L'ÉCRAMPOINT (partie 3) -- Étymologies possibles du terme

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Étymologies possibles du terme

Face au cul-de-sac historique que nous oppose le pont à écrampoint, il peut s'avérer plus fructueux de considérer un second angle d'approche. Venons-en donc à l'exploration étymologique du mot « écrampoint », exploration que nous mènerons à la lumière des faits mis à jour précédemment. Nombre de lecteurs sagaces auront remarqué que le terme semble se composer de deux vocables distincts, « écran » et « point », leur regroupement imposant la transformation du n en m, selon des règles bien connues des spécialistes. Cette piste s'avère intéressante à suivre, si l'on garde toutefois en mémoire l'image catastrophique et contradictoire de ce pont qui ne tenait pas debout.

Le terme « écran », tout d'abord, apporte quantité d'eau à notre moulin (qui, espérons-le, ne finira pas en écrampoint). Son ancêtre médiéval, « escren », issu d'une racine néerlandaise, apparaît en effet pour la première fois vers la fin du XIIIème siècle, c'est-à-dire qu'il est contemporain de la construction du premier pont à écrampoint. L'écran, dans son premier sens historique, est, on s'en souvient, un objet que l'on interpose entre soi et une source de désagrément, lumière, vent ou regards intempestifs, et par extension en vient à signifier tout objet bloquant le passage ou l'accès à un autre objet. Les acceptions contemporaines du mot attestent encore de ce sens originel : l'expression « faire écran », synonyme de « barrer l'accès », ou la notion de « souvenir-écran », qui, en termes psychologiques, désigne un souvenir bloquant l'accès à un autre plus profond, confirment bien la préservation de cette souche sémantique (sans parler de l'appellation « écran solaire »). Le mot « écran », cependant, a par la suite acquis le sens de « surface sur laquelle on projette une lumière ou une image », pour en venir à signifier, à l'ère de la télévision et de l'informatique, l'outil-phare de la communication. Les origines de ce second sens demeurent à peu près aussi floues que celles du premier, mais l'ambivalence fondamentale de l'écran, qui permet la communication autant qu'il bloque le passage, semble des plus pertinentes à l'étude du pont à écrampoint.

La notion de « point » — le mot apparaît vers 1175 avec le double sens, déjà vague, d' « endroit » ou de « moment » — apporte également son grain de sel sémantique à la reconstruction du pont en question, ou du moins de son sens, si tant est qu'un pont puisse être en sens unique. Le « point », dans son acception de base, est donc un lieu géographique et/ou temporel (mais les autres acceptions du point, dans les domaines de la couture et de la ponctuation notamment, nous seront également utiles plus loin), ce qui nous mène à voir la conjugaison « point-écran » comme signifiant le lieu, ou le moment, où quelque chose fait obstruction. Restent à élucider les raisons pour lesquelles l'ordre des deux termes, dans « écrampoint », se retrouve inversé, et les diverses altérations de sens entraînées par cette inversion, mais à supposer que le sens global de l'expression reste sensiblement le même, il est possible de donner une première définition du pont à écrampoint : il s'agirait du point dans l'espace qui permet la liaison, la communication ou l'échange (le pont en soi) conjugué au moment qui « fait écran » et bloque cet échange (l'écroulement dudit pont). Par extension, naturellement, le pont devient lui-même un écran métaphorique, mais gardons-nous d'entrer trop avant dans des considérations littérarisantes sans grand intérêt pour notre entreprise, et revenons à nos moutons en considérant le pont à écrampoint comme le point géographique et temporel ou quelque chose fait écran (en l'occurrence, le temps et la géographie eux-mêmes). À cette interprétation s'oppose une autre, moins probable, qui tiendrait compte de l'ordre des deux termes dans le composé « écran-point » : cette seconde théorie, prenant le mot « point » dans son sens négatif (l'équivalent de « pas » dans la négation moderne), définirait le pont à écrampoint comme l'endroit où il n'y a « point d'écran », ou qui n'est « point écran ». Cette théorie, quoique plus suspecte encore que la précédente, nous est cependant utile en ce sens qu'elle signifie exactement le contraire de la première, et démontre bien l'ambivalence du mot « écrampoint », capable de saboter son propre sens en signifiant en même temps son propre contraire. Il est bien entendu que ces hypothèses s'appuient sur le présupposé faisant d' « écrampoint » la combinaison des vocables « écran » et « point », ce qui ferait d'elles, au cas où ce présupposé s'avèrerait infondé, des hypothèses à écrampoint.

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