34 - Auto destruction

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Je dévalai les rues plus vite que je ne l'avais jamais fait, pourtant je n'aimais pas courir. Mais Frazer fuyait comme une ombre, courant sans s'arrêter et dans la foule de touristes qui se baladaient, je perdais vite sa trace. Où allait-il ? Pourquoi Julien m'avait-il damné pour que je le rejoigne ?

A bout de souffle, je remarquai que Frazer s'arrêtait enfin. Assis sur la plage, il balançait des cailloux dans l'eau avec une force et une rage spectaculaire. Je n'aurai franchement pas aimé être ces pauvres pierres, mais à bien réfléchir, il valait mieux que ce soit les cailloux qui se fracassent plutôt que quelqu'un soit blessé.

Je m'assis prudemment à côté de lui, posant mes tongs sur le côté et mon sac de l'autre. La plage était calme, presque déserte, ce qui m'étonnait vu la chaleur et la saison, mais on était aussi assez loin de celles fréquentés par les touristes. C'était une plage plus naturelle, sauvage, où on ne trouvait ni stands de glaces ni parasols.

Je restai silencieuse un instant, attendant que Frazer se tourne vers moi. Il ne le fit pas.

- Ça craint, commençai-je.

Il ne se retourna toujours pas.

- Ça craint pour tout le monde, continuai-je. Pour Camille, évidemment. Pour toi, tes parents. Pour moi aussi, c'était vraiment une amie. Pour Julien. Il la connaît depuis que vous êtes si petits. Pour ses amis du lycée. Ça craint, franchement, qu'une tumeur aux poumons l'empêche de vivre normalement. Je déteste la science. Je déteste ces milliers de fumeurs qui n'ont rien alors que Camille souffre pour eux. Ce n'est pas juste. Le pire, c'est que toi et moi, on sait qu'on ne peut rien y faire. Julien aussi le sait. C'est comme ça. On doit essayer de vivre. C'est tout ce qui a toujours importé, et tout ce qui importera toujours. Vivre. Ta sœur te l'a dit. En même temps, ce n'est pas franchement évidemment de s'amuser quand on sait que ceux qu'on aime sont au plus mal. Pour Julien, c'est pareil. Je crois qu'il est perdu. Tu as tous les droits de lui en vouloir, tu peux même en vouloir au monde entier si tu veux. Mais parce que tu lui en veux, ça ne veut pas dire qu'il est responsable, tu comprends. Personne n'est vraiment responsable. Il fait de son mieux lui aussi et je suis sûre qu'il pense tous les jours, toutes les heures, toutes les secondes à Camille. Comme nous tous. Et si Julien tente de sortir avec une autre fille, c'est justement parce que son attachement à Camille le consume, je pense. Ca doit être très dur de t'imaginer être en couple avec une fille qui va mourir sous peu. Alors il teste, jusqu'à ce que ça craque. Tu peux le voir comme une trahison, je crois plutôt qu'il a cherché à tendre le fil qui vous lie tous, comme s'il pouvait s'en soustraire, comme s'il pouvait un moment oublié qu'il est le meilleur ami du gars dont la sœur est atteinte d'un cancer incurable, l'amoureux de la fille qui va mourir bientôt. Mais Julien et toi, c'est trop long, trop profond, trop important pour que tu rayes tout sur une bêtise. Tu as besoin de lui, il a besoin de toi. Au lieu de laisser les aléas vous détruire puis vous reconstruire, vous vous détruisez seuls, pensant que comme ça, vous maitriserez un peu ce qui vous arrive. Mais on ne contrôle jamais la chute. Par contre, qui nous relève, ça oui.

Au fur et à mesure que je parlais, il s'était tourné vers moi et me serrait la main si fort et à la fois si doucement que c'en était irrésistiblement attachant. Ses yeux glacés se rallumaient peu à peu, comme s'il se réveillait, comme si ce que je disais lui donnait une raison de vivre, une raison de se lever.

- Merci, dit-il simplement en se levant et en me prenant dans ses bras. Décidément, je ne sais pas ce que je ferai sans toi Luce.

Je haussai les épaules et nous rejoignîmes les autres, en marchant lentement cette fois. Au fond, cette scène avait comme une impression de déjà-vu...

90 jours ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant