C'est sous une pluie de flashes et de questions jetées au hasard dans la foule que Phil débarqua sur le rivage, à l'embouchure (si l'on peut dire) de l'Autoroute. Comme souvent, les badauds et les journalistes l'avaient précédé, et il eut toutes les peines du monde à se frayer un chemin jusqu'au point exact où l'Autoroute se jetait à la mer. Ses équipes avaient cessé le balisage à environ cent vingt mètres de la ligne d'écume, sachant que la marée montante arriverait à quelque dix mètres des toutes dernières balises.
On attendait les directives de Phil pour décider de la marche à suivre. Phil commença par faire installer une ligne de flottaison en prolongation de chacune des deux rangées de balises, de manière à avoir devant soi une première ébauche de la suite de l'Autoroute, et à éviter que des nageurs trop curieux ou imprudents n'explosent à l'improviste. Deux jours plus tard, accompagné de quatre plongeurs, Phil chaussa son scaphandre et descendit sous les lignes de flottaison pour effectuer une série d'expérience : l'idée était de déterminer si l'Autoroute descendait sous la mer avec le sable ou demeurait au niveau de la surface. Dans une espèce de valse flottante au ralenti, les cinq hommes-grenouilles saupoudrèrent le sable sous-marin de ballons emplis de liquide rouge qui retombaient pesamment, et éclataient avec une violence insoupçonnée. C'était à prévoir, songea Phil : si la pierre des montagnes ne ralentit pas les véhicules invisibles, ce n'est pas l'eau de mer qui va y faire grand-chose. L'Autoroute sous-marine conservait donc toute sa vitesse, et même si elle n'était pas dangereuse pour les nageurs et les navires en surface, il importait de savoir jusqu'où elle allait, et où elle ressortait.
Les baliseurs dressèrent en quelques jours sur le rivage une station expérimentale qui ressemblait de loin à une plate-forme pétrolière miniature, dans laquelle ils purent entreposer tout le matériel nécessaire (acquis à grands frais par Phil) à la poursuite de leurs opérations sous la surface des eaux. Une fois sous l'eau, le système des ballons n'était plus très efficace : le nuage rouge qui s'en échappait, lorsqu'ils étaient pulvérisés, ne retombait plus sur le sable, mais se dissolvait lentement dans le courant et se répandait dans toutes les directions. Il fallut apporter plusieurs centaines de sacs de sable coloré, un sable qui, légèrement plus lourd que le sable de la plage, s'étalait aisément sous les roues invisibles et adhérait bien au fond de l'eau. Ils sablèrent ainsi l'Autoroute Invisible sur deux kilomètres, l'eau n'étant jusqu'à cette distance pas très profonde ; le marquage s'effectuait désormais à l'aide de bouées flottant à la surface et ancrées aux bords de l'Autoroute par de petits poids de plomb.
Le tracé de l'Autoroute apparaissait ainsi en surface, maintenant la visibilité de l'Autoroute en dépit de la situation nouvelle. Toutefois, au bout de deux kilomètres de marquage, le fond marin s'inclinait subitement et prenait, en quelques centaines de mètres, près de soixante mètres de profondeur. Les baliseurs, la mort dans l'âme, durent déclarer forfait ; Phil dut embaucher des plongeurs professionnels et envoyer les ouvriers qui le souhaitaient travailler à l'autre extrémité du chantier, dans les montagnes du Sud. L'équipe de plongeurs professionnels comprit assez vite le principe du balisage, et se mit à avancer plus vite que les travailleurs de Phil, laissant celui-ci sur l'impression d'avoir engagé une troupe de mercenaires qui, s'ils étaient plus efficaces, ne lui inspiraient pas la même sympathie que ses enthousiastes amateurs. Mais au fil des semaines, il dut reconnaître qu'il appréciait beaucoup leur travail : en à peine quinze jours, ils marquèrent près de vingt-cinq kilomètres d'Autoroute sous-marine et mirent à jour un virage colossal, beaucoup plus important que tous les précédents, qui faisait obliquer l'Autoroute d'environ quarante degrés, l'orientant dans une toute nouvelle direction. Phil se rendit sur place, avec son scaphandre, pour constater les faits : en l'espace de quelques calculs, il se rendit compte qu'ils avaient raison et que l'Autoroute changeait en effet de direction à cet endroit. Il ne put que les féliciter.
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Châteaux en Espagne
Short StoryUne série d'histoires sur des lieux étranges, mystérieux, mythiques ou légendaires, qui n'existent parfois que dans l'imagination de l'auteur.