche était gelée, sombre et pleines de fourmis ! Ce qui comptait vraiment, c'était ce qu'on était, ce qu'on vivait. Le TLJF club, celui qui était devenu ma vie. Celui avec qui j'avais grandi et appris.

Et sur cette pensée positive que je m'endormis, plus tard dans la soirée.

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90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant